Un camping sauvage contre la destruction des terres de Gonesse

Bernard Loup, le fondateur du CPTG, demande que le projet de cité scolaire soit plutôt construit à Villiers-le-Bel. Ici, le 1er octobre 2023. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
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Le 1er octobre, le Collectif pour le triangle de Gonesse a installé un « camping » dans le Val-d’Oise. Le but : demander que le chantier de la future cité scolaire soit déplacé.
Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), reportage
Palette en bois dans la main droite, bidon d’eau dans la main gauche, Anne, 64 ans, s’engouffre d’un pas décidé sous un grand barnum. Plusieurs affaires sont déjà entreposées : une table, du papier toilette, un groupe électrogène, et aussi… des tentes. Le 1er octobre, dans la foulée de leur traditionnelle Zadimanche à Gonesse (Val-d’Oise), les « Vieux campeurs » du Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG) ont installé par surprise un « camping » sur un terrain municipal de Villiers-le-Bel.

Les militants ne veulent pas faire une zad mais une ziac, une zone d’imagination pour un aménagement concerté. Le lieu n’a pas été choisi par hasard. Alors qu’une cité scolaire et un internat doivent être construits sur les terres fertiles du triangle de Gonesse, à 6 kilomètres de là, les membres du collectif souhaitent attirer l’attention des pouvoirs publics sur cet emplacement alternatif, plus adéquat à leurs yeux. Le collectif demande également que soit organisée, sous l’égide des garants de la Commission nationale du débat public (CNDP), une consultation publique autour de la localisation du futur site.

« On a tout essayé : les recours juridiques, les courriers… et on n’a jamais de réponse. Nous allons donc rester ici jusqu’à ce qu’il y ait enfin un processus démocratique autour de cette question. Nous sommes certes vieux, mais nous voulons nous battre pour les générations à venir », explique Anne, l’œil malicieux sous ses lunettes de soleil et son grand bob.
« Nous sommes favorables à cette cité scolaire. Nous souhaitons simplement qu’elle soit déplacée : le projet actuel ne sert qu’à justifier la construction de la gare de Gonesse », ajoute le fondateur du CPTG Bernard Loup, debout derrière une bâche estampillée « Notre jeunesse n’est pas de la chair à béton ».

Déplacer le chantier
Pour l’homme de 79 ans, cette nouvelle action s’inscrit dans la « continuité » de la lutte que le collectif mène depuis 2010. À l’époque, l’État souhaitait bâtir à Gonesse, à 15 kilomètres au nord de Paris, un mégacomplexe commercial. Nommé EuropaCity, ce projet nécessitant d’artificialiser 80 hectares de terres fertiles a vite suscité l’opposition de militants écologistes, qui ont multiplié les actions et les recours juridiques. En 2019, EuropaCity a été abandonné par le gouvernement.
Une bataille a été alors remportée, sans être une victoire complète : en 2021, l’exécutif a annoncé qu’une gare accueillant la ligne 17 du Grand Paris Express sera malgré tout construite à Gonesse — les travaux ont depuis commencé. L’État prévoit également de bâtir, à côté de la gare, une cité scolaire et un internat pouvant loger 600 collégiens et 1 500 lycéens.

Une « absurdité totale » pour Didier, membre du CPTG. « Le triangle de Gonesse, qui est situé en bout de piste des aéroports de Roissy et du Bourget, fait partie d’une zone d’exposition au bruit. La construction de logements y est donc interdite, explique-t-il. Ils parlent d’une cité scolaire d’excellence, mais ils veulent parquer des élèves défavorisés au milieu des champs, dans des infrastructures sans arrêt survolées par des avions. Cela sert uniquement à justifier la bétonisation future des lieux. »
Le site de Villiers-le-Bel apparaît, a contrario, « beaucoup plus adéquat ». « Il y a un parc de sports et de loisirs, le RER D à dix minutes à pied… Et la zone est déjà artificialisée », note Anne. À côté du « camping » du CPTG et de ses toilettes sèches se dresse en effet l’ex-hôpital Adélaïde Hautval, vendu à Grand Paris Aménagement afin qu’y soit construit un écoquartier.

Pour les militants écologistes, la cité scolaire pourrait donc s’édifier en lieu et place de cette infrastructure, en s’inscrivant (ou non) dans un tel projet. Sous le barnum, une jeune femme soulève néanmoins un point crucial : l’ancien hôpital accueille actuellement des femmes seules, leurs enfants, ainsi que des réfugiés hébergés par l’association France Horizon.
« Avant de construire autre chose, il faudrait s’assurer que ces personnes-là soient relogées : la lutte écologiste et la lutte pour une France d’accueil ne peuvent pas être séparées », interpelle-t-elle, avant d’être applaudie. « Comme le site va être démoli, il est déjà prévu qu’elles quittent les lieux. Cela étant dit, si on apprend qu’on nous donne gain de cause, on s’intéressera évidemment à leur sort : on se soucie de ces personnes », répond Didier.
Il est environ 17 heures, le soleil tape fort, les services de sécurité passent une tête. Des jeunes hommes sortant de l’ex-hôpital regardent de loin le barnum des Vieux campeurs qui, bientôt, installeront leurs tentes.