Contre les passoires thermiques, ils brûlent leurs factures énergétiques

Tour à tour, les activistes ont jeté leurs factures énergétiques au feu, devant le ministère de l’Économie à Paris, le 24 novembre 2022. - © NnoMan Cadoret / Reporterre
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Des militants écologistes ont brûlé leurs factures d’électricité devant le ministère de l’Économie, le 24 novembre. Objectif : que le gouvernement actionne la lutte contre la précarité énergétique.
Paris, reportage
« Tous les soirs, je dors avec un sac de couchage, deux plaids et une couverture. Mon linge met quatre jours à sécher. Est-ce normal ? Non. » Lucie a 23 ans et vit au rez-de-chaussée d’un immeuble à Poissy (Yvelines). Le micro dans le creux de la main, sur le parvis de Bercy, à Paris, elle raconte ne plus pouvoir se chauffer. L’hiver dernier, sa facture d’électricité avait grimpé jusqu’à 147 euros par mois. « L’écran publicitaire de ma rue consomme plus que moi. Doit-on être une pub pour avoir le droit d’être chauffée dans ce pays ? » Sa voix chevrotante détonne avec son visage empli de colère. « Aujourd’hui, je brûle ma facture ! »
Le 24 novembre, à l’occasion de la journée contre la précarité énergétique, des dizaines d’activistes ont bloqué l’entrée du ministère de l’Économie et des Finances. Sous le regard embarrassé des quelques policiers présents, de petits feux ont été allumés, attisés par les factures énergétiques des citoyennes et des citoyens révoltés. Une action forte de symbolique, portée conjointement par Les Amis de la terre, Dernière rénovation, Alternatiba Paris et l’Alliance citoyenne Aubervilliers.

En 2021, 1 ménage sur 4 confiait déjà avoir des difficultés à régler les factures de gaz et d’électricité, selon l’Observatoire national de la précarité énergétique. L’affaiblissement du bouclier tarifaire et la hausse présagée des prix de l’énergie de 15 % en 2023, notamment du fait de la guerre en Ukraine, laissent entrevoir une inévitable dégradation des conditions de vie des plus précaires. « Ce n’est pas un fait divers, s’époumone Gabriel Mazzolini, porte-parole des Amis de la terre. On parle de 12 millions de personnes qui vivent dans des logements parfois indécents et dangereux pour leur santé. »

« Il y avait de la moisissure partout, même sur mon oreiller »
À l’angle de la rue de Rambouillet, l’un des activistes guette l’horizon, ébloui par la lueur matinale. Il est 9 h 50, le signal est donné. En quelques secondes, une fourgonnette blanche débarque sur l’avenue qui jouxte le ministère. Deux militants en descendent et sortent du coffre des pancartes, banderoles, brûleurs et copeaux de bois. Les forces de police ont à peine le temps de réagir que la route et les accès à l’imposante bâtisse sont déjà entravés par une chaîne humaine.
Parmi eux, dissimulé derrière ses verres de lunettes embués, se trouve Yves. Il est le papa d’une fille de 13 ans. Pendant longtemps, sa famille et lui ont vécu dans une passoire thermique, ravagée par l’humidité. « J’ai fait une grève de la faim de quarante-trois jours et je me suis rendu devant la préfecture du Val-de-Marne pour alerter l’État de notre situation intenable. » S’il se tient aujourd’hui aux côtés des activistes écologistes, c’est pour témoigner de tous les dommages collatéraux sur la santé et la vie sociale : « Qu’est-ce que je dois dire à ma fillette qui ne peut pas inviter ses copines à la maison ? Qu’est-ce que je dois lui dire quand on n’a plus d’eau chaude pendant sept mois ? »

Clarence aussi affronte au quotidien ces répercussions invisibles. Dans son précédent studio de 13 m², l’aération était particulièrement mauvaise : « À chaque fois que je faisais cuire des pâtes ou que je prenais une douche, j’étais obligé d’ouvrir en grand mes fenêtres pour que parte la buée. Il y avait de la moisissure partout, même sur mon oreiller et j’ai développé de l’eczéma. » Le jeune homme de 24 ans a finalement plié bagage pour s’installer porte de Bagnolet. Son nouvel appartement, classé G, lui a aussi réservé son lot d’inconfort. « Passoire thermique rime bien souvent avec isolation sonore désastreuse. Depuis que j’ai emménagé, je n’ai plus besoin de réveil. » Tous les matins, à l’aube, sirènes et klaxons le sortent de son sommeil.

2 200 morts par an
Voilà bientôt une heure que les activistes siègent au pied du ministère, imbibant d’allume-feu liquide leurs factures. Par une baie vitrée du deuxième étage, une femme observe la scène d’un mauvais œil. Par moment, le rassemblement se transforme en tribune à l’encontre des propriétaires rentiers et des bailleurs sociaux. Sonia, 25 ans, habite dans le 14e arrondissement. « Je dépense plus de 10 euros par jour d’électricité pour chauffer mon appartement à 18 °C », dit-elle à Reporterre, les oreilles emmitouflées sous un bonnet noir. Lorsqu’elle s’est plainte à son propriétaire, celui-ci lui a simplement rétorqué qu’il n’aurait aucun mal à trouver un autre locataire.

Étudiante et porte-parole d’Alternatiba Paris, Maïder Olivier a observé son thermomètre descendre sous la barre des 10 °C l’hiver passé. Son bailleur l’a alors invitée à toquer chez la voisine, au cas où celle-ci aurait un radiateur d’appoint de côté. Pourtant, c’est avant tout à l’État qu’elle veut s’adresser aujourd’hui : « Le gouvernement a toutes les raisons d’agir, scande-t-elle le poing dressé. Pourtant, il y a quelques semaines, la majorité d’Emmanuel Macron a voté contre l’allocation de 12 milliards d’euros pour la rénovation thermique des logements. »
La France compte 7 millions de passoires énergétiques. Les conditions de vie dégradées qu’elles provoquent causeraient chaque année la mort de plus de 2 200 personnes, assurent Les Amis de la terre. L’inaction du gouvernement, face au fléau du mal-logement, coûte chaque année 10 milliards d’euros à la société, selon les experts du ministère de la Transition écologique. Les quatre associations exigent désormais du gouvernement « qu’il cesse immédiatement son attentisme et investisse massivement dans un plan de rénovation globale du parc de bâtiments ».