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Énergie

Interdire les chaudières à gaz : une fausse bonne idée ?

Interdire les chaudières à gaz pourra décarboner le chauffage, mais entraînera une hausse de la demande électrique.

Le gouvernement pourrait interdire les nouvelles chaudières à gaz dès 2026 pour réduire les émissions de CO2. Cette mesure ne fait pas l’unanimité.

Va-t-on vers une interdiction des chaudières à gaz ? C’est en tout cas l’une des mesures que le gouvernement envisage de prendre pour atteindre la neutralité carbone en 2030. Les chaudières à gaz sont le deuxième mode de chauffage le plus polluant, après les chaudières au fioul. Mais plus de douze millions de ménages en utilisent encore une aujourd’hui pour se chauffer.

La Première ministre, Élisabeth Borne, a déclaré envisager d’en interdire la vente à compter de 2026. Autrement dit, toute chaudière à gaz qui tomberait en panne devrait être remplacée par un autre mode de chauffage : soit un raccordement à un réseau de chaleur urbain, soit une pompe à chaleur aérothermique ou géothermique. Les pompes à chaleur hybrides (mixant gaz et électricité) resteraient autorisées. Une concertation en ligne est ouverte au public jusqu’au 28 juillet sur cette mesure et toutes les autres visant à la décarbonation des bâtiments.

Interdire un équipement qui émet des gaz à effet de serre semble aller dans le bon sens. Pourtant, cette annonce suscite des critiques, y compris chez les fervents partisans de la décarbonation. Un collectif de vingt-cinq organisations a adressé au gouvernement une lettre dans laquelle il met en garde contre « 8 à 9 millions de pompes à chaleur supplémentaires prévues d’ici 2030 sans garantie de gestes d’isolation, et sans analyse des conséquences sur le réseau électrique, avec un risque de fraude excessif ». Voici les quatre principales critiques :

1. Une meilleure efficacité énergétique, mais sous conditions

Installer une pompe à chaleur (PAC) ne garantit pas toujours une meilleure efficacité énergétique. C’est la conclusion d’une étude publiée en janvier 2023 par Cler-Réseau pour la transition énergétique et l’association négaWatt. « Dans les bâtiments classés F ou G — souvent anciens — l’installation de PAC ordinaires en remplacement de chaudières sans action de rénovation énergétique associée n’est pas appropriée », détaille l’étude. En cas de grands froids, une pompe à chaleur ne pourra pas fournir assez de puissance pour chauffer le logement. « Il en résultera une insuffisance de la température intérieure ne dépassant pas 14 °C par grand froid et donc un important inconfort thermique », alertent les deux organisations.

« Bien sûr, il est important de décarboner le chauffage. On ne disqualifie pas les pompes à chaleur qui font partie des solutions à développer, mais on dit qu’il ne faut pas commencer par là, nous explique Danyel Dubreuil, coordinateur efficacité énergétique à Cler-Réseau. Il faut d’abord se centrer sur la baisse des consommations, et donc sur une rénovation performante des logements. » Selon lui, interdire ces chaudières à gaz en 2026 serait très risqué. Si les ménages changent leur équipement de chauffage pour une pompe à chaleur et qu’ils sont déçus du résultat, qu’ils continuent à avoir des factures très élevées, la mesure sera contre-productive. « Elle sera considérée comme une mesure hors-sol, d’écologie punitive », prévient Danyel Dubreuil.

2. Les pompes à chaleur vont entraîner une hausse de la demande électrique

Moins de gaz, mais plus d’électricité. L’installation massive de nouvelles pompes à chaleur — 8 à 9 millions d’appareils sont prévus d’ici 2030 — va mathématiquement entraîner une hausse de la consommation électrique. Selon le Réseau de transport d’électricité (RTE), cette hausse devrait être compensée par la baisse de consommation liée à la rénovation thermique des logements et à la modernisation des installations de chauffage. Tout dépendra donc de l’avancée des rénovations des passoires thermiques.

Le problème se posera surtout au moment des pics de consommation, dites aussi « pointes électriques ». Dans ces moments de tension, il faudra probablement avoir recours aux centrales à gaz ou au charbon pour pouvoir répondre à la demande électrique. Tout au moins tant que les énergies décarbonées ne seront pas suffisantes pour absorber la demande. « GRDF a calculé que [le changement de 12 millions de chaudières à gaz] augmentera fortement la pointe électrique en hiver et nécessitera 10 gigawatts de plus en 2035, soit l’équivalent de dix réacteurs nucléaires supplémentaires », détaille Que Choisir dans un article très critique.

8 à 9 millions de nouvelles pompes à chaleur sont prévus d’ici 2030. © Moritz Frankenberg / DPA / dpa Picture-Alliance via AFP

Thomas Veyrenc, le directeur exécutif en charge de la stratégie et de la prospective chez RTE, le reconnaissait le 7 juin lors d’une conférence de presse : « Il y a un point de vigilance sur la pointe. C’est une question qui concerne le chauffage, mais aussi les mobilités lourdes, les mobilités légères... Est-ce qu’on est capable de mettre en place une capacité de production et de la mettre en place au bon moment ? » Des analyses sont en cours pour répondre à cette question. RTE en publiera les résultats en septembre.

3. Des pompes à chaleur surtout fabriquées en Chine

ELM Leblanc, Frisquet, Chaffoteaux… Alors qu’un grand nombre de marques de chaudières à gaz sont françaises — ou européennes —, les professionnels du secteur pointent du doigt l’origine asiatique des pompes à chaleur. « Enlever un système intégré de gaz pour y poser une pompe à chaleur souvent fabriquée en Chine, notamment le compresseur, je ne suis pas sûr que ce soit bénéfique pour la planète », a justifié Jean-Christophe Repon, président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), auprès de France Info.

Si certaines pompes, notamment des géothermiques, sont bien fabriquées en France, elles ne représentent qu’une petite part du marché. Pour Danyel Dubreuil, de Cler-Réseau, « aujourd’hui, la filière française n’est pas en capacité de fournir autant de pompes à chaleur ». Si on suit le calendrier fixé par le gouvernement, il faudrait en effet remplacer 1 million de chaudières à énergies fossiles par an contre seulement 200 à 300 000 actuellement. « Il faut monter en puissance la capacité industrielle de la France sur ce secteur, notamment pour assurer une qualité des équipements grâce à une meilleure surveillance des normes techniques et sociales. » Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain.

4. Des appareils très chers et un marketing agressif

L’installation d’une pompe à chaleur est onéreuse, avancent ses détracteurs. Les prix peuvent dépasser les 15 000 euros quand une chaudière à gaz de qualité en coûte 10 000 de moins. Pour Danyel Dubreuil, les prix actuels des pompes à chaleur sont artificiels : « La communication autour de ces chauffages et les aides publiques à l’achat proposées créent un appel phénoménal. » Autrement dit, les professionnels profitent de la situation pour augmenter leurs tarifs. Cler-Réseau plaide pour la mise en place d’une « mercuriale des prix », qui recenserait et fournirait publiquement le prix de tous les appareils, afin de donner au consommateur une meilleure image de la réalité tarifaire.

Outre ces prix exorbitants, les ménages sont parfois confrontés à des démarchages intenses. Pour 60 Millions de consommateurs, le boulevard ouvert par les aides financières a attiré des sociétés aux pratiques douteuses, voire illégales. « De nombreux courriers reçus à 60 Millions racontent la même histoire : une personne est démarchée pour l’installation d’une pompe à chaleur. Le vendeur annonce un prix de plus de 20 000 euros, mais assure que la personne n’aura presque rien à payer grâce aux aides financières. Problème : la personne ne voit jamais la couleur de ces aides, ou n’en perçoit qu’une toute petite partie et se retrouve avec un lourd crédit à rembourser », détaillait le magazine en janvier 2022. Des déboires confirmés par une enquête client-mystère publiée en avril dernier.


Les ventes des chaudières au gaz s’effondrent déjà

Selon Uniclima, le syndicat des industries thermiques, aérauliques et frigorifiques, les ventes de chaudières à gaz et à fioul ont diminué de 29 % tandis que celles des pompes à chaleur air/eau ont augmenté de 30 % au cours de l’année 2022. Et pour cause, plusieurs dispositions incitent déjà les ménages à se tourner vers les pompes à chaleur. Tout d’abord, l’installation de nouvelles chaudières au fioul est interdite depuis le 1er juillet 2022. Ensuite, toute nouvelle maison construite depuis le 1er janvier 2022 ne peut plus être équipée d’une chaudière au gaz. Et ce sera au tour des logements collectifs neufs en 2025. Enfin, l’aide à l’achat qui existait est supprimée depuis le 1er janvier 2023. Pour aller plus loin, le gouvernement envisage dès 2024 de remplacer le taux réduit de TVA à 5,5 % par un taux à 20 % pour la pose et l’installation des chaudières à gaz.

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