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Inès, José, Christine... Des « Vieux campeurs » contre le béton

Depuis le 1er octobre, le Collectif pour le triangle de Gonesse a installé un « camping » dans le Val-d’Oise.

Voilà près de deux semaines que les « Vieux campeurs » occupent illégalement un terrain à Villiers-le-Bel pour dénoncer la bétonisation du triangle de Gonesse. Reporterre leur a tiré le portrait.

Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), reportage

Des tentes parsèment le terrain verdoyant. Des banderoles et des affiches sont accrochées un peu partout : « Les jeunes ne sont pas de la chair à béton »« sauvons les terres agricoles », « bétonnage, gaspillage arrêtez le carnage ». Le soleil est au zénith et il fait 28 °C en plein mois d’octobre à Villiers-le-Bel.

Depuis le 1er octobre, une dizaine de membres du collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG) campent sur un terrain municipal pour dénoncer l’installation d’une cité scolaire sur les terres du triangle de Gonesse, à 6 kilomètres de là. Inès, Christine, José... se surnomment les « vieilles et vieux campeurs », car elles et ils ont tous plus de la soixantaine.

En pleine discussion autour d’une grande table à l’ombre d’un barnum, ils s’interrompent pour nous accueillir chaleureusement et nous offrir thé ou café. Cuisine, table à manger, toilettes sèches... L’endroit est idyllique si l’on omet le bruit assourdissant des avions qui atterrissent et décollent toutes les deux minutes.

Irène Godard, 64 ans : « On a essayé tous les moyens légaux »

Irène Godard.

« Nous voulons que le chantier de la future cité scolaire prévue sur le triangle de Gonesse soit déplacé. Il est très important de défendre les terres fertiles qui s’y trouvent », explique Irène Godard, 64 ans, à deux jeunes curieux qui traversent le camp. Ils repartent convaincus de signer une pétition.

Recours juridiques, rendez-vous avec les autorités, rassemblements chaque mois... « On a essayé tous les moyens légaux pour porter notre action, assure cette habitante de Gonesse depuis 1993. Quand on dit qu’on est contre ce projet, on est confrontés au silence, au mépris. Il n’y a pas de réponse officielle. Donc on a décidé d’occuper illégalement ce lieu qui est un terrain commun », raconte cette femme habillée d’un t-shirt « sauvons les terres de Gonesse » et coiffée d’un bob rose.

« On informe aussi les élèves devant les écoles parce que ce projet est très peu connu. » Si les campeurs ont choisi cet emplacement pour leur camping, c’est parce qu’ils le trouvent plus adéquat que les terres fertiles prévues pour le chantier. « Ici, il y a du bruit, mais ce n’est pas très loin des commerces et des habitations de Villiers-le Bel. Il y a le bus, le RER D, une piscine, un stade de football et un parcours de santé », argumente la militante.

Lire aussi : Un camping sauvage contre la destruction des terres de Gonesse

Jean Marie Baty : « Autoroute, aéroport... Notre vie est détériorée »

Jean-Marie Baty

Les Vieux campeurs sont peu nombreux aujourd’hui, car certains sont partis à Paris pour soutenir Thomas Brail — le militant contre l’A69 qui était, alors, en pleine grève de la soif. Jean-Marie Baty, lui, a décidé de rester sur le campement. « L’urbanisation a créé les conditions d’une densification extrême. Les espaces verts, les jardins, les lieux de convivialité et de vie ont disparu. On est encombrés par les autoroutes et par le trafic aérien avec Roissy d’un côté, et le Bourget de l’autre. On a une vie qui est détériorée », explique le président du Mouvement national de lutte pour l’environnement en Seine-Saint-Denis.

Le programme est rodé. Préparation des repas, vaisselle, écriture ou distribution de tracts... « Tous les matins, à 9 heures, on organise une réunion générale pour planifier la journée. La nuit, on fait des groupes de surveillance pour prévenir si la police passe, ou pour empêcher les vols », explique celui qui habite à Tremblay-en-France, à 15 kilomètres du campement.


José Cosserant, 67 ans : « Tout le monde s’écoute ici, c’est très sympa »

José Cousserant.

La nuit approche. Les campeurs trinquent à la bonne nouvelle : la suspension temporaire des travaux de défrichement pour l’autoroute A69 grâce au combat de Thomas Brail et de tous les autres grévistes de la faim.

José Cosserant, l’un des membres du Collectif pour le triangle de Gonesse, a mal dormi à cause du bruit des avions. Néanmoins, il est ravi de son expérience de camping improvisé. « Je viens du milieu syndical et politique. Il y a du virilisme, et parfois, c’est la rivalité entre les petits chefs. Là, au contraire, tout le monde est à l’écoute des uns et des autres, c’est un milieu très ouvert, très protecteur. » Cet ancien militant du NPA, qui vit sur le plateau de Montmorency, à une dizaine de kilomètres d’ici, vante « l’efficacité » de ce collectif. « Chacun a un rôle même si ce n’est pas toujours bien défini. Il n’y a pas un chef. C’est vraiment collectif, pour faire à manger, pour faire la vaisselle. C’est très sympa. »


Christine Portillo, 55 ans,

Christine Portillo.

« On a besoin de conserver le peu de terres agricoles et d’espaces verts qui nous restent dans le 93 », dit à Reporterre Christine Portillo. Venue avec son mari après son travail, elle n’a pas encore campé sur place mais aimerait bien le faire. « J’ai des enfants. On est en train de leur réserver un avenir pourri. C’est à nous, à notre génération, de donner le top départ pour que les générations plus jeunes suivent. En ayant laissé faire tant de choses, on est quand même responsables... »


Sophie Almazon, 61 ans : « À cause du béton, la linotte mélodieuse pourrait disparaître »

Sophie Almazon.

Alors que le soleil se couche, Sophie Almazon, 61 ans, enseignante à la retraite, arrive avec les mains pleines de victuailles pour rassasier les campeurs. Elle rappelle qu’ici, personne ne s’oppose en soi à la cité scolaire. D’ailleurs, cela fait très longtemps que nombre d’entre elles et eux demandent un lycée agricole dans le département. « Je suis là surtout pour la défense des dernières terres fertiles de Val-d’Oise et aussi pour la défense de la faune. La linotte mélodieuse, par exemple, fait son nid dans la terre. S’il y a du béton, elle va disparaître. »

Les campeurs sont déterminés à rester ici jusqu’à ce que les pouvoirs publics envisagent un autre emplacement pour la cité scolaire, et qu’une consultation publique autour de la localisation soit organisée sous l’égide des garants de la Commission nationale du débat public (CNDP). Ils proposent à leurs soutiens de participer à une campagne de participation citoyenne, lancée par la Cour des comptes.

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