L’agresseur d’un cycliste envoyé en prison, une première

Les cyclistes à la sortie du tribunal correctionnel de Saintes, le 23 juin 2022. - © Marie Pragout/Reporterre
Les cyclistes à la sortie du tribunal correctionnel de Saintes, le 23 juin 2022. - © Marie Pragout/Reporterre
Durée de lecture : 3 minutes
Justice TransportsUn conducteur de camion a été condamné à trois ans de prison, dont un ferme, pour avoir renversé puis roué de coups un cycliste à Saintes. Une peine emblématique alors que la mortalité des cyclistes explose depuis 2019.
Saintes (Charente-Maritime), reportage
« Toutes les semaines, nous avons le même cas. Une voiture renverse un cycliste. Soit l’automobiliste part, soit il le tabasse. En général c’est parole contre parole et il y a un non-lieu. Là, c’est différent. Nous avons les images. C’est choquant ! » déclare Teodoro Bartuccio, fondateur de l’association nationale Mon vélo est une vie, en marge du procès de ce jeudi 23 juin au tribunal correctionnel de Saintes.
Ce jour-là, la salle d’audience est bondée. La presse locale et nationale s’est déplacée, ainsi que plusieurs dizaines de cyclistes arborant un maillot jaune en signe de soutien.
Des faits prouvés par la vidéo
Six mois plus tôt, le 11 janvier, un homme de 50 ans, C. Denis, accompagné de son fils de 17 ans, conduisait un 26 tonnes non chargé sur un chemin agricole goudronné. Il a croisé un cycliste, Mickaël [*], muni d’un casque, de lunettes et d’une caméra GoPro pour filmer les paysages. Le cycliste a fait signe au conducteur lancé à toute vitesse de ralentir, parce que le chemin est étroit. « Je vais te mettre une branlée ! » lui répondit le camionneur. Il a alors renversé le cycliste, s’est arrêté, a fait demi-tour, puis est descendu de son camion avec son fils pour aller le passer à tabac.
Ce déferlement de violence sur un cycliste, sans motif apparent, semble à peine croyable. Une chance pour le cycliste, il avait allumé sa caméra lorsque le camion l’a poursuivi. Ne le sachant pas, le conducteur et son fils ont porté plainte à la gendarmerie contre lui, affirmant que le cycliste avait insulté l’homme puis « foncé sur son fils comme un taureau », avec son vélo.
Pendant tout le procès, malgré les faits établis dans la vidéo, le prévenu, impassible, ancien membre des forces armées, ne les a jamais reconnus complètement, ni ne n’a formulé d’excuses à la victime pour ses multiples fractures et trente jours d’incapacité temporaire de travail. À l’exception de sa dernière phrase avant le délibéré, murmurée à voix basse au terme de plusieurs heures d’un procès tendu : « Je regrette ce qui s’est passé. »
Hausse de 30 % des décès à vélo
Au-delà de la violence routière, ce procès est inédit à plus d’un titre. « C’est la première fois qu’une personne a de la prison ferme pour avoir renversé un cycliste alors qu’il n’y a pas eu de décès », précise Teodoro Bartuccio, dont l’association défend les cyclistes victimes. Et ce, alors que 60 % des accidents de cyclistes sont volontaires, déclare l’avocat du plaignant lors de sa plaidoirie.
En filigrane, ce procès, et son verdict emblématique, est aussi celui de la politique française d’aménagement des routes. Selon le bilan 2021 de la sécurité routière, la mortalité des cyclistes a quadruplé de mai 2019 à mai 2021, de 6 à 22. « Il y a 30 % de cyclistes décédés en plus par rapport à 2019, déplore Élisabeth Picaut, présidente du Comité de cyclotourisme de Nouvelle-Aquitaine. De plus en plus de gens utilisent le vélo pour aller travailler et pour les loisirs. De plus en plus d’automobilistes voient des cyclistes alors que les infrastructures ne sont pas adaptées. On en arrive à des extrêmes. C’est un problème politique qui restera entier tant que les élus n’en auront pas conscience. »
Elle dénonce des routes françaises qui « ne sont pas faites pour les vélos. Il suffirait d’une largeur supplémentaire lorsque les routes sont refaites. Pourquoi cela fonctionne-t-il très bien en Espagne et dans les pays du Nord, et pas en France ? »