« Je parlais dans le vide » : ces députés déçus de la Macronie

Cédric Villani, aujourd'hui candidat de la Nupes, au meeting de Yannick Jadot à Paris, le 27 mars 2022. - © Mathieu Génon/Reporterre
Cédric Villani, aujourd'hui candidat de la Nupes, au meeting de Yannick Jadot à Paris, le 27 mars 2022. - © Mathieu Génon/Reporterre
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Politique LégislativesPendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, 48 députés élus avec l’étiquette LREM ont quitté la majorité. Du jamais-vu sous la Ve République. Pourquoi sont-ils partis ? Reporterre a interrogé trois d’entre eux.
• Cédric Villani : « J’avais compris qu’il y avait peu d’ambition écologique... mais là, j’ai perdu tout espoir »

Élu député de la cinquième circonscription de l’Essonne en 2017, le renommé mathématicien a été exclu de La République en marche (LREM) après avoir présenté sa candidature à la mairie de Paris, en 2020, contre Benjamin Griveaux. Il est aujourd’hui candidat sous l’étiquette de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes).
Reporterre — Qu’est-ce qui, dans la politique écologique d’Emmanuel Macron, vous a décidé à claquer la porte ?
Cédric Villani — La première fois où j’ai vraiment été choqué, c’était pour la loi Egalim et plus précisément lorsque j’ai vu que le traitement de la condition animale n’était pas du tout au rendez-vous. À vrai dire, il n’était même pas au niveau de ce qui avait été annoncé dans le programme du candidat Emmanuel Macron. Je me souviens avoir pris la parole en hémicycle. Dans la foulée immédiate de mon intervention, Richard Ferrand [le président de l’Assemblée nationale] avait repris la parole en urgence derrière moi pour bien dire qu’il fallait rester calme sur les mesures du bien-être animal et ne pas se laisser emporter. J’étais sur une position vraiment très allante et lui, évidemment, pas du tout.
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Cette première trahison de la promesse s’est confirmée avec le texte sur les néonicotinoïdes ou encore la loi Climat et Résilience. Ces grands textes ont été les vrais fossoyeurs des espoirs qu’on pouvait avoir dans l’ambition écologique de LREM. Pour moi, ils ont sonné le glas. Déjà avant, j’avais compris... mais là, j’ai perdu tout espoir.
En hémicycle, vous avez défendu un enjeu lié à votre circonscription, à savoir la préservation des terres agricoles du plateau de Saclay...
Exactement, avec la grande polémique du tracé de la ligne 18 du Grand Paris Express. En 2021, j’ai fourni des amendements très réfléchis sur la façon d’améliorer le statut de la zone de protection naturelle, agricole et forestière, de l’étendre au triangle de Gonesse et de la généraliser à d’autres territoires en France.
Malheureusement, j’ai spectaculairement échoué à recevoir la moindre réponse du gouvernement. Les conseillers au ministère de la Transition écologique et solidaire m’avaient assuré qu’il y aurait au minimum une expression du ministre au banc. Résultat : rien du tout. Trois minutes pour rejeter l’amendement en commission, trois secondes pour le rejeter en discussion à l’Assemblée. Cela a été pour moi un marqueur de l’absence de volonté sincère du gouvernement de se préoccuper de ce sujet. Peut-être est-ce juste en dehors de leur culture...
• Émilie Cariou : « Ne pas s’occuper des déchets nucléaires a un impact sur toute la filière »

Trois ans après avoir été élue députée LREM, Émilie Cariou quitte la majorité et cofonde le groupe Écologie Démocratie Solidarité. Il disparaît six mois plus tard, faute d’effectif suffisant. En 2022, l’élue de la deuxième circonscription de la Meuse a décidé de ne pas briguer de second mandat.
Reporterre — Votre déclic a été la réforme des retraites, et non la politique écologique du président ?
Émilie Cariou — Je voyais bien qu’au début du quinquennat, celle-ci était vraiment très en retrait par rapport aux enjeux climatiques. Toutefois, ce n’est qu’après mon départ du groupe que j’ai réellement été déçue. La Convention citoyenne pour le climat, cette initiative inédite visant à réunir les citoyens pour faire émerger des propositions objectives et sans conflits d’intérêts, était bonne. Sauf qu’à chaque fois qu’on voulait enrichir le projet de loi Climat et résilience avec les propositions de la Convention citoyenne très peu présentes, les amendements étaient tous rejetés, évacués ou déclarés irrecevables. Sans parler du temps de parole ridicule. Il y avait là une opportunité de réconcilier le quinquennat avec les enjeux écologistes, mais le rendez-vous a été manqué.
Fin novembre 2021, à l’Assemblée, vous avez interrogé le gouvernement sur la question des déchets radioactifs. Comment jugez-vous sa politique sur la question nucléaire ?
Au-delà de la sortie ou non du nucléaire, rien que la gestion du parc est problématique. Le sous-investissement sur les centrales entraîne aujourd’hui des sujets de corrosions potentiellement inquiétants. Un plan national de gestion des déchets des matières radioactives devait être produit tous les trois ans par le gouvernement, ce qui n’a pas été respecté. Or cette question des déchets est centrale. La filière ne tient que si l’on a une issue de sortie pour les déchets. Ne pas s’occuper des déchets nucléaires a un impact sur toute la filière.
En novembre 2021, j’ai donc posé une question en hémicycle pour savoir quand le gouvernement présenterait ce plan. Et d’autre part, avant de se relancer dans un nouveau programme nucléaire tel qu’il avait été annoncé, allait-on enfin avoir un vrai débat sur les différentes options énergétiques en France et notre stratégie pour les trente années à venir. J’ai aussi déposé une proposition de loi dans laquelle j’ai mis en exergue le sujet de la transparence financière en matière nucléaire. Tout au long du mandat, le Parlement n’a pas disposé de ces informations, ce qui empêche de faire des choix éclairés.
• Sébastien Nadot : « Pour mes collègues de la majorité, je parlais dans le vide »

Docteur en histoire et professeur de sport, Sébastien Nadot est député de la dixième circonscription de Haute-Garonne. Il a quitté le groupe de la majorité à la fin de l’année 2018, avant de rejoindre un temps Écologie Démocratie Solidarité. Il ne se présentera pas aux législatives de 2022.
Reporterre — En décembre 2018, vous avez été exclu du groupe LREM pour avoir voté contre le projet de budget 2019. Pourquoi ce choix ?
Sébastien Nadot — Pour les questions sociales et environnementales. Était-ce du 50/50 ou du 30/70 ? Je ne sais pas. Une chose est sûre, étant vraiment en grand désaccord, je me suis posé une question : suis-je un député de La République en marche ou un député de la République tout court ? La Constitution est très claire sur le sujet. Tout mandat impératif est nul. J’ai donc voté contre et ils ont décidé de m’exclure, pour avoir respecté le jeu démocratique. Suis-je déçu pour autant ? Non. Simplement, il y avait un désaccord clair, net et consommé.
De quelles questions environnementales parlez-vous ?
Il y a eu celle du glyphosate, assez révélatrice, mais c’est surtout l’accumulation de constats que rien n’est mis en œuvre. Ne serait-ce que pour respecter la trajectoire française de l’Accord de Paris. Si la France ne le respecte pas, qui le fera ? J’ai fait un passage de quelques mois à la Commission du développement durable. L’habillage par la communication d’une politique environnementale qui n’en a que le nom, c’est un constat que l’on pouvait faire sur tous les sujets. Et j’ai l’impression que ça n’a pas tellement évolué depuis.
Le 6 décembre 2018, vous avez interpellé le ministre de la Transition écologique au sujet des réfugiés climatiques. Êtes-vous déçu des politiques qui ont été menées sur cette question ?
C’est le moins que l’on puisse dire. À ce moment-là, les propositions de la majorité se succédaient pour que je pose des questions qui ne m’intéressaient pas. À un moment, on m’a dit : « Il faut que tu poses une question, c’est ton tour. » Ce sujet me paraissait très important. Souvent, on a bien du mal à expliquer avec un raisonnement rapide que la perte catastrophique de la biodiversité a des conséquences irréversibles, y compris sur le quotidien des gens. Or là, en parlant des réfugiés climatiques à l’hémicycle, je parlais de personnes qui ont dû fuir leur maison à cause du réchauffement. Avec notre petit nombril de Français, on regarde de loin ce qui se passe au Bangladesh, au Sahel, mais la musique s’accélère.
C’était donc la question d’un député assez naïf et j’ai eu le droit à une réponse de communicant. Autant Nicolas Hulot, alors ministre, l’avait plutôt bien pris. Autant, pour mes collègues de la majorité, je parlais dans le vide. Complètement. La réalité, c’est que ce sujet n’est pas du tout appréhendé. Pour trouver un statut de réfugié climatique, il faudrait revoir les Conventions de Genève, ce qui ouvrirait de nouvelles négociations sur le sujet migratoire. En revanche, les derniers avatars de la guerre en Ukraine nous disent qu’on devrait être en capacité d’activer la protection temporaire également pour ce motif. Point. Nationalement ou à l’échelle européenne, en l’état des textes, c’est possible. Il est juste question de volonté politique.