Je cherche l’amour - sur les sites de rencontre écolo

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QuotidienLe succès des sites de rencontre ne se dément pas en France, où près de quatre habitants sur dix seraient célibataires. Il en existe pour tous les goûts, toutes les préférences. Y compris pour celles et ceux qui cherchent l’amour écolo. Reporterre s’est inscrit sur l’un d’eux, pour voir.
« Et toi, tu utilises quoi comme site de rencontre ? » Discussion ordinaire entre célibataires, car à l’heure de l’amour 2.0, plus de 2.000 sites de rencontre se partagent la toile. Un phénomène massif qui concernerait quatre Français sur dix. Comment trouver l’âme sœur dans cette jungle ? Autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! Piquée par la curiosité et aiguillée par ma boussole verte, je suis tombée sur GreenLovers, qui se présente comme un « site de rencontre bio et écolo ». Cœur vert et rose singeant le logo du recyclage, photo d’un trentenaire barbu sur un vélo, la page d’accueil aguiche mon regard de baba-bobo. Moi qui croyais que les hippies ne se rencontraient que dans des bals ou sur les Zads…
Intriguée, je me suis donc inscrite. Après avoir rempli les formalités d’usage (âge, sexe, lieu de résidence, signe astrologique), la création du profil vire à l’introspection éthique. Une série de questions intitulée « Quel Green Lover êtes-vous ? » scrute mes habitudes. Végétarisme, crudivorisme, tri, médecine naturelle, écotourisme. Pour les plus timides, une case « écolo du dimanche » permet d’esquiver simplement cet interrogatoire. Sans oublier un « Green Test » de 8 pages à l’attention des plus valeureux.

Passée par le filtre vert, je peux à présent naviguer sur le réseau, découvrant les profils d’autres GreenLovers. « Green », ils et elles le sont, à en croire leur présentation. « Ma vision du monde, c’est qu’on a la chance de vivre sur une planète magnifique, mais chaque jour l’homme la défigure à grands coups de pollution et d’urbanisme galopant », indique un trentenaire, tandis qu’une autre cite Standing Bear, le célèbre chef sioux : « Le cœur de l’homme éloigné de la nature devient dur. L’oubli du respect dû à tout ce qui pousse et à ce qui vit amène à ne plus respecter l’homme. »
« Une personne ayant une conscience environnementale, ayant fait un choix de vie plus proche de la nature ou ayant une alimentation végane souhaite retrouver chez son partenaire ces mêmes préoccupations ou style de vie, m’explique par courriel Lara, la cofondatrice du site, créé en 2012. Il n’est pas forcément facile de rencontrer quelqu’un lorsqu’on vit en pleine nature ou que l’on tend vers un mode de vie en autosuffisance alimentaire et énergétique. » Vivre avec un carnivore quand on est végane n’est pas forcément aisé, de même que tomber amoureux d’un citadin endurci quand on veut vivre au milieu des bois. Autant de disputes évitées si l’on trouve directement chaussure (éthique) à son pied !
« C’est comme un bar où l’on est certain de ne pas entendre du Britney Spears ! »
La dimension verte est effectivement la motivation de nombreux inscrits, à l’instar de Théo [*], 26 ans, végétarien et fan de sports de pleine nature, installé en Rhône-Alpes : « J’ai des valeurs écologiques très fortes, et j’aimerais pouvoir être dans une relation où ces valeurs sont partagées. Sur GreenLovers, j’espère trouver et rencontrer des personnes qui partagent une même vision que moi de l’écologie, du rapport aux autres, au travail. » Pour Léa, 53 ans, francilienne « en pleine transition écologique », il s’agit « de faire un gros filtre, par rapport à ma “recherche”, mieux ciblée que sur d’autres sites comme Meetic. »
Samy, 35 ans, surfait également sur Meetic… avant. Même s’il ne fait pas de la conscience écolo un prérequis pour la rencontre, il a rejoint GreenLovers en quête d’un réseau plus en accord avec ses valeurs. « Vivant seul dans un petit village, ayant deux emplois dont un agricole, et bien que très investi au niveau associatif, c’est un moyen de rester ouvert », me précise-t-il.
« Il y a autant des citadins ayant le désir de se mettre au vert, avec des projets d’habitat participatif ou d’écovillage que des personnes vivant à la campagne qui utilisent le site pour faciliter les échanges, n’ayant pas beaucoup d’occasions de rencontrer de nouvelles personnes dans leur environnement parfois isolé », confirme Lara, insistant sur la diversité des profils. 55 % de femmes, 45 % d’hommes. Un tiers de trentenaires, un quart de quadragénaires, un quart de plus de 50 ans et 18 % de 18-30 ans.

De l’agriculteur limousin à la lactovégétarienne accro au vélo, en passant par le maître yogi, il y en a pour tous les goûts, pourvu que ce soit bio. GreenLovers, c’est un peu 50 nuances de vert. « La grande richesse de critères (écolos, notamment) permet de se rencontrer facilement, de mieux échanger et de revenir sur ce qu’attend l’autre, abonde Samy. On fait moins de rencontres, mais de meilleure qualité. » Il décrit son arrivée sur les sites de rencontre comme « une entrée dans un bar, où chacun a au-dessus de sa tête un grand panneau le décrivant » : « GreenLovers, c’est juste un bar avec une thématique et une déco différentes, où l’on est certain de ne pas entendre du Britney Spears ! »
L’essor des sites de rencontre segmentés a été observé par l’Ifop dans sa dernière étude sur le sujet, en 2015 : « Ils constituent un outil privilégié pour les membres d’une minorité [sexuelle, ethnique, religieuse] recherchant des partenaires structurellement peu nombreux dans la population dans la mesure où il leur permet d’élargir considérablement le nombre de contacts potentiels avec des partenaires tout en leur garantissant un certain anonymat. » Meetic Gay ou LpourL pour les homosexuels, Muslima ou Lehlel pour la communauté musulmane, Alt pour ceux qui pratiquent le BDSM, Parship pour les seniors… Et du côté des écolos, la biodiversité semble également au rendez-vous : GreenLovers, Amours bio, Bio flirt, Rencontre bio, Écolo rencontre, ou encore Green Passions.
« La naissance du premier bébé GreenLovers »
Pour la chercheuse Marie Bergström, la plupart des sites de rencontre constituent ainsi des « espaces pour semblables », destinés soit à être un outil de communication pour une communauté (les homosexuels, par exemple), soit à créer « un entre-soi privé » (pour les sites VIP notamment), ou soit encore à « faciliter l’appariement des inscrits ». « Par sa capacité à réunir un grand nombre d’individus, sans interconnaissance préalable, partageant une caractéristique ou une pratique communes, Internet connaît dès l’origine une spécialisation qui caractérise bien des espaces relationnels en ligne (forums, réseaux sociaux, communautés virtuelles…) » indique la sociologue dans sa Topographie de ces sites publiée en 2011.
Mais si les utilisateurs mettent en avant de belles discussions amicales, « centrées sur les valeurs et non pas sur l’apparence », constate Jo, 26 ans, tous regrettent un nombre de participants trop restreint pour permettre des relations amoureuses. Une seule rencontre sans suite, quelques échanges téléphoniques pour Léa, inscrite depuis 3 mois. « La distance est un frein », avance-t-elle. Même argument pour Théo, qui n’a fait pour sa part aucune rencontre et n’a discuté en 5 mois qu’avec deux personnes. Et la chose se complique encore si vous multipliez les critères de choix : seuls trois profils correspondent ainsi à la recherche « femme, homosexuelle ou bi », dont une personne ne désirant rencontrer que des véganes.

Lara annonce pourtant 15.000 membres actifs, et environ 1.000 participants connectés par jour : « Nous recevons chaque semaine des témoignages de rencontres, et dernièrement, nous avons reçu un magnifique message nous informant de la naissance du premier bébé GreenLovers ! » se réjouit-elle. En comparaison, Meetic comptabilisait, en 2014, 1,4 million de visiteurs mensuels, et Adopte un mec, 600.000. Or sur ce marché, c’est avant tout le nombre d’utilisateurs qui fait la valeur d’un site.
D’après l’Ifop, les sites de rencontre sont de toute façon des espaces de flirt plutôt que des moyens de trouver l’amour. « Si une large majorité d’utilisateurs (69 %) a déjà réussi à enclencher une conversation avec un autre membre d’un site de rencontre, bon nombre d’entre eux en sont restés là sans chercher à transformer ce dialogue virtuel en rencontre physique », note l’étude. Par ailleurs, si la moitié des utilisateurs interrogés se sont déjà engagés dans une relation amoureuse avec quelqu’un rencontré via ce type de site, seuls 17 % s’engagent dans une relation durable.
Dès 2010, dans son livre Sex@mour, Jean-Claude Kauffman faisait la même analyse : sur Internet, « le début de la rencontre est incroyablement facilité et rendu confortable psychologiquement. Chacun peut visionner une infinité de profils, comparer, tester par quelques petits échanges sans risque, débrancher quand il veut. D’où l’illusion fréquente que tout est rendu plus facile dans la rencontre amoureuse, alors qu’en fait, il s’agit seulement des débuts. » La transition dans la vie réelle peut donc s’avérer délicate.
Le business demeure juteux
Malgré la concurrence et les taux de réussite relatifs, le marché de la rencontre mise sur l’avenir. Près de quatre Français sur dix seraient célibataires, selon l’Insee, et ce nombre ne cesse de croître. Le business demeure donc juteux pour les propriétaires de ces sites, pourvu qu’ils trouvent leur niche et leur modèle économique. GreenLovers a pour sa part opté pour un modèle freemium : l’inscription est gratuite, mais la plupart des fonctionnalités sont réservées aux adhérents. « Nous générons également des revenus publicitaires par le biais de Google et en direct avec des annonceurs spécialisés dans le bio et l’écologie », me précise Lara.
Avec son compagnon, également cofondateur, elle gère le site depuis… le Panama. Un détail qui ne manque pas de titiller les convictions de certains de ses utilisateurs. Lara assure n’avoir rien à cacher, la raison sociale étant clairement indiquée, bien qu’elle se dise consciente « que le fait d’être établi au Panama puisse aujourd’hui nuire à l’image de GreenLovers et susciter des interrogations. » Soucieuse de dissiper les doutes, elle nous précise que leur installation dans ce paradis fiscal a été motivée par le « climat tropical », le « contraste entre la capitale hyper développée et la nature encore sauvage sur le reste du territoire », ainsi que par la facilité d’obtention d’un permis de résidence pour les étrangers.
En attendant, de l’autre côté de l’Atlantique, des écolos continuent de chercher l’amour, on line et in real life. Après deux mois de recherche infructueuse, Samy s’est ainsi motivé à faire d’autres rencontres, dans la vie quotidienne. Il a depuis trouvé une compagne, mais reste sur le site pour les relations d’amitié. « Internet, c’est un moyen comme un autre pour se rencontrer. » Les bals et les Zads ont donc encore de beaux jours devant eux.