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ChroniqueÉconomie

ISF climatique : le nœud se resserre autour de Macron

Le slogan «Taxer les riches» est devenu ces dernières années un mot d'ordre régulier sur les pancartes et les murs des manifestations.

Le rapport Pisani-Ferry préconise de financer la transition en taxant les plus riches. Un désaveu terrible pour la macronie, explique notre chroniqueur.

Clément Sénéchal est militant pour la justice sociale et climatique et chroniqueur pour Reporterre.


Stupeur et tremblements en macronie. Au nom de la crise climatique, l’économiste en chef du régime vient de désavouer le totem le plus sacré du Président. Et dans les formes les plus officielles, puisqu’il s’agit d’un rapport de France Stratégie publié le 22 mai 2023, commandé par la Première ministre elle-même.

L’illustre Jean Pisani-Ferry préconise en effet d’instaurer une taxation additionnelle sur le patrimoine des plus aisés afin de financer la transition écologique. Une manière sans doute involontaire de reconnaître l’inaction climatique de l’exécutif depuis six ans, mais également de renier son principal marqueur identitaire : la suppression de l’ISF. Car l’économiste préconise bien d’instaurer un ISF climatique, donc d’augmenter les impôts. Pire, d’augmenter les impôts des premiers de cordée.

La pollution de la planète n’est pas sans lien avec le mode de vie des riches. © NnoMan Cadoret / Reporterre

C’est qu’il devient difficile de faire profession d’économiste tout en continuant d’ignorer le réchauffement climatique. Or l’équation est univoque : les dynamiques d’accumulation du capital se payent en émissions de CO₂ et les plus riches, mécaniquement, sont aussi les plus gros pollueurs. Plus simple encore : décarboner l’économie nécessite des investissements publics massifs… qu’on ne pourra pas financer sans mettre à contribution ceux qui peuvent le financer, c’est-à-dire les plus riches.

En France, actifs professionnels exclus, le patrimoine financier des 1% de ménages les plus riches est responsable d’environ 66 fois plus d’émissions de CO₂ que celui des 10 % les plus pauvres. Au niveau international, les 1 % les plus riches génèrent 17 % des émissions de CO₂, soit davantage que la moitié la plus pauvre de la population. Les riches bordélisent le climat.

Les écarts de richesse entre les plus riches et le reste de la population continuent de s’agrandir. © Alexandre-Reza Kokabi / Reporterre

Effet de contexte supplémentaire : les disparités entre ménages modestes et ménages aisés ne cessent d’augmenter à mesure que le capital se libère des contraintes fiscales, grâce à des politiques comme celles d’Emmanuel Macron. D’où dérive une logique sociale implacable : tant qu’une classe, la classe possédante possède un droit de destruction environnementale illimité, on ne pourra pas décemment demander d’effort aux autres — ce serait des sacrifices.

Résultat : on ne peut demander d’effort à personne. Et c’est exactement ce qui se passe en France, puisque la taxe carbone est gelée depuis 2018 — taxe régressive qui pesait proportionnellement davantage sur les pauvres, substituant précarité à sobriété — mais qu’elle n’a été remplacée par aucun autre dispositif fiscal équivalent, afin d’exempter le capital. En fait, les privilèges de la grande bourgeoisie tiennent en otage la transition écologique.

C’est ce que reconnaît à demi-mot Jean Pisani-Ferry dans son rapport : « La transition demandera à tous des efforts substantiels d’adaptation de leur mode de vie, dont il ne serait pas éthiquement admissible que les plus aisés s’exonèrent en se bornant à payer plus cher les mêmes consommations. » Il ajoute même : « Face à un enjeu vital pour l’humanité, la question du juste partage des sacrifices est aussi essentielle que celles qu’a posé, en son temps, la participation de chacun à la défense du territoire national. »

En dépit de l’inflexibilité annoncée du pouvoir, l’idée de taxer les riches pour financer la transition écologique gagne du terrain. © NnoMan Cadoret / Reporterre

« Rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est venue », affirmait Victor Hugo. Je dirais surtout qu’en matière de climat, il ne faut pas attendre les bonnes idées des économistes orthodoxes ; démonstration est faite qu’ils nous font perdre un temps précieux. En effet, cette réforme fiscale a été imaginée et développée par les « écoterroristes » dans un rapport publié en… 2020 ! Elle fut ensuite débattue à l’Assemblée nationale lors du vote de plusieurs budgets, avant d’être reprise par certains candidats à l’élection présidentielle de 2022, comme Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon.

Aujourd’hui, même les intellectuels organiques du capital finissent par en convenir l’air de rien, la crise climatique apparaît comme un échec majeur du marché. La félicité de l’ISF climatique marque à ce titre un progrès considérable dans la bataille pour l’hégémonie culturelle, une ouverture utile de la fenêtre d’Overton. Même le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, s’est permis sur France Inter de défendre la nécessité d’une contribution des plus riches à l’effort écologique Le « terrorisme intellectuel » de « l’ultragauche » gagne du terrain.

« La transition ne va pas se financer toute seule »

Le rapport de Pisani-Ferri, s’il contribue à problématiser l’accumulation capitaliste à l’aune de l’urgence écologique, se garde bien d’en tirer les bonnes conclusions. Car malgré ce plaidoyer inattendu pour l’ISF climatique, il contient aussi une tentative désespérée — et contradictoire — de réhabiliter le mythe de la croissance verte. Un tour de passe-passe indispensable pour minimiser la portée des inégalités en laissant encore croire à une abondance de richesses infinies qui profiterait, aussi, en fin de compte, aux moins bien lotis. Sauf que nous gérons désormais la pénurie.

Mais le plus intéressant reste la réaction du pouvoir. En effet, le succès de l’ISF climatique a introduit un trouble significatif au sein même du gouvernement. Le jour-même, Christophe Béchu (il est ministre de l’Écologie), pourtant parfaitement soumis à la doxa libérale et peu suspect d’activisme (il ne voit toujours pas le problème avec les jets privés), a ainsi affirmé dans l’émission Quotidien que la proposition de Pisani-Ferry n’était « pas tabou » :
« À un moment, il faut bien mesurer que la transition ne va pas se financer toute seule. »

Outrage ! Et tir de barrage illico presto des porte-flingues. Bruno Le Maire sur RTL dès le lendemain matin : « Je ne pense pas que ce soit la solution. Nous n’augmenterons pas les impôts. Il faut verdir notre fiscalité. » Olivier Véran, sur France Inter : « Il faut faire contribuer davantage ceux qui peuvent contribuer plus. Est-ce que ça passe par la fiscalité ? Je ne crois pas. » Par quoi ? Il n’a pas précisé. Sans doute des cartes postales.

Avec de telles politiques, les gouvernants indiquent qu’ils choisissent l’économie plutôt que l’environnement. © Pierre-Olivier Chaput / Reporterre

Ces réactions permettent d’objectiver la réalité de ce que porte le pouvoir en place, pour qui en douterait encore : un projet de classe radicalisé, qui ne se préoccupe même plus de donner un semblant de vernis théorique à ses positionnements politiques. La macronie consacre l’intérêt des possédants, quoi qu’il en coûte, fusse la planète.

Le Maire et Véran sont littéralement prêts à laisser cramer notre écosystème plutôt que de taxer les riches. Ils portent ainsi délibérément atteinte aux intérêts supérieurs de l’humanité. Cocasse d’ailleurs de constater que le même jour, Élisabeth Borne présentait la feuille de route de sa planification écologique, avec de nouveaux objectifs climatiques pour 2030… mais sans mesures concrètes pour les atteindre. Alors même que ces nouveaux objectifs impliquent une baisse des émissions de CO₂ deux fois plus importante lors les huit prochaines années que ce que le pays a réalisé durant les trente dernières.

Choisir la cible

Lors d’un plateau TV consacré au rapport de Pisany-Ferry et plus largement au partage de l’effort, un obscur essayiste à nœud papillon, Ferghane Aziharihari pour ne pas le nommer, a prétendu que « le drame de la question écologique est qu’elle a été préemptée par des militants qui détestent beaucoup plus le capitalisme que le changement climatique ».

Le drame de notre histoire, c’est qu’il s’est passé exactement l’inverse. Et qu’il est grand temps de réunir environnementalisme et anticapitalisme. Car, sauf à faire semblant, l’un ne va plus sans l’autre. Sauver des baleines c’est bien, cibler le capitalisme c’est mieux.

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