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EnquêteMines et métaux

« Il n’y a pas d’après-mine heureux ! »

Zone en cours de réhabilitation près de l'ancienne mine du Poyet (Loire).

Maisons effondrées, eaux contaminées, sols pollués... Une série de dégâts entoure l’après-mine. Et pour longtemps. La gestion acrobatique de l’État et le peu de budget alloué n’augurent rien de bon. [Enquête 3/3]

Vous lisez l’enquête « Mines : l’héritage toxique de la France ».
Le premier volet, « Exclusif : la liste des sites miniers empoisonnés que l’Etat dissimule », est à lire ici.
Le deuxième volet, « Le calvaire des victimes des mines empoisonnées », est à lire ici.



En France métropolitaine, les dernières mines de fer ont fermé en 1995 et l’extraction d’uranium, de charbon et d’or s’est arrêtée au début des années 2000. Tandis que le nickel de Nouvelle-Calédonie et l’or de Guyane sont exploités au détriment de certains écosystèmes parmi les plus riches de la planète, on ne trouve plus dans l’Hexagone que quelques rares mines de sel, de bauxite et d’étain.

Mais entre le XVIIIᵉ et le XXᵉ siècle, près de 5 600 mines y ont été exploitées dans la plupart des régions. On a creusé 100 000 km de galeries pour extraire du charbon dans le Nord, 40 000 km pour extraire du fer en Lorraine. Les volumes de vides souterrains laissés par les anciens sites se chiffrent en millions de mètres cubes et la métropole abrite des milliers de dépôts de déchets miniers.

Une montagne de résidus miniers à Saint-Pierre-Montlimart (Maine-et-Loire). © Benjamin Bergnes / Reporterre

Longtemps, personne n’a imaginé que l’après-mine serait un problème. On considérait qu’il suffisait d’arrêter les machines et de ranger un peu pour en avoir terminé. L’État se concentrait sur les conséquences des pertes d’emplois dans les bassins miniers. Puis brutalement, en 1996, à Auboué (Meurthe-et-Moselle), une série d’affaissements emportèrent successivement 160 maisons proches des anciennes mines de fer qui venaient de fermer.

Au début des années 2000, au total, près de 500 maisons avaient été touchées et près de 2 000 habitants évacués. C’est alors « que nous avons pris collectivement conscience de la nécessité de gérer durablement les conséquences techniques et environnementales de l’activité minière » [1], écrit Jean Féraud, ingénieur géologue et ancien chef de projet après-mine pour le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

Ces effondrements ne furent que le début d’une longue série de dégâts, de pollutions et de menaces que l’on regroupe sous le terme d’« après-mine ». Lequel est devenu, selon Féraud, « un des problèmes actuellement les plus graves des géosciences ».

Effondrements et autocombustion

Après s’être rendu compte que les galeries insuffisamment remblayées provoquaient des effondrements, on a découvert que les terrils, les dépôts issus de l’extraction du charbon, avaient une fâcheuse tendance à l’autocombustion, déclenchant des incendies et nécessitant parfois « tout un dispositif de surveillance comprenant clôtures, forages de pompage d’eau dans la mine voisine, système d’adduction d’eau jusqu’au terril […] ainsi que des détecteurs par infrarouges de nouvelles zones d’échauffement, pose de panneaux de danger et maintenance de cet ensemble pour une durée indéterminée » [2].

On s’est aperçu que les anciens puits de mine rebouchés pouvaient « débourrer », c’est-à-dire s’effondrer brusquement. Que les résidus miniers pouvaient entraîner des coulées de boue toxiques. Que des gaz comme le méthane (explosif), le monoxyde de carbone (asphyxiant) ou le radon (cancérigène) pouvaient remonter des galeries. Qu’il faudrait continuer à faire fonctionner indéfiniment des systèmes d’aération dans les cavités pour aller inspecter leur stabilité sans que les agents ne succombent à un coup de grisou, comme les mineurs autrefois.

Des milliers d’habitations menacées

Aujourd’hui, en Lorraine, dans l’ancien bassin houiller, 15 000 à 18 000 habitations sont menacées à terme d’inondation. Pendant plusieurs décennies, les eaux souterraines ont été pompées en permanence pour permettre l’exploitation des gisements. À l’arrêt des mines, on s’est aperçu que la nappe phréatique allait inexorablement remonter pendant les quarante prochaines années.

Aujourd’hui, à Creutzwald (Moselle), deux forages pompent plus de 1 million de mètres cubes par an dans les nappes phréatiques pour éviter la submersion ; il en faudra bientôt un troisième. À la suite des actions en justice de plusieurs communes de Moselle-Est, l’État s’est engagé en 2021 à « maintenir la nappe à 3 mètres sous le bâti existant », ce qui a nécessité de modéliser une zone de 700 km² sur laquelle on installe des stations de pompage, des digues et un réseau de bientôt 300 piézomètres pour contrôler le niveau des eaux souterraines [3]. Le coût de l’opération n’a pas été communiqué.

Lagunes de décantation des eaux issues des deux émergences minières à Saint-Pierre-Montlimart (Maine-et-Loire). © Benjamin Bergnes / Reporterre

Moins spectaculaire, mais plus durable, l’une des conséquences les plus lourdes de l’après-mine est la pollution des eaux. Dans les anciennes galeries, les eaux souterraines font réagir les métaux qui s’y trouvent, de même qu’en surface les pluies lessivent les tas de stériles ou de résidus.

Pour éviter la contamination des nappes et des rivières aux métaux lourds, il faut les traiter — autant que possible. À Chessy, dans le Rhône, les mines de cuivre arrêtées depuis 1877 ont laissé « plus de 15 hectares » de déchets miniers sur toute la commune, note l’association SystExt dans son étude sur l’après-mine.

Pour empêcher qu’ils ne soient ravinés par les pluies, il faut les couvrir de terre ou de géomembranes et installer des drains pour recueillir les eaux acides et chargées de métaux au pied des dépôts. Il faut aussi intercepter les eaux minières contaminées circulant dans les anciennes galeries. En 2003, le BRGM a dû faire construire sur place un vaste complexe hydraulique où ces eaux sont pompées, drainées, neutralisées à la chaux, filtrées puis décantées dans sept bassins.

Ce n’est pas près de s’arrêter : après décantation, les boues toxiques sont ensuite entreposées en haut des tas de déchets où elles seront à nouveau lessivées par les pluies, recueillies au pied des dépôts, retraitées, et ainsi de suite. Car le drainage minier acide, phénomène courant sur les anciennes mines, est impossible à éradiquer définitivement [4]. Il se poursuivra pendant plusieurs siècles au moins.

Le cercle vicieux de la radioactivité et la toxicité

Sur les anciennes mines d’uranium ou les lieux de stockage de résidus, Orano est confronté à des problèmes semblables, auxquels s’ajoute la radioactivité. Dans ses 18 stations de traitement des eaux minières réparties en France, il cherche à réduire la quantité de matières radioactives dans les eaux rejetées en piégeant ou en fixant l’uranium par divers traitements chimiques qui devront se poursuivre, là encore, indéfiniment.

La tâche est compliquée par le fait que les réactifs utilisés pour traiter la radioactivité (chlorure de baryum, aluminium) sont eux-mêmes toxiques. Chaque année, Orano gère près de 4 millions de mètres cubes d’eaux contaminées, produisant quelque 10 000 m³ de boues radioactives.

Au total, on compte en métropole une quarantaine de stations de traitement des eaux minières polluées dont certaines fonctionnent depuis plus d’un siècle. Près de l’ancienne mine d’or de Salsigne, dans l’Aude, la station vise à limiter la teneur en arsenic de l’eau. Mais une fois traitée, elle en contient malgré tout 600 microgrammes par litre, quand le seuil de potabilité est à 10.

Des affichettes à Saint-Pierre-Montlimart (Maine-et-Loire) : « Vous devez assurer l’élimination de vos déchets ». © Benjamin Bergnes / Reporterre

À ces chantiers permanents s’ajoute la difficulté à contenir la pollution des sols et de l’air par des amas parfois gigantesques de déchets miniers qu’il faut surveiller, remblayer, soutenir et recouvrir pour éviter les affaissements et la dispersion de poussières.

L’étude menée par l’association SystExt montre que l’État ne parvient pas à localiser tous les dépôts et encore moins à les mettre en sécurité. Le réchauffement climatique est voué à fragiliser plus encore cette gestion acrobatique, comme l’ont montré les pluies diluviennes qui ont lessivé les montagnes toxiques de Salsigne en 2018.

Tout ceci donne à réfléchir sur les formules rencontrées dans les musées de la mine en France où l’on explique aux visiteurs qu’une fois achevée « la grande aventure du sous-sol », « la Nature reprend ses droits ». Bien au contraire : une fois les gisements exploités, les problèmes de la mine remontent en surface, et pour longtemps. Comme l’admet Georges Vigneron, chef du département de prévention et sécurité minière au BRGM, « il n’y a pas d’après-mine heureux ! »

Un budget « dérisoire »

Ainsi, alors même qu’il n’existe presque plus de mines en métropole, l’État y consacre plus de 40 millions d’euros par an. Sans même parler d’indemniser correctement les victimes de pollutions, la commission d’enquête sénatoriale sur les sols pollués a constaté que « ce budget apparaît dérisoire » par rapport au nombre de sites à gérer : le BRGM doit désormais veiller sur près de 1 900 ouvrages disséminés dans toute la métropole (contre 95 en 2007).

Elle note aussi que « le nombre de travaux nécessaires à la mise en sécurité et à la réhabilitation des sites est lui aussi en augmentation, les opérations annuelles de mise en sécurité étant passées de 20 à 60 environ depuis 2010 et les opérations de réhabilitation environnementale de 8 à 20 environ ».

Le paradoxe est qu’alors que l’on prend la mesure depuis trente ans des dégâts quasi éternels de l’extraction minière, la consommation de métaux ne cesse d’augmenter. Les politiques industrielles d’électrification des véhicules, de numérisation et l’essor du spatial et de l’armement, combinées à l’industrialisation des pays du Sud, risquent de multiplier la demande en métaux par entre 3 et 10 d’ici 2050. Pour sécuriser ses approvisionnements, l’État compte relancer l’extraction en France : le gouvernement a prévu d’y consacrer 1 milliard d’euros. Soit 25 fois le maigre budget annuel de l’après-mine.

Point de salut dans les mines du futur

Dans le nouveau Code minier, le gouvernement s’est engagé à obliger les entreprises à assurer la sécurité de leurs installations et de leurs déchets : elles devront veiller à leur sécurité pendant trente ans après la fermeture d’une mine. Ces garanties semblent dérisoires au regard des échelles de temps des pollutions minières.

Surtout, « la mine actuelle génère beaucoup plus de déchets que par le passé, expliquent Hadrien et Fleurine, qui ont enquêté sur l’après-mine au sein de l’association SystExt. Car dans les gisements, les concentrations en minerais sont beaucoup plus faibles qu’aux XIXᵉ ou XXᵉ siècles [5]. Si on exploitait de nouvelles mines sur le territoire, on pourrait légitimement s’attendre à ce que les déchets soient mieux stockés, voire confinés. Mais on en aurait des volumes bien supérieurs. Ils risqueraient tout autant de polluer des ressources en eau devenues encore plus rares. »

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