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Pesticides

Interdiction du glyphosate : l’Europe et la France restent dans le flou

Un comité européen discute aujourd’hui de la prolongation de l’autorisation du glyphosate en Europe. Un vote était prévu, mais il a été annulé, signe supplémentaire de la grande nervosité autour de l’avenir de ce pesticide. Et la position du gouvernement français n’est pas très claire.

C’est l’une des substances actives du Roundup de Monsanto, l’herbicide le plus utilisé dans le monde. Une matière chimique la plus détectée dans les cours d’eau français et dans la moitié des aliments du quotidien. Un cancérigène potentiel dont les études scientifiques sont soumises à des pressions constantes de l’agro-industrie. Le glyphosate est au cœur d’une bataille où se mêlent santé, intérêts financiers, indécisions politiques, besoins agricoles et études scientifiques tronquées.

Récapitulons les épisodes précédents. En juin 2016, alors que l’autorisation du glyphosate arrivait à échéance, les membres de l’Union européenne ont échoué à trouver un consensus pour interdire ou autoriser sa présence sur le marché du vieux continent. La Commission européenne a alors assumé de prolonger temporairement son autorisation jusqu’au 31 décembre 2017, et a présenté un ultimatum aux États membres pour qu’ils règlent la question d’ici là. En mai dernier, la Commission européenne a donné son feu vert pour redémarrer les discussions sur un possible renouvellement du glyphosate pour dix ans. Le vote devait se tenir ces 5 et 6 octobre lors de la réunion à Bruxelles du comité permanent de l’Union européenne chargé des questions des plantes des animaux et de l’alimentation (Scopaff). Sauf que l’ordre du jour de la réunion a été changé le 3 octobre : elle a été rétrogradée en « point de discussion ». De son côté, la France a annoncé fin août par la voix de Nicolas Hulot qu’elle voterait contre ce renouvellement. Mais depuis, pression, révélations et ajustements politiques se sont enchaînés.

Le glyphosate est classé depuis 2015 comme un cancérigène pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), dont les études ont fait apparaître des liens de toxicité possible pour les reins et le foie. Il est également suspecté d’être un perturbateur endocrinien qui influencerait le fonctionnement hormonal. Cependant, un rapport d’évaluation mené par le comité des risques de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) a conclu de son côté en mars 2015 à la non-dangerosité du glyphosate, ainsi que, en mars 2017, l’Agence européenne des produits chimiques.

« Manque d’indépendance d’une agence sanitaire » 

De quoi jeter un doute sur les recherches du Circ ? Pas si sûr. Une enquête conjointe du Guardian, de La Stampa, de RMC et de la Libre Belgique publié à la mi-septembre révèle que cette étude de l’EFSA est plombée d’un mal sérieux : une centaine de pages du rapport ne sont qu’un simple copier-coller d’un autre rapport datant de 2012 et élaboré par… Monsanto, le géant de l’agroalimentaire et l’un des principaux vendeurs de glyphosate à l’échelle mondiale. Des passages qui concernent les points cruciaux du rapport sur les risques de cancer ont été copiés mot pour mot. Toutes les études qui figurent dans ce rapport, y compris celles censées être rédigées par des partis indépendants sont concernées. « C’est scandaleux, ça ressemble à une fraude, dit François Veillerette, directeur de Génération futures. Ça donne l’impression qu’on lit un rapport d’évaluation objectif écrit par une instance indépendante, alors que ces données sont favorables au produit qu’on veut mettre sur le marché. » De même, toutes les études qui tendent à prouver la dangerosité de l’herbicide sont rejetées comme « non fiables » par cette même instance européenne. « C’est la preuve d’un manque d’indépendance d’une agence sanitaire », se désole François Veillerette

Or, c’est sur ce rapport de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire que vont s’appuyer les membres de l’UE pour prendre leur décision. Quant à l’effet des révélations, il ne serait qu’éphémère, selon Sébastien Barles, assistant parlementaire de Michèle Rivasi au Parlement européen, au fait du dossier : « Pour l’instant, ces révélations-là n’influencent pas la position de la Commission, qui a toujours proposé le renouvellement, et a priori la position des États membres. »

La firme va même plus loin avec le Centre international de recherche sur le cancer. En 2015, Monsanto apprenant qu’il va publier son rapport négatif sur le glyphosate, a allumé un contre-feu. D’après les documents internes de Monsanto, rendus publics à la suite de procédures judiciaires engagées aux États-Unis, l’entreprise agrochimique aurait alors fait une demande surprenante au biologiste états-unien Henry Miller. Un courrier envoyé par l’un des cadres de Monsanto à Henry Miller est sans équivoque : « Souhaitez-vous en écrire davantage au sujet du Circ, son processus et sa décision controversée ? » Le biologiste a accepté à condition de « partir d’un brouillon de haute qualité ». L’article a été publié le 20 mars, presque sans modification, sur le site du magazine économique Forbes, avant d’en être retiré en août 2017.

Un exemple de « ghoswriting » : un cadre de Monsanto fournit le brouillon de l’étude à écrire au chercheur Henry Miller.

Le rapport controversé de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) n’a pourtant pas empêché la France de s’engager contre le glyphosate fin août, au « nom du principe de précaution », comme l’a dit Nicolas Hulot. Mais, sous la pression des exploitants agricoles, le discours du gouvernement s’est depuis attendri à l’égard du pesticide. À l’appel des fédérations départementales de la FNSEA (la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), premier syndicat agricole, et de l’organisation des Jeunes Agriculteurs, environ 250 agriculteurs ont manifesté le vendredi 22 septembre sur les Champs-Élysées.

« La date du 23 octobre a été évoquée »

Si, le soir même, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, a déclaré au micro de RTL que « la France est contre le fait de prolonger l’utilisation du glyphosate pour dix ans », il a cependant trouvé la parade pour apaiser les agriculteurs en proposant un « renouvellement pour cinq à sept ans », pendant lesquels il faudra « réduire progressivement l’utilisation des pesticides ». Un rétropédalage qui indigne François Veillerette : « Le produit est dangereux, ce n’est pas une question d’alternatives. Dans cinq ans ou sept ans, s’il n’y a pas une décision ferme, nous repartirons pour cinq ans. On ne s’en sortira pas. Qu’on aide les producteurs à adapter leur système de production, bien sûr, mais il faut que le gouvernement annonce clairement la couleur. »

Mais la couleur, le militant antipesticide peine à la distinguer quand Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement, annonce sur BFMTV le 25 septembre que « le Premier ministre a arbitré pour faire en sorte que ce produit soit interdit en France, ainsi que tous ceux qui lui ressemblent et qui menacent la santé des Français, d’ici la fin du quinquennat ». Un propos peu raccord avec le communiqué de Matignon paru une heure plus tôt. Si celui-ci indique qu’Édouard Philippe a demandé aux ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique de lui présenter « les conditions d’un plan de sortie » du glyphosate pour l’usage agricole « avant la fin de l’année », il ne s’engage pas sur une interdiction ferme d’ici à 2022.

Édouard Philippe compte également attendre les conclusions des états généraux de l’alimentation, avant d’arrêter une décision, ceci dans le but « [d’]adapter les pratiques là où c’est possible ». Pour François Veillerette, les conclusions du gouvernement n’ont « pas été claires. On a perdu la volonté de sortir rapidement du glyphosate ».

À l’échelle de l’Union européenne, la donne est encore incertaine. Seules la France - mais dont la position n’est donc pas très claire -, l’Autriche et l’Italie se sont positionnées contre le glyphosate. Les autres partenaires de la zone euro n’ont pas encore fait connaître leur position. Sébastien Barles n’est guère optimiste : « La majorité des pays vont voter le renouvellement, par suivisme, parce que leur modèle agricole est encore productiviste, parce qu’ils sont moins sensibles aux questions sanitaires de l’impact du glyphosate. »

Néanmoins, la Commission européenne doit recueillir une majorité qualifiée pour prolonger l’extension d’autorisation du glyphosate. Toute abstention ou vote contre est un mauvais point supplémentaire pour le glyphosate. Reste à déterminer la date précise de ce vote, encore incertaine. « Ça ne se fera certainement pas cette semaine. La date du 23 octobre a été évoquée, mais rien n’est sûr... » pense François Veillerette.

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