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Énergie

Isotope, le fournisseur 100% nucléaire qui veut « sauver » l’atome

Les tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Dukovany (République Tchèque).

Isotope Energy est un nouveau fournisseur d’électricité qui souhaite proposer une offre 100 % nucléaire. Une offre militante destinée aux consommateurs voulant soutenir l’industrie de l’atome. Un « déni de réalité » pour ceux qui étudient les risques de cette énergie.


Mise à jour le 1ᵉʳ février 2022 :
Isotope Energy jette l’éponge. La startup qui espérait devenir le premier producteur d’électricité 100 % nucléaire, a annoncé le 21 janvier suspendre son projet. En cause, la hausse des prix de l’énergie. « Les conditions du marché sont aujourd’hui bien trop défavorables pour pouvoir proposer des prix compétitifs avec les moyens qui sont les nôtres », déclare son cofondateur Simon Lembeye sur son blog.



Un nouveau fournisseur d’électricité va bientôt débarquer sur le marché. Sa particularité : proposer une offre estampillée 100 % nucléaire. Son nom : Isotope Energy. Ses fondateurs : Simon Lembeye et Victor Rambaud, deux amis qui se sont rencontrés sur les bancs de l’École polytechnique. Le premier est développeur, le second travaille dans l’intelligence artificielle. Ils assurent n’avoir aucun lien avec le monde de l’énergie mais voulaient en quelque sorte faire leur part.

« Comme beaucoup de gens de notre génération, on s’est intéressé au réchauffement climatique par le prisme des problèmes énergétiques. Et la seule chose qu’on sait faire pour décarboner l’électricité, c’est le nucléaire », assure à Reporterre Victor Rambaud. Le jeune ingénieur reprend ainsi le discours classique des pronucléaires qui jurent que sans l’atome, les émissions carbone de la France seraient bien plus importantes. Tout en balayant les craintes des opposants sur les risques d’accidents, les retards et surcoûts pour la construction des futurs EPR, ou encore l’insoluble problème de la gestion des déchets radioactifs.

« Les pronucléaires nagent dans une forme de déni de la réalité. »

Des enjeux que les cofondateurs d’Isotope évoquent sans trop s’attarder dans un post de blog. « On est face à une jeune génération sincère et angoissée par le changement climatique et qui reçoit, sans le recul qu’apporte l’histoire, le discours véhiculé par certains pronucléaires, notamment Jean-Marc Jancovici », explique à Reporterre Yves Marignac, porte-parole de l’association Négawatt et membre des groupes permanents d’experts de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) « Quand on évoque tous ces risques, les pronucléaires nous disent que c’est géré. Ils nagent dans une forme de déni de la réalité. »

Sur son site internet, Isotope promet une offre d’électricité décarbonée avec deux options au choix : 100 % nucléaire, ou « 100 % bas-carbone » qui mélange nucléaire et hydroélectricité. Un mix qui ressemble trait pour trait à ce que propose… EDF [1].

Capture d’écran de la page d’accueil du site internet d’Isotope Energy.

« Je ne vois pas l’intérêt pour un particulier de souscrire à une offre 100 % nucléaire alors que cela existe déjà avec le tarif réglementé commercialisé par l’opérateur historique. Pourquoi faire cela avec une entreprise de droit privé ? » s’interroge Francois-Michel Hautemaniere, responsable des risques chez Enercoop, un fournisseur d’électricité renouvelable.

Pour Yves Marignac, Isotope Energy ne va pas dans le sens de l’histoire. « Au début, on a cru que c’était un article du [site parodique] Le Gorafi tellement cette offre est en décalage avec les dynamiques à l’œuvre sur ces questions. » Il s’appuie sur le rapport publié par le Réseau de transport d’électricité (RTE) et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui assure que « la sécurité d’alimentation en électricité […] peut être garantie, même dans un système reposant en majorité sur des énergies à profil de production variable comme l’éolien et le photovoltaïque, si les sources de flexibilité sont développées de manière importante. » Il rappelle aussi les analyses de la dernière feuille de route de l’AIE qui décrit un scénario avec 90 % de production d’énergies renouvelables en 2050 et seulement 10 % pour le nucléaire. « Le chemin vers les renouvelables s’affirme de plus en plus. Je pense qu’Isotope s’enferme dans le déni et s’isole dans une vision du système électrique du XXᵉ siècle. »

Mais pour les cofondateurs d’Isotope, il s’agit avant tout de conscientiser le consommateur. « Le nucléaire a besoin d’avoir le vent en poupe car il va falloir construire des nouveaux réacteurs pour relancer la filière. Pourtant, c’est aujourd’hui le vilain petit canard des énergies bas carbone. Il faut donc envoyer un signal fort aux politiques face à une l’industrie décriée publiquement avec des arguments douteux », assure Victor Rambaud. Le gouvernement semble pourtant bien loin de dénigrer l’industrie nucléaire : Emmanuel Macron devrait d’ailleurs annoncer dans les prochaines semaines la construction de six nouveaux EPR.

Électricité d’origine certifiée

Si Isotope Energy peut aujourd’hui proposer une offre d’électricité d’origine nucléaire, c’est grâce à l’évolution réglementaire des garanties d’origines. Ce mécanisme, créé en 2001 par une directive européenne (2001/77/CE), devait à l’origine soutenir le développement des énergies renouvelables. Il s’agit d’un document électronique servant à prouver « qu’une part ou une quantité déterminée d’énergie a été produite à partir de sources renouvelables ou de cogénération », précise le décret d’application publié en janvier 2012. Or, depuis le 1ᵉʳ juillet dernier, ce mécanisme a été étendu au nucléaire

Le ministère de Transition écologique explique à Reporterre qu’il s’agit d’une transposition de la directive RED II sur les énergies renouvelables. « Cette disposition ne remet pas en question le dispositif des garanties d’origine de l’électricité renouvelable mais le complète, sans aucun risque de confusion sur la nature (renouvelable ou non) de l’électricité produite, afin de permettre une information plus fiable et plus transparente pour les consommateurs », détaille le projet d’ordonnance.

Très concrètement, cela signifie qu’EDF, en tant que producteur d’électricité nucléaire, va pouvoir vendre des certificats d’origine aux fournisseurs qui en feront la demande, comme Isotope Energy. Ces certificats sont aujourd’hui vendus aux enchères. En juin 2021, leur coût échelonnait entre 0,66 € le MWh (thermique) et 0,82 € le MWh (solaire et éolien). Quel sera le prix d’un certificat pour un électron nucléaire ? Impossible de répondre à cette question, les prix se faisant aux enchères sur le principe de l’offre et de la demande.

Réussir à lier sobriété et flexibilité

EDF espère-t-il gagner de l’argent grâce à cette nouvelle réglementation ? Le groupe n’a pas voulu s’exprimer sur le sujet, dans l’attente du décret d’application qui doit permettre de « mieux définir les règles du jeu ». Et le ministère de la Transition écologique n’a pas souhaité nous communiquer la date de cette publication.

Quoi qu’il en soit, la nouvelle offre d’Isotope a une dimension militante. « C’est un message envoyé aux consommateurs qui veulent soutenir un certain type d’énergie et qui pensent qu’elle a son rôle à jouer dans un bouquet électrique bas carbone », explique Maxence Cordiez, ingénieur spécialiste en énergie. Mais il n’est pas forcément favorable aux contrats qui ciblent une énergie plutôt qu’une autre. « L’enjeu actuel est de sortir des combustibles fossiles. Il faudra s’appuyer sur toutes les énergies bas carbone. Et dans tous les cas, il faudra faire un effort de flexibilisation de la demande pour pouvoir se passer des centrales à combustibles fossiles qui apportent aujourd’hui une grande part de la flexibilité du système électrique en Europe. Les gens vont devoir apprendre à consommer à certains moments plutôt qu’à d’autres. »

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