L’ASN envisage l’abandon du retraitement des déchets nucléaires

Usine de retraitement de La Hague, en 2008, alors Areva. - Wikimedia Commons/CC BY-SA 2.0 FR/Jean-Marie Taillat
Usine de retraitement de La Hague, en 2008, alors Areva. - Wikimedia Commons/CC BY-SA 2.0 FR/Jean-Marie Taillat
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Nucléaire Déchets nucléairesLe président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a décrit le 19 janvier les « fragilités du cycle du combustible et du parc nucléaire ». Il a ouvert l’hypothèse d’arrêter à terme le retraitement des combustibles usés, une particularité de l’industrie française.
Pour la première fois, à la connaissance de Reporterre, un responsable du nucléaire en France envisage ouvertement la fin du retraitement des combustibles usés à La Hague (Manche). Mercredi 19 janvier, lors de sa conférence de presse en visio de rentrée, Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a dit qu’il fallait réfléchir à cette option : « Il faudra soit prévoir la rénovation des installations actuelles si le retraitement est poursuivi ; soit anticiper la mise en place de solutions alternatives pour la gestion des combustibles usés, qui devront être disponibles à l’horizon 2040, si le retraitement est arrêté. »
Pour comprendre ce qui sonne comme un coup de tonnerre parmi le cercle des experts, il faut rappeler que la France est le seul pays, avec la Russie, à retraiter les combustibles usés sortis des réacteurs nucléaires. Lancé dans les années 1960, cette série très lourde d’opérations visait à isoler le plutonium, matière indispensable à la fabrication des bombes atomiques. Depuis, le besoin est devenu moins pressant. Mais alors que presque tous les autres pays recourant au nucléaire ont arrêté le retraitement (États-Unis, Royaume-Uni) ou ne l’ont jamais mis en œuvre (Allemagne, Japon, Belgique, Suède, Finlande, etc.), la France a continué. Résultat : au lieu d’avoir une seule catégorie de déchets radioactifs, les combustibles usés, elle a en toute une série. Chacun pose un difficile problème de gestion : plutonium (on n’arrive pas à utiliser tout le stock), actinides mineurs, uranium de retraitement, Mox usé, etc. En évoquant la fin du retraitement, M. Doroszczuk s’attaque donc à une vache sacrée des nucléaristes français.
Pourquoi cette proposition nouvelle ? Parce que, a expliqué le président de l’ASN, « une série d’événements fragilise toute la chaîne du cycle du combustible » et plusieurs de ses maillons sont engorgés :
• la piscine de l’usine de La Hague (Manche), dans laquelle sont stockés pour l’instant les combustibles usés, arrive à saturation ;
• l’usine Melox d’Orano, dans laquelle on recycle une partie du plutonium pour en faire du combustible, dit Mox, marche très mal : « Nous avons trop de pannes. L’an dernier, nous avons produit entre 50 et 60 tonnes alors que le carnet de commandes affiche 120 tonnes par an », a dit à Usine Nouvelle Régis Faure, porte-parole du site Orano Melox. Ainsi, le plutonium s’accumule à l’entrée, tandis qu’en sortie, a expliqué M. Doroszczuk, « ces problèmes qu’Orano n’a pas maîtrisés conduisent à la mise au rebut de déchets qui contiennent plus de plutonium que prévu » ;
• enfin, a révélé le président de l’ASN, « la corrosion plus rapide que prévu des évaporateurs de l’usine d’Orano La Hague fragilise les capacités de retraitement ».
Au total, « la fragilité des industries du cycle du combustible s’ajoute à la fragilité du parc », a-t-il averti.
Il recommande donc d’anticiper la crise, et soit de choisir la poursuite du retraitement, soit son arrêt. Dans les deux cas, cela impliquera des investissements très conséquents, auxquels il faut réfléchir dès maintenant.
« Un accident nucléaire est toujours possible »
Plus généralement, le président de l’ASN a souligné « le besoin absolu de conserver des marges pour qu’il n’y ait pas de concurrence entre les besoins de production et les décisions de sûreté ». En effet, la situation du nucléaire est très tendue, tant actuellement, avec dix réacteurs à l’arrêt, que dans l’avenir : il n’est pas du tout acquis que les réacteurs pourront fonctionner au-delà de cinquante ans, a indiqué M. Doroszczuk. Et la filière manque de compétences, tant pour gérer le parc actuel et son démantèlement à venir que la gestion des déchets : il faudrait « former 4 000 ingénieurs par an ». On en est loin.
Le président de l’ASN veut bien sûr rester en dehors du débat politique. Mais il est clair que « les messages » qu’il a formulés le 19 janvier devraient être attentivement écoutés et compris par tous les candidats à la présidentielle qui pensent que le nucléaire est la réponse magique au changement climatique. Il a aussi répété durant toute son intervention l’exigence de la sûreté. « Un accident nucléaire est toujours possible », a-t-il rappelé, « et ceux qui prétendraient le contraire prennent une grande responsabilité. Je pense qu’il faut rester vigilant, qu’il Il faut rester réaliste. Un accident nucléaire est toujours possible et cela suppose de l’anticipation. »