Dernière rénovation : une stratégie séduisante et controversée

Dernière rénovation bloque l'Arc de Triomphe. En un an, le mouvement est passé d’une vingtaine à plus de 300 participants aux actions. - © NnoMan Cadoret / Reporterre
Dernière rénovation bloque l'Arc de Triomphe. En un an, le mouvement est passé d’une vingtaine à plus de 300 participants aux actions. - © NnoMan Cadoret / Reporterre
Durée de lecture : 8 minutes
Luttes Climat Culture et idéesLe collectif Dernière rénovation multiplie les actions spectaculaires : il bloque les routes, s’incruste à Roland-Garros ou sur le Tour de France... Et séduit ainsi les jeunes militants. Le reste du mouvement climat est sceptique.
Vous lisez la deuxième partie de notre enquête sur le collectif de lutte pour le climat Dernière rénovation.
« La grosse force de Dernière rénovation, c’est de sortir du cadre du militantisme classique, dans le sens où on n’est pas là avec des pancartes en train de crier des slogans », dit à Reporterre Thibaut Cantet, cofondateur du mouvement. Depuis l’an dernier, ces activistes climatiques enchaînent les actions de « résistance civile » : les autoroutes et les périphériques bloqués ? Ce sont eux. La demi-finale hommes de Roland-Garros interrompue ? C’était eux, tout comme la perturbation de plusieurs étapes du Tour de France.
Leur revendication : obtenir du gouvernement un plan pour la rénovation thermique des bâtiments. Leurs actions spectaculaires séduisent la jeune génération… et questionnent le reste du mouvement climat. Certains craignent qu’en perturbant le quotidien de personnes lambdas plutôt qu’en s’attaquant aux lieux de pouvoir, ils se « trompent de cible » et dégoûtent le grand public de la lutte écologiste. Le mouvement a en tout cas rapidement fait parler de lui et fait la une des médias, excités par cette « nouvelle radicalité ».
« Ce sont des modes d’action qui ont toujours existé, nuance Jon Palais, cofondateur d’Alternatiba et d’ANV-COP21, leur niveau de radicalité n’est pas plus important que ce qu’on a vécu au début du mouvement climat. » Le militant de longue date rappelle que la désobéissance civile est faite de cycles, entre actions de perturbation et développement d’alternatives : « En ce moment, ce qui est à la mode, ce sont plutôt les actions coups de poing, qui tirent la sonnette d’alarme, comme ce que fait Dernière rénovation. »
Les jeunes trouvent « des gens qui leur ressemblent »
Ce format de militantisme séduit effectivement les jeunes, et en particulier les primomilitants. En un an, Dernière rénovation (DR) est passé d’une vingtaine à plus de trois cents participants à ses actions. Beaucoup y voient une solution à leur sentiment d’impuissance face à l’urgence climatique. « Il y a une odeur ambiante de fatalisme et de cynisme sur la question climatique. On a besoin de se remettre en mouvement avec des choses très concrètes, et des actions très ciblées, comme on le fait à Dernière rénovation », explique Quentin, 24 ans, membre du collectif, et ingénieur consultant sur les thématiques énergie et climat à Paris.
La campagne se développe aussi hors de la capitale. Lucas, 25 ans, ingénieur nucléaire, et Théoxane, 22 ans, étudiante aux Beaux-arts, ont rejoint la section lyonnaise de DR à l’automne dernier. Ils se réjouissent d’avoir enfin trouvé « des gens qui leur ressemblent ». Théoxane, elle, y a vu un moyen de canaliser sa colère et son écoanxiété : « J’ai moi-même vécu dans une passoire thermique, il faisait 9 °C dans mon appartement, c’était un enfer. Quand j’ai rejoint DR, j’ai eu l’impression de trouver la solution qui me permettrait de sortir de cet état de haine. »
D’autres, qui ont déjà de l’expérience dans le milieu militant, se disent séduits par l’efficacité de Dernière rénovation : « J’ai été très frappée par la pertinence de la stratégie qui est extrêmement claire et précise. Ça ressemble à une tête de flèche, visant toujours au plus efficace », dit Alice, une Toulousaine de 32 ans qui a rejoint la campagne au printemps 2022. Sacha, une étudiante parisienne de 23 ans, a elle aussi connu plusieurs expériences militantes avant DR. « C’était une grande source de joie mais j’ai vite eu l’impression de faire du pointillisme : on faisait une action et quand l’action était finie, on la revendiquait et ça s’arrêtait là », regrette la jeune activiste. À DR, elle a trouvé un nouvel élan : « Ce qui m’a convaincue, c’est qu’on poursuit les perturbations sans s’arrêter, jusqu’à la victoire. » Pour Jon Palais, d’Alternatiba et d’ANV-COP21, c’est justement ce qui fait la force de Dernière rénovation : « Il y a des actions très régulièrement, comme si quelqu’un tirait la sonnette d’alarme sans arrêt. »

Mais le simple fait de « tirer la sonnette d’alarme » ne suffit pas, et peut avoir des effets contre-productifs, comme celui de braquer la population. Selon un sondage publié par le Huffington Post fin novembre 2022, « seuls 15 % des personnes interrogées sont “susceptibles” de rejoindre le mouvement. Ils sont 79 % à affirmer l’inverse ». Dans le détail, « 66 % des Français disent ne pas soutenir leurs interventions lors de compétitions sportives. Un chiffre qui monte à 75 % pour le blocage de la circulation et culmine à 80 % en ce qui concerne les “happenings” dans les musées ».
Leurs modes d’action sont « déstructurants pour le mouvement climat »
Qu’en pense le reste du mouvement climat ? Pour Élodie Nace, porte-parole d’Alternatiba Paris, et Gabriel Mazzolini, des Amis de la Terre, l’arrivée d’un nouveau collectif est d’abord une bonne nouvelle. « Ça permet de toucher des publics différents. Et puis, c’est sécurisant de se dire qu’il y a d’autres mouvements qui peuvent prendre le relais quand on est moins actif », remarque Élodie Nace. Comme Jon Palais, ils attachent de l’importance à conserver une diversité de stratégies au sein du mouvement climat. En outre, une récente étude publiée par le Social change lab, au Royaume-Uni, montre que le fait de mener des actions de perturbation rend les autres mobilisations plus acceptables et augmente le soutien aux collectifs “traditionnels”. Elle déplace ainsi vers plus de radicalité la « fenêtre d’Overton » — celle-ci regroupe les idées considérées comme acceptables par la société à un moment donné — ou la « théorie du flanc radical ».
Mais pour Franck, anciennement chargé des relations presse chez DR, leurs modes d’action sont au contraire « déstructurants pour le mouvement climat ». Après avoir participé aux trois premiers mois de la campagne, il a quitté le navire en juillet 2022. Dans sa lettre de départ, que Reporterre a lu, il exprimait ses doutes : « J’ai l’impression que DR invite la presse à un spectacle cynique : des citoyens vont bloquer d’autres citoyens, en colère d’être ainsi pris en otage. DR crée un affrontement : ce n’est pas comme ça que nous allons emporter une victoire politique. Ce ne sont pas les blocages qui me gênent. Ce n’est pas la conflictualité. C’est la cible qui n’est pas la bonne. »

Un avis que partagent en partie Élodie Nace et Gabriel Mazzolini. Pour eux, DR va à l’encontre de la vision d’une écologie populaire à laquelle ils travaillent dans leurs mouvements respectifs : « Certaines images montrant des automobilistes énervés qui s’en prennent aux militants de Dernière rénovation nous ont choqués, parce qu’elles entretiennent cette opposition entre les écolos et les classes populaires », explique Élodie Nace.
Lire aussi : Qui est Roger Hallam, l’inspirateur sulfureux de Dernière rénovation ?
Le positionnement de Dernière rénovation face à la répression policière et juridique pose aussi question. Être arrêté par la police fait en effet partie de la stratégie de l’inspirateur de ce collectif, Roger Hallam, également cofondateur d’Extinction Rebellion : plus il y a d’arrestations, plus le soutien de la population et donc la pression sur l’État seraient forts. Les militants sont presque systématiquement envoyés en garde à vue lors des actions de blocage, et certains sont même en procès. Pour Gabriel Mazzolini, cette stratégie est discutable : « Ce sont des personnes qui ne seront pas disponibles pour former de nouveaux militants. Quand tu es un petit mouvement, c’est encore plus lourd à supporter. »
« J’ai du mal avec l’idée d’envoyer des militants se faire arrêter sur le périph’ »
D’autres expriment leur malaise face à ces actions : « J’ai du mal avec l’idée d’envoyer des militants se faire arrêter sur le périph’, comme de la chair à canon », relève Clément [*], ancien militant d’Extinction Rebellion France qui a lui-même été en garde à vue. « Se mettre en danger et se faire arrêter, ça marche au Royaume-Uni parce que la police est plutôt bienveillante. En France, ce n’est pas du tout le cas », observe Hélène Assekour, ancienne membre de XR elle aussi. Tous deux redoutent un durcissement de la répression envers l’ensemble des militants climat.

Ces divergences de points de vue n’empêchent pas les différents collectifs de s’unir, comme lors de l’action commune menée devant Bercy, le 23 novembre dernier ; elle rassemblait les Amis de la Terre, Dernière rénovation, Alternatiba Paris et l’Alliance citoyenne Aubervilliers. Selon Jon Palais, leurs modes d’action sont complémentaires, et c’est justement ce qui fait la force et la richesse du mouvement climat. Même s’il déplore un déséquilibre : « On transmet notre angoisse et notre panique sur le réchauffement climatique, mais on peine à faire exister un récit plus désirable de l’avenir de nos sociétés, que les alternatives peuvent aider à construire. » Le militant conclut : « Tirer la sonnette d’alarme, c’est bien, mais il faut aussi trouver un plan de sortie. »