« Il y a urgence » : un collectif bloque les routes pour la rénovation énergétique

Le collectif Dernière rénovation a bloqué l'A13 vendredi 15 avril 2020. - © Tiphaine Blot/Reporterre
Le collectif Dernière rénovation a bloqué l'A13 vendredi 15 avril 2020. - © Tiphaine Blot/Reporterre
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Luttes ClimatL’autoroute A13 a été bloquée le 15 avril par un collectif écologiste. C’est la troisième fois en deux semaines qu’il entrave la circulation pour demander à l’État de rénover énergétiquement les bâtiments.
Actualisation, 19 avril 2022 — Parmi les six activistes, deux personnes ont été libérées samedi 16 avril, après dix heures de garde à vue. Les quatre autres ont été déférés devant le tribunal dimanche 17 avril, après avoir passé deux nuits en garde à vue. Les militants attendent de savoir quelles suites voudra donner la justice, et se disent « déterminés à poursuivre les blocages ».
Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), reportage
« Allez, on y va ! » D’un bond, les six activistes quittent le bord de la chaussée et se ruent sur le bitume de l’autoroute A13. Il est 18 heures, vendredi 15 avril, et les militants comptent bloquer la circulation sur cet axe. Les bras en l’air, ils font signe aux voitures arrivant en face de ralentir. En quelques secondes, les véhicules sont à l’arrêt. Les activistes déploient alors une grande banderole, portant le nom de leur collectif : Dernière rénovation.
Ce groupe a été créé il y a quelques mois pour exiger que le gouvernement s’engage à financer et assurer la rénovation énergétique des logements de tous les ménages en situation de précarité énergétique – soit 12 millions de personnes – d’ici à 2030. « 20 % des émissions de gaz à effet de serre viennent du secteur résidentiel et tertiaire », rappelle le collectif sur son site internet. Rénover ces bâtiments permettrait donc à la fois de réduire nos émissions de CO2, et d’améliorer les conditions de vie des citoyens vivant dans des bâtisses humides ou trop chères à chauffer.

Au mois de mars, Dernière rénovation a adressé une lettre au gouvernement pour détailler leurs revendications. Il n’a obtenu aucune réponse, et a donc décidé « d’entrer en résistance civile » : deux premiers blocages routiers ont eu lieu les 1er et 5 avril derniers. Cette troisième action, organisée délibérément à une heure de pointe, juste avant un week-end de trois jours et les vacances scolaires, était prévue pour « assurer une perturbation maximale ».

Violence des automobilistes
Ne pouvant avancer, les automobilistes commencent à klaxonner. Vêtus d’un gilet orange, quatre militants restent de marbre, plantés au milieu de la route, debout derrière leur banderole. Un cinquième activiste, Loïc, 28 ans, filme la scène. Le dernier, Paul, 25 ans, assume le rôle de « désescaladeur » : il s’approche des conducteurs pour tenter de les calmer. Très vite, le ton monte. Des motards passent à quelques centimètres des militants en leur criant des insultes. « Vous n’avez pas autre chose à foutre ? », rugit l’un d’eux, avant de repartir en trombe.
Une femme sort de sa voiture, elle se dirige à pied vers le petit groupe. « Qu’est-ce que vous faites ? crie-t-elle. On a des métiers, des enfants, on doit passer ! » Elle s’énerve, s’emporte, mais n’ose pas toucher les militants. Un motard s’arrête pour comprendre ce qu’il se passe. « Votre combat ne me choque pas, mais je pense que le message ne va pas passer, grimace-t-il. Les gens sont stressés, énervés, ils vont se braquer. »

Justement : au même moment, une dizaine d’automobilistes arrive en groupe, marchant rapidement entre les voitures à l’arrêt. « Allez, on s’y met à plusieurs et on les sort calmement ! » lance un homme. Il ordonne aux autres conducteurs de porter les militants sur le bas-côté. Ces derniers s’allongent sur la route pour tenter de résister. Les automobilistes n’hésitent pas à les empoigner sous les aisselles, et à les traîner brutalement quelques mètres plus loin. Un homme saisit la banderole et la jette vivement de l’autre côté de la route.
La route se dégage, permettant à quelques véhicules de se faufiler, mais les militants de Dernière rénovation se relèvent et reprennent place au milieu de l’asphalte. Imperturbables, ils gardent le regard fixe, sous les cris, les protestations et les injures des conducteurs.

Ils veulent construire un « rapport de force » en multipliant les actions
« J’ai bien en tête les raisons de pourquoi on fait ça, pourquoi on embête des gens aujourd’hui », déclare Florence, une des activistes. Cette femme de 57 ans explique qu’un « sentiment d’urgence » l’habite, qu’elle se demande à quoi ressemblera l’avenir de ses trois enfants dans un monde bouleversé par le changement climatique. Passer aux actions de désobéissance civile est pour elle une solution pour alerter le reste des citoyens.
À ses côtés, Sacha, 22 ans, se dit « extrêmement inquiète » de la menace qui pèse sur elle et ses proches. « Le mouvement climat manque cruellement de stratégie, estime-t-elle. Par exemple, la campagne de mobilisation d’ANV-COP21 contre l’aviation a été importante, mais ça a été quelque chose d’unique, il n’y a pas eu de répétition, pas de rapport de force créé dans le temps. » À l’inverse, avec déjà trois actions à son actif, et d’autres blocages prévus, Dernière rénovation veut durer.

C’est pour cette raison que les militants n’expliquent pas forcément leurs revendications quand les conducteurs fous de rage ou les automobilistes curieux les approchent. « On ne se met pas en danger pour sensibiliser seulement trois ou quatre personnes, explique Sacha. C’est la répétition et la visibilité de nos actions qui va faire ce travail de sensibilisation auprès de tous les Français. »
Un policier : « Ça suffit les bobos ! »
Au bout d’une vingtaine de minutes, les sirènes se font entendre. Les policiers débarquent à moto, et demandent aux militants de quitter la route. « Ça suffit les bobos ! » lance un des agents. Et de demander : « Il n’y a pas des choses plus graves pour lesquelles manifester ? »

Les policiers traînent les activistes en-dehors de la route et rétablissent la circulation. Les activistes refusent de décliner leur identité. Au bout de deux heures, ils sont donc envoyés en garde à vue au commissariat. Au moment de monter dans le fourgon, aucune résignation ne se lit sur le visage des militants. Au contraire. Le collectif a prévenu : tant que le gouvernement ne prendra pas ses responsabilités, Dernière rénovation continuera. « Ce n’était qu’une action parmi d’autres », avertit Guillaume, 47 ans. Une fois leur nuit au poste terminée, les activistes comptent bien reprendre la route. Et la bloquer.