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ReportageSivens

Ils font la grève de la faim depuis plus de cinquante jours pour sauver la zone humide du Testet

Depuis début septembre, Christian Conrad, Roland Fourcard et Gilles Olivet sont en grève de la faim pour demander l’ouverture d’un débat public sur le projet de barrage de Sivens. Reporterre est allé à leur rencontre.


-  Lisle-sur-Tarn, reportage

« Je suis désolé, je suis un peu énervé là. » Christian Conrad a pourtant toujours l’air assez serein alors que nous le retrouvons chez lui, dans le village de Lisle-sur-Tarn, à quelques kilomètres seulement de là où se trouvait il y a encore un mois la zone humide du Testet. « C’est l’imprimante qui ne fonctionne pas alors qu’on aurait besoin d’imprimer une lettre ouverte à Ségolène Royal pour lui demander de bouger ».

Ils n’arrêtent pas. Alors que les militants de la ZAD comme du collectif Testet commencent à craindre pour leur santé, les grévistes de la faim sont présents, ici avec les lycéens, là devant le centre des impôts d’Albi. S’ils appartiennent tous les trois au collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, chacun a un profil différent.

Christian Conrad est naturaliste, de l’association APIFERA et militant de longue date. « Dès le mois de février dernier, on avait envisagé l’utilisation de ce mode d’action avec Ben Lefetey, le porte-parole, en dernière extrémité. Les autres membres nous trouvaient fous à l’époque ». Mais l’avancée inexorable du chantier à partir de début septembre les amène à reconsidérer cette éventualité.

- Christian Conrad -

"Nous appartenons à la Terre"

Alors que les travaux menacent de débuter, on apprend par communiqué que « Christian Pince (63 ans), Marc Pourreyon (57 ans), Roland Fourcard (52 ans) et Ben Lefetey (44 ans) entament le 27 août une grève de la faim. Les rejoignent ensuite Eric Pétetin (dit Pétof, 61 ans) le 1er septembre, Gilles Olivet (60 ans) et Christian Conrad (67 ans) le 2 septembre. Nanie (64 ans) a commencé le 8 septembre. »

Si cet engagement paraissait évident pour Christian Conrad et Ben Lefetey, c’est avec surprise qu’ils se sont vus rejoindre par d’autres, jusqu’ici moins engagés dans la lutte. Ainsi, Roland Fourcard habite Graulhet et travaille actuellement comme assistant d’éducation en lycée agricole.

« Devant la destruction de la forêt et le refus d’entendre raison des promoteurs, nous avons décidé d’attirer l’attention du public et des médias. Ça peut paraître un peu extrême mais comment faire autrement quand les lois sont déniées et la démocratie bafouée ? »

- Roland Fourcard -

Ce mercredi, cela fera cinquante jours que la grève a débuté pour lui, pour qui l’essentiel est la question du lien entre l’homme et la Terre : « Pour moi, c’est une manière de transmettre un message. Ce n’est pas la Terre qui nous appartient mais nous qui lui appartenons. Le problème essentiel de ce projet c’est qu’il détruit l’environnement et une zone humide extrêmement précieuse ».

Accompagnement et soutiens

Le parcours de Gilles Ollivet, jardinier à Vaours, est encore différent. Plus éloigné du Testet, il est « rentré plus tardivement dans la lutte. Après quelques jours, il a été demandé par les opposants qu’il y ait un gréviste de la faim dans chaque canton du département, pour bien montrer que la lutte était partout. J’ai commencé à camper devant chez Georges Bousquet, le conseiller général du canton et puis j’ai continué ensuite depuis chez moi ».

Jusqu’à ce mercredi 15 octobre, où avec Christian Conrad, il en est à 44 jours de grève de la faim. Christian ajoute : « Il ne faut pas oublier tous les soutiens que l’on a reçus dans cette action. » Un médecin s’est ainsi proposé de les suivre, tandis que sur la ZAD de nombreux occupants ont fait des jeûnes de soutien. « On a même su qu’à Foix, quelqu’un a fait une grève pendant quelques jours. »

Si certains « baveux » médisent sur le dos des grévistes, il suffit de constater leur état physique pour se rendre compte de la réalité de leur action. « C’est simple, on a respectivement perdu 14, 15 et 21 kilos en un peu plus d’un mois. Quand tu t’engages dans un mouvement comme ça, évidemment il n’y a pas d’arnaque, on est tous clairs avec notre conscience. »

Christian, ajoute avec colère : « Ça nous est effectivement revenu dans les oreilles, surtout parce qu’on nous voyait continuer à militer et à se montrer. Si c’est tout ce qu’ils ont comme argument en face, ça ne pèse pas lourd. »

L’engagement de Christian Conrad en matière d’environnement ne date pas d’hier puisque dès les années 70 on le trouvait déjà à pied d’œuvre dans des combats écologistes dans les Pyrénées et ailleurs. « Je tiens à préciser qu’en ce qui me concerne, ce n’est pas une grève de la faim intégrale, c’est-à-dire avec seulement de l’eau », nuance néanmoins Gilles.

-  Ecouter ici : Qu’est-ce qu’on mange pendant une grève de la faim ?

Objectif : un débat public

Le plus étonnant est que cette grève de la faim ne revendique même pas l’arrêt immédiat du projet ou son retrait mais simplement un débat public. « On n’a eu aucune réponse en la matière de la part du président du Conseil Général, Thierry Carcenac. »

Ce dernier a écrit le 6 octobre dernier aux grévistes pour déplorer les méthodes employées par certains opposants qui n’hésitent pas à porter gravement atteinte à leur santé pour faire prévaloir leur point de vue sur cette retenue d’eau et ajoute : « Si votre objectif avec un débat contradictoire est d’arriver à la remise en cause de ce projet, de ses caractéristiques et de fait à son abandon, il me semble aujourd’hui obsolète et hors de propos ».

-  Lire la dernière lettre de T. Carcenac aux grévistes de la faim :

« C’est du mépris pur et simple, lance Christian Conrad, nous lui avons posé trois questions : le nombre d’irrigants concernés, le non fondement du soutien au débit d’étiage – puisque les pollutions ont été réduites – et enfin le coût pour le contribuable du projet. » Mais le choix de ces militants n’aura pas été vain pour autant.

« Dans mon canton, à Vaours, c’est déjà un nid pour les alternatives, explique Gilles Ollivet. J’ai vu beaucoup de personnes qui étaient sympathisantes s’engager plus en avant dans la lutte quand ils nous ont vus agir ainsi. »

Un rôle primordial dans la lutte

Sentiment confirmé par Christian : « Dans les manifestations de collégiens, ils étaient surpris et contents de nous voir venir les soutenir. Ça a permis d’aller parler à des personnes qui nous connaissaient plus ou moins sans être militantes et de les informer sur la lutte ».

Et puis, dans la lutte elle-même, les grévistes, membres du collectif Testet, ont aussi joué un rôle dans la mise en place de l’alchimie avec les occupants. Christian raconte : « Ils nous ont toujours très bien accueillis. Certains qui pratiquaient déjà le jeûne nous ont donnés des conseils. »

Pour Ben Lefetey, « les grévistes de la faim ont fait du bien à tout le monde : aux membres du collectif en leur donnant à voir une action radicale et non violente, aux zadistes en leur prouvant la fermeté de l’engagement de personnes qui ne voulaient pas nécessairement venir occuper sur place. »

Après respectivement cinquante jours pour Roland et quarante-quatre jours pour Christian et Gilles, l’action est aujourd’hui en passe de se terminer. « Jusqu’ici ça allait mais là on commence à vraiment sentir la fatigue », souffle Roland. Après s’être réunis ce samedi pour discuter de la suite à donner, « pour le moment on continue une ou deux semaines ». La question est désormais « de terminer cette action la tête haute ».

-Gilles Olivet -

Un premier rassemblement est prévu ce samedi 18 octobre à Albi, à 15 heures. Et le soir une réunion aura lieu au C.L.A.C (Collectif Local d’Actions Citoyennes de Gaillac) sur le thème : « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le barrage sans jamais oser le demander ». Un élu du Conseil général pourrait pour la première fois être présent.

Autrement, c’est du côté du ministère que viendraient les réponses, les experts du Ministère de l’Environnement, envoyés par Ségolène Royal à la mi-septembre doivent rendre dans les prochains jours un rapport sur le projet au ministère. Les trois grévistes de la faim viennent justement d’envoyer une lettre ouverte à la ministre pour demander que ce rapport soit rendu public. Parallèlement, le collectif a lancé une nouvelle pétition pour amplifier la pression.

-  Lire la lettre ouverte à la ministre des grévistes de la faim :

Reste enfin le grand rassemblement qui se prépare pour le week-end du 25 octobre. « Mais on aimerait arrêter avant » pour des raisons de santé qui deviennent plus sérieuses notamment pour Roland Fourcard, mais surtout, « pour pouvoir profiter de tout ce qu’il y aura à manger ce jour-là, plaisante Christian, et c’est l’anniversaire de Gilles en plus, comment fera-t-il pour manger son gâteau s’il continue la grève de la faim ? »

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