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EntretienSocial

Grève pour les salaires : le gouvernement répond par l’austérité

Une marche contre la vie chère a déjà eu lieu le 16 octobre 2022, ici à Paris.

Le budget 2023 est l’un des plus austères depuis vingt ans, selon le collectif Nos services publics. Alors qu’une grande grève a lieu le 18 octobre pour les salaires, il prévient : ce budget aggravera les tensions.

Arnaud Bontemps est l’un des porte-parole de Nos services publics, un collectif d’agents de la fonction publique engagés pour retrouver le sens de leurs missions au quotidien.


Reporterre — Le 18 octobre se tient une grève pour l’augmentation des salaires. Le budget en discussion à l’Assemblée nationale va-t-il améliorer le quotidien des Françaises et Français ?

Arnaud Bontemps — Le budget auquel on est confrontés est un budget de stagnation. Certes, sur le papier, le projet de loi de finances affichait une augmentation des dépenses publiques de 65 milliards d’euros. Mais cet affichage « en valeur » ne reflète pas la réalité des prix pour les services publics : dans la situation de forte inflation que nous connaissons, cette hausse des dépenses publiques sera intégralement « consommée » par la hausse des prix. Donc en termes de capacité d’amélioration des services publics, c’est le néant : on ne change ni la taille ni la répartition du gâteau. Concrètement, cela aura des conséquences très importantes pour les services publics, et donc pour les gens.

Sur les services publics, c’est le gel du point d’indice pour les fonctionnaires par exemple. Mais c’est aussi le quasi-gel des dotations aux collectivités territoriales, qui gèrent la restauration scolaire, l’aménagement du territoire, et beaucoup de services sociaux. C’est tout ça qui sera touché.

Pour la population, ce sera extrêmement concret, il y a déjà certaines mesures d’économies qu’on a pu identifier dans le projet de loi de finances. On pourrait parler de la baisse des crédits d’hébergement d’urgence et de la fermeture de 20 000 places, de l’augmentation inférieure à l’inflation des crédits MaPrimeRenov’ sur la rénovation thermique des bâtiments, alors que les études montrent qu’il faudrait doubler le rythme de rénovations. On a une baisse du nombre de bénéficiaires des bourses scolaires pour compenser leur indexation sur l’inflation, une diminution de 65 millions d’euros des crédits relatifs aux emplois aidés, pour les personnes les plus éloignées de l’emploi. Donc ça a des conséquences sur la vie des gens, et dans les moments de tension sur les salaires qu’on voit aujourd’hui, ça ne peut que les aggraver.

Le plus inquiétant est qu’en lisant le projet de budget, on n’arrive pas à documenter l’intégralité des économies. La crainte qu’on a est que cela se traduise concrètement par un coup de rabot uniforme sur des services publics déjà exsangues, et qui n’ont pas besoin de nouvelles coupes pour que leur situation s’aggrave.


En quoi ce budget est-il l’un des plus austères de ces vingt dernières années ?

On attendait un budget en réponse à la crise des services publics. On l’a bien vu cet été : les difficultés qu’on avait à recruter les enseignants, les soignantes partent de l’hôpital public à cause des conditions de travail et du manque de personnel. On a aussi vu la difficulté du service public à lutter contre les feux de forêt... Ce qu’on attendait, c’était un budget à la hauteur de cette urgence, et donc qui rompe avec l’insuffisance de ces dernières années.

Lors du dernier quinquennat, les dépenses ont augmenté en moyenne de 1,2 % par an en volume — c’est-à-dire hors l’inflation. Si on fait ce même calcul sur 2023, en neutralisant l’inflation et les mesures exceptionnelles liées au Covid, l’augmentation des dépenses n’est que de 0,1 %, c’est-à-dire qu’elle est nulle. C’est l’équivalent du budget le plus restrictif du mandat de Nicolas Sarkozy en 2011. Dans les vingt dernières années, il n’y a qu’un seul projet de loi de finances qui a fait pire, c’était le budget 2018, et à la fin de 2018, on a eu le mouvement des Gilets jaunes.

Avec une telle contrainte sur les services publics, on peut se demander pourquoi le déficit public ne diminue pas. C’est parce qu’en parallèle de ces efforts massifs pour diminuer les dépenses, on diminue aussi les recettes : il y a des baisses et suppressions d’impôts pour les entreprises et les ménages les plus aisés. Par exemple, 4 milliards d’exonérations de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et 2,8 milliards sur la taxe d’habitation, la dernière tranche qui ne concerne que les ménages les plus aisés. Autant de recettes qu’on n’aura pas pour améliorer les services publics.


Du point de vue écologiste, ne pourrait-on pas considérer que l’austérité répond d’une certaine façon aux objectifs de sobriété et de réduction de la consommation ?

Cette question est essentielle : si on dit « sobriété » — puisque le terme est à la mode —, cela veut dire qu’il y aura un impact probablement important sur la richesse produite par le pays, sur la croissance économique. Donc, c’est nécessaire de penser à la répartition des efforts de la population pour converger vers cet objectif : ce sera une question majeure de la bifurcation écologique à venir.

Maintenant, là où ce budget est complétement à rebours de la transition écologique, c’est pour deux raisons : d’abord parce que si l’on veut faire la transition écologique, on aura besoin d’investissements publics massifs. Dans la rénovation thermique des bâtiments par exemple, dans la mutation de notre système agricole, dans l’adaptation de l’industrie, dans les énergies renouvelables, etc. Tous ces secteurs dans lesquels le marché est défaillant.

Le deuxième point, c’est que la transition écologique nécessitera un transfert massif de pouvoir et de richesses du privé vers le public. Du secteur rentable vers un contrôle démocratique. D’abord pour des questions d’organisation : il faut planifier collectivement la réponse majeure au défi écologique. Ensuite parce qu’il va falloir protéger concrètement les gens des conséquences que ce soit en leur garantissant un revenu, une alimentation digne, un système d’éducation et de soins performants. Et enfin, parce que les services publics sont aussi une démarchandisation de nos objets et services quotidiens. Or, dans cette démarchandisation, comme on l’a vu avec la Sécurité sociale après la Seconde Guerre mondiale, il y a quelque chose de philosophiquement nécessaire. Retrouver un sens commun, un intérêt général, détaché de l’enjeu de rentabilité à court terme : aujourd’hui, il n’y a que le service public qui est capable de le garantir.

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