Hommage à Alexei Yablokov, pionnier russe de la protection de l’environnement

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Monde Nucléaire Catastrophes nucléairesLe Russe Alexei Yablokov est décédé le 10 janvier dernier à 83 ans. Il avait consacré sa vie à l’écologie. L’auteur de cette tribune relate la vie « exemplaire » de cet homme, dont l’un des combats majeurs a été de faire reconnaître la gravité du désastre de Tchernobyl.
Yves Lenoir est président d’Enfants de Tchernobyl Belarus et auteur de La Comédie atomique, La Découverte, 2016.
L’académicien russe Alexei V. Yablokov est mort le 10 janvier 2017, au terme d’une longue et douloureuse maladie. Yablokov impressionnait ceux qui le connaissaient : bienveillance, rigueur morale, intransigeance intellectuelle, patriotisme, engagement pour le bien commun et infatigable activité au service de la défense des conditions de la vie sur Terre.
Charles Digges, au nom de la célèbre organisation écologiste russo-norvégienne Bellona, avec laquelle Yablokov avait collaboré durant de longues années, lui a rendu un bel hommage, sous un titre (« Alexey Yablokov, grand-père de l’environnementalisme russe, meurt à 83 ans ») qui résume en quelques mots l’importance historique de la carrière de l’homme que le président Boris Eltsine avait pris à ses côtés entre 1989 et 1992 comme conseiller pour les questions d’écologie et d’environnement.
Alexei Vladimirovich Yablokov était né le 3 octobre 1933 à Moscou. C’était un biologiste membre de l’Académie des Sciences de l’Union Soviétique, puis de celle de Russie (après la fin de l’URSS).
En 1988, en pleine Perestroïka, il a fondé l’antenne soviétique de Greenpeace. En 2005 il a fondé le mouvement vert russe qui deviendra un an plus tard le parti Yabloko.
Son parcours exceptionnel a été honoré par la Royal Geographical Society (remise de la Busk Medal en 1996), par le WWF (médaille d’or en 2000), et par le Nuclear Free Future Award en 2002. Il était également membre de l’Académie américaine des arts et des sciences et membre honoraire de l’Université de Bruxelles.
Alexei Yablokov a mené de front mille combats. Il a dénoncé le maquillage du décompte des prises des navires baleiniers russes en violation des accords internationaux (1997). Il a coordonné le dénombrement et la localisation des navires et sous-marins atomiques soviétiques, mais aussi des 17.000 conteneurs de déchets radioactifs immergés dans l’océan glacial arctique. Son livre blanc sur ces questions a conduit à ce que la Russie reçoive une aide de plus de 3 milliards de dollars pour le démantèlement de 200 sous-marins et pour assurer la sécurité de dizaines de stocks de déchets radioactifs militaires.
Il joua un rôle majeur de conseil et de témoin dans la procédure conclue par l’acquittement en 2000 par la Cour suprême de la Russie de l’écologiste russe Alexander Nikitin, poursuivi par l’État russe depuis 1995 pour la publication du rapport « The Russian Northern Fleet : Source of Radioactive Contamination (« La flotte du Nord russe : source de contamination radioactive »).
La poursuite de son œuvre est désormais notre affaire

Sans compter son énergie, Alexei Yablokov lutta pour que les séquelles de Tchernobyl soient élevées au rang de désastre majeur et durable. Il avait coutume de dire « Tchernobyl est un arbre qui pousse ». Avec le physicien Vassili Nesterenko, un des plus éminents « anciens combattants » de Tchernobyl (le mot « liquidateur » est un euphémisme politique puisque rien n’est liquidé, sinon des vies humaines et des territoires abandonnés), et son fils Alexei, il a rédigé la somme Chernobyl : Consequences of the Catastrophe for People and the Environment, publié par Naouka à Moscou en 2006, puis par l’Académie des sciences de New York en 2009 et disponible en français dans une version augmentée, Tchernobyl : Conséquences de la catastrophe sur la population et l’environnement.
Bien qu’en proie aux douloureux développements de sa maladie, il a poursuivi ses travaux jusqu’à l’extrême limite de ses forces. L’une de ses dernières publications [1] devrait inciter tous les radiobiologistes indépendants à se pencher sur le fossé entre la présentation des effets des radiations par les instances internationales — OMS, Commission internationale de protection radiologique et United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation — chargées historiquement en 1957 de favoriser le développement de l’énergie atomique en appui à la toute jeune Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA), et ce qu’ont révélé tous les accidents majeurs, notamment Tchernobyl.
Alexei Yablokov était également vice-président du Parti vert Yabloko de Russie (Yabloko signifie « pomme » en russe).
Alexei Yablokov a été et reste un exemple irremplaçable. Nous avons eu l’honneur mais surtout la chance inestimable de l’avoir rejoint dans sa lutte pour la reconnaissance des dégâts de Tchernobyl, et pour que la chape de l’oubli et de l’indifférence ne scelle le destin des populations touchées par les retombées radioactives de l’accident. La poursuite de son œuvre est désormais notre affaire, celle de tous ceux qui restent solidaires des victimes de Tchernobyl et de Fukushima.
À ses proches et à ses amis, nous exprimons nos plus sincères condoléances et partageons la peine de sa perte.