Industriels pollueurs : pourquoi sont-ils si peu condamnés ?

Au sud de Lyon, habitants et ONG ont porté plainte contre le groupe chimique Arkema, accusé de contaminer le Rhône avec des polluants éternels. Le 18 juin 2023, certains militants se sont rassemblés devant les locaux de l'entreprise. - © Nicolas Liponne / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Au sud de Lyon, habitants et ONG ont porté plainte contre le groupe chimique Arkema, accusé de contaminer le Rhône avec des polluants éternels. Le 18 juin 2023, certains militants se sont rassemblés devant les locaux de l'entreprise. - © Nicolas Liponne / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
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Malgré un droit suffisant, les condamnations d’industriels pour pollution ou atteintes à l’environnement restent souvent très faibles, et rarement à la hauteur des destructions.
200 000 euros. C’est l’une des plus importantes condamnations pour une pollution environnementale. Suite à un déversement massif de lisier qui avait annihilé la vie marine de la rivière Penzé dans le Finistère, la plus grande porcherie du pays, Kerjean, et un agriculteur ont été condamnés le 29 juin dernier par le tribunal de Brest à une lourde amende. Si la peine peut paraître minime pour un acteur économique aussi important que la plus grande porcherie de France, cette condamnation est cinq fois supérieure à celle de Nestlé, condamné en 2022 à 40 000 euros d’amende pour une pollution sur plus de quatre kilomètres de cours d’eau. Près de Marseille, l’usine Kem One a été condamnée le 4 juillet dernier à payer seulement 50 000 euros d’amende pour des rejets de près de 500 tonnes de chlorures ferriques dans la mer en 2020.
Un traitement qui interroge, au moment où des jeunes issus de quartiers populaires sont condamnés à de la prison ferme pour des larcins de quelques centaines d’euros et des dégradations de mobilier largement couvertes par des assurances.
Un droit suffisant, mais peu appliqué
C’est pourtant l’un des principes de base de la justice : que la peine soit suffisamment dissuasive pour éviter la récidive, ce que rappelait une circulaire de 2015. Le droit environnemental serait-il trop peu punitif ? Même pas. Le Code de l’environnement prévoit bien des peines jusqu’à 75 000 euros d’amende (cinq fois plus pour une personne morale) et jusqu’à deux ans d’emprisonnement pour une pollution des eaux (art. L216-6). S’il s’agit de pollution marine, c’est même plus, « jusqu’au double de l’avantage tiré de la commission de l’infraction » (art. L218-73).
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Pour Sébastien Mabile, avocat en droit de l’environnement, il faut d’abord chercher les causes en amont, sur la capacité à poursuivre les infractions. « En moyenne, il y a une personne chargée de la police de l’environnement pour mille policiers », estime-t-il. Et en face, « les entreprises ont une vision très comptable de leur risque », constate Louise Tschanz, du cabinet Kaizen. Cette avocate impliquée dans la bataille contre les polluants éternels au sud de Lyon mesure bien la puissance du pouvoir économique, qui n’hésite pas à mettre en balance des usines et des emplois face à la menace d’une condamnation.
C’est bien souvent dans les murs des préfectures que s’arrêtent les procédures, l’État préférant régler à l’amiable les contentieux, une forme de justice négociée. Dans un rapport de 2021, l’ancien procureur général de Paris, François Molins, pointait même le risque d’une « dépénalisation de fait du droit de l’environnement » en France.
La justice n’a pas fait sa mue environnementale
En aval, quand la justice intervient, encore faut-il qu’elle soit à la hauteur. « On tolère au niveau d’opérateurs économiques des comportements qui seraient intolérables de la part de personnes physiques », déplore Sébastien Mabile. Les procureurs, notamment, conservent « une vision de l’ordre purement économique ou sociale », selon Louise Tschanz, qui se heurte régulièrement au rejet de ses référés pénaux environnementaux, une procédure qui permettrait sans délai de « prendre toutes les mesures utiles pour faire cesser une atteinte à l’environnement ».
Pour Alice Terrasse, avocate en Occitanie, c’est en fait la justice dans son ensemble qui « manque de formation et de compétences sur les questions environnementales, une matière complexe » qui touche à une multitude de codes très techniques : droit de l’eau, de l’urbanisme, du littoral, des sols… La récente création de pôles régionaux environnementaux dans les cours d’appel peine encore à se développer faute de moyens, sauf sous l’impulsion de quelques magistrats volontaires, notamment membres de l’Association française des magistrats pour le droit de l’environnement et le droit de la santé environnementale (AFME).
Enfin, même condamné, encore faut-il que les sanctions soient appliquées. Sur le dossier du barrage illégal de Caussade, dans le Lot-et-Garonne, l’avocate avait ainsi obtenu sa « meilleure condamnation depuis des années » avec un an de prison ferme pour les commanditaires et 40 000 euros d’amende, peine ramenée à du sursis en appel. Mais faute de courage politique, jamais les jugements ordonnant la destruction du barrage et la remise en état antérieur du site n’ont été mis en œuvre.