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Justice

« C’est un acte de résistance » : une militante jugée pour avoir bloqué le périph’

Florence a participé au blocage du périphérique de Paris, le 9 juillet 2022 (ici, celui du 15 avril). Une « courte » peine de prison avec sursis et 500 euros d’amende ont été requis à son encontre.

Une militante de Dernière rénovation a été jugée le 9 janvier pour avoir bloqué le périphérique de Paris. Un acte de désobéissance civile, selon la médecin, justifié par l’inaction climatique du gouvernement.

La vingt-neuvième chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris n’a pas l’habitude des militants climatiques. En cet après-midi du 9 janvier, les auteurs de violences conjugales ont défilé devant le juge, dans une difficile litanie de gifles, de coups de poing et de menaces de mort. Jusqu’à ce que Florence M., 58 ans, se présente à la barre. Silhouette gracile, carré blond enserré dans un bandeau brodé, la quinquagénaire ne pouvait imaginer, il y a encore quelques années, qu’elle se retrouverait un jour devant la justice. Et pourtant. Elle est la première des membres du collectif Dernière rénovation, qui milite pour une isolation massive des bâtiments, à comparaître pour « entrave à la circulation » au tribunal. Une « nécessité », selon elle, justifiée par l’inaction des dirigeants face au péril climatique.

« Je reconnais cette infraction et je la revendique comme un acte de résistance civile non violente », a déclaré d’emblée la militante. Le 9 juillet dernier, en compagnie de six autres activistes, elle s’était assise en tailleur sur le périphérique parisien, bloquant les véhicules — à l’exception des ambulances — pendant une demi-heure. Avant cette date, elle avait déjà participé à deux actions de Dernière rénovation, le 1er et le 15 avril 2022. « Notre objectif n’est pas de créer des désagréments, a-t-elle assuré. C’est d’interpeller le gouvernement. Tous les autres moyens juridiques ont été épuisés. »

Face au juge, impassible, la quinquagénaire est restée calme, lissant sagement entre ses doigts la feuille sur laquelle elle avait noté ses arguments. Médecin, mère de trois enfants et, depuis quelques semaines, grand-mère, Florence M. a raconté avoir décidé d’entrer en « résistance civile » en 2021, suite à la condamnation de l’État pour inaction climatique.

L’échec de la Convention citoyenne pour le climat a achevé de la convaincre. Cette assemblée tirée au sort avait été chargée par Emmanuel Macron de trouver des solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays. Seules 10 % de ses propositions ont finalement été reprises dans la loi Climat. « Une trahison, selon l’activiste. Si le gouvernement ne suit même pas les procédés démocratiques qu’il a mis en place, il ne nous reste plus, à nous citoyens, qu’à nous retrousser les manches et agir comme on peut. »

« Je ne pouvais pas faire autrement »

Jusqu’alors, Florence M. n’avait jamais commis d’infraction. « Subir une arrestation, de la garde à vue, des privations de liberté, c’était un gros interdit auquel je n’aurais jamais pensé, a-t-elle expliqué au tribunal d’une voix douce. Si je l’ai fait, c’est parce que sur le plan moral et éthique, je ne pouvais pas faire autrement. » Les enfants en situation de handicap auprès desquels elle travaille quotidiennement seront parmi les premières victimes des canicules à venir, a-t-elle affirmé. À quoi bon avoir construit sa vie autour du soin, s’est-elle interrogée, si c’est pour regarder le monde accélérer vers « l’enfer climatique » sans rien faire ? « Ça n’a pas de sens. »

Florence M. (à gauche) avait déjà participé à différents blocages, ici le 15 avril 2022. © Tiphaine Blot/Reporterre

« Vous avez un combat, c’est très bien, lui a rétorqué sèchement le procureur de la République. Mais comment le vivriez-vous si d’autres personnes défendaient de la même manière des objectifs avec lesquels vous n’êtes pas d’accord ? » Les actions de Dernière rénovation ne relèvent pas, selon lui, de « l’état de nécessité » — une notion juridique permettant d’exempter de poursuites des personnes commettant des actions illégales pour se prémunir d’un danger. « J’y vois plutôt une préemption du débat démocratique, a poursuivi le représentant du ministère public, qui a requis une « courte » peine de prison avec sursis — sans préciser la durée — et 500 euros d’amende. On ne peut pas tolérer des actions de ce type de la part de militants à la légitimité autoproclamée dans un État de droit. »

Soulèvements de sourcils dans l’assemblée, composée en grande partie d’activistes écologistes. Assise sur son banc, les lèvres légèrement tremblantes, Florence M. a essuyé sa paupière. « Vous avez besoin de sortir de votre déni climatique léger, a exhorté l’avocate de la médecin, Ingrid Metton. Le changement climatique constitue un danger réel, actuel et imminent. Si d’ici deux ans nous ne prenons pas de mesures drastiques, il n’y aura bientôt plus d’État de droit, il n’y aura plus rien. »

Plaidant la relaxe, l’avocate a invité les magistrats à faire preuve de « créativité juridique » : « Vous devez prendre votre responsabilité et empêcher ces militants de se faire écraser », a-t-elle insisté. En mettant hors de cause sa cliente, ils pourraient faire jurisprudence, et ainsi protéger tous ceux qui luttent « pour le droit à la vie ». Sera-t-elle écoutée ? La décision du juge est attendue pour le 13 février. D’ici là, cinq autres militants de Dernière rénovation doivent encore passer sur les bancs du tribunal judiciaire de Paris.

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