Reportage — Notre-Dame-des-Landes
L’avenir des terres de la Zad toujours en suspens - tout comme l’expulsion

Durée de lecture : 8 minutes
Notre-Dame-des-LandesLundi 14 mai, le Comité de pilotage pour l’avenir des terres de la Zad, réuni sous la houlette du ministre de l’Agriculture, a « validé » quinze des quarante projets déposés en préfecture. Tout en laissant en suspens la question des expulsions.
- Nantes (Loire-Atlantique), reportage
Le 14 mai était inscrit dans toutes les têtes, marqué du sceau de l’inquiétude. Car ce lundi devait sonner la fin de la très relative trêve décrétée par les pouvoirs publics. Un ultimatum pour les zadistes. Depuis le dépôt des quarante-et-un formulaires individuels, le 24 avril dernier, chacun vivait tendu, dans l’attente et l’incertitude : qui serait expulsé ? Quel nouveau lieu serait détruit ?
Avec la seconde réunion du Comité de pilotage sur l’avenir des terres de la Zad, l’État devait en effet dresser une liste des lieux « éligibles à la signature d’une convention d’occupation précaire », et ainsi dessiner en creux les contours de prochaines expulsions. C’est donc pour réaffirmer leur détermination collective et la solidité de leurs projets agricoles, artisanaux, forestiers et culturels, qu’habitants et soutiens se sont réunis devant la préfecture à Nantes.
À midi, sous un soleil venteux, quelques « tracteurs vigilants » se déploient place du Pont-Morand, face à un important dispositif policier. Au milieu de la rue, un petit groupe hétéroclite se forme, vite entouré de journalistes. Ce sont des membres d’un embryonnaire Comité d’accompagnement et de conseil, formé il y a quinze jours à peine par des praticiens, des chercheurs ou des experts du monde agricole et rural pour soutenir le projet collectif porté par la Zad. « Le nom est maladroit, car les zadistes ont autant à nous apprendre que nous à eux, s’excuse Nicolas Bell, venu de la communauté Longo Maï de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence). Sur la Zad, les expérimentations en cours sont très importantes car elles offrent des solutions à la crise sociale, économique et surtout agricole que nous traversons. Elles ont un intérêt bien au-delà de Notre-Dame-des-Landes, et il serait dommageable pour l’ensemble de la société qu’elles disparaissent. »

Inventer un autre rapport au marché, à la démocratie, au travail collectif. Ils sont une quarantaine de personnalités telles Vandana Shiva, Jean Ziegler ou Marie-Monique Robin à s’être engagés en défense de ce « droit à l’expérimentation », « même si ça ne rentre pas dans les cases ». « Où est l’utopie ?, s’interroge Kevin Morel, chercheur et auteur d’une thèse sur les micro-fermes. À la Zad, ou du côté de ceux qui veulent continuer comme avant ? Aujourd’hui, être réaliste, c’est chercher d’autres voies que celles qui nous mènent dans le mur. » D’autres voies, à taille humaine, interconnectées, où sylviculture, agriculture, culture vont de pair.
« Ce serait une grave erreur de résumer la Zad à une zone occupée illégalement, alors que celles et ceux qui y sont s’occupent de ce territoire », conclut le jeune agronome. À ses côtés, le forestier Philippe Canal enchérit : « Le gouvernement tient à segmenter un ensemble cohérent, un écosystème, décrit ce secrétaire national du Snupfen. Il veut faire un tri pour casser le collectif, car le collectif, c’est la résistance. » Comme en écho à ses paroles, une zadiste nous tend un quatre-pages intitulé Tank on est là : « Le problème, à Notre-Dame-des-Landes, c’est que le collectif qui fourmille ici n’est pas un simple agglomérat de personnes, y écrivent des habitants. C’est un commun qui a mis en échec durant 50 ans les gouvernements successifs, un commun de résistance. Et ouvrir la voie au commun, c’est pour la préfecture ouvrir la voie aux résistances. »
Et c’est aussi pour donner à voir ce collectif « toujours vivace » que différentes composantes du mouvement — Acipa, Naturalistes en lutte, Copains 44, habitants de la zone — se succèdent à la tribune, sous les applaudissements épars d’une foule occupée à déguster le curry de courgettes et chutney de mangue préparés par une des cantine de la Zad. Tous et toutes redoutent un regain de violence et rappellent leur refus de toute expulsion. Quant à une date de reprise des opérations militaires, chacun y va de son pronostic : dès ce mardi, pour un relatif effet de surprise, ou plus tard dans la semaine, après le Conseil des ministres et le match de foot de mercredi soir entre Marseille et l’Atletico de Madrid, ou encore en début de semaine prochaine…

Personne en revanche ne semble apporter beaucoup de crédit à la réunion du Comité de pilotage (Copil), qui se tient au même moment sous les ors de la préfecture. À l’instar de ce paysan, venu avec son tracteur, qui voit ses pourparlers comme un « marché de dupes » : « On n’avait rien à attendre de Nicolas Hulot et pas plus aujourd’hui du ministre de l’Agriculture. C’est plus haut que ça se décide. Et ne parlons pas de la soi-disant marge de manœuvre de la préfète. Qu’elle ait manifesté quelques dissensions avec le général de gendarmerie commandant les opérations militaires, après tout, peu importe. Ou alors c’est un jeu de rôle. Carotte et bâton. Ou comme les duos de flics des interrogatoires, avec le dur et l’autre plus conciliant. Mais comme dans tous les dossiers sensibles, la préfète applique les directives qu’on lui donne. »
« Ce Copil réunit la chambre d’agriculture, les syndicats agricoles, des maires, les services de l’État, détaille Jean-Marie, habitant de la Zad et Naturaliste en lutte. Au total, seuls la Confédération paysanne et Sylvain Fresneau, paysan historique, portent notre voix et partagent nos points de vue. Forcément, on ne peut pas peser. » Ce comité n’émet de toute façon qu’un avis consultatif, la décision revenant au gouvernement. Pour contrebalancer cette instance jugée partiale, « le mouvement a créé une délégation commune, ajoute Geneviève Coiffard-Grosdoy. Elle discute également avec les services de l’État, et c’est par ce biais que la préfète a sorti l’idée des fameuses fiches individuelles. »

Ayant d’abord considéré le processus comme une nouvelle entourloupe, une grande partie des habitants ont finalement décidé de tenter le pari, comme ils l’écrivent dans leur tract : « Nous ne savons pas jusqu’où cette stratégie d’autodéfense administrative du mouvement aura un sens ni quelles marges de manœuvre nous aurons le moment venu (...) C’est un pari, une hypothèse qui repose bien plus sur la force réelle du mouvement de soutien que sur l’illusoire bienveillance de l’administration française. » Autrement dit, « la Zad n’est plus la zone de non droit qu’elle était en 2013 », et pour préserver l’avenir des terres et du projet collectif, une partie des habitants et soutiens misent sur une sortie par les négociations, tout en rappelant leur détermination à « combattre contre l’anéantissement » du bocage. Et comme le combat pourrait se faire concret dès cette semaine, la foule se disperse tranquillement vers 16 h, chacun retournant se préparer ou se reposer en vue des journées à venir.
Du côté de la préfecture, il est 17 h 15 quand Stéphane Travert, talonné par Nicole Klein, entre à larges enjambées dans la salle de réception. Visiblement satisfait, le ministre de l’Agriculture s’installe face aux micros et attaque sans plus tarder le compte-rendu de la réunion du Comité de pilotage. Il décrit une « réunion intéressante » et des acteurs « passionnés d’agriculture », soucieux de trouver des solutions pérennes pour la Zad.
Après un laïus sur le retour nécessaire à l’État de droit, M. Travert déroule la liste des formulaires reçus : 10 projets à caractère socioculturel, qui seront examinés à part, par les élus locaux, 2 projets mêlant artisanat et agriculture, 2 projets sylvicoles et 25 projets exclusivement agricoles. Puis il énumère « les critères qui ont prévalu » :
- le dimensionnement du projet — suffisamment important pour permettre une affiliation à la MSA (la Mutualité sociale agricole) ;
- la capacité professionnelle, c’est-à-dire le fait que le porteur ou la porteuse de projet soit titulaire d’un diplôme agricole ;
- l’absence de conflits d’usage sur les terres — ce qui serait le cas d’au moins 3 projets implantés sur des terres réclamées par les anciens exploitants ;
- l’existence d’une activité agricole déjà développée.
EXPULSION ? « C’EST AU PREMIER MINISTRE ET AU MINISTRE DE L’INTÉRIEUR DE TRANCHER »
15 projets représentant 170 ha ont donc passé le premier filtre de sélection. Maraîchage, élevage ovin, bovin, brasserie, fromagerie, plantes aromatiques et médicinales, pépinière, apiculture. Le ministre ne donne pas de noms mais se félicite que « pour ces projets, des conventions d’occupation précaires pourront bientôt être signées. » Quid des autres projets, qui représentent plusieurs dizaines de lieux et près de 400 ha de terres ? « Nous avons besoin de temps pour les examiner, le prochain comité aura lieu en octobre. » Mais seront-ils expulsables dès cette semaine ? « Je n’entrerai pas dans ce débat, c’est au Premier ministre et au ministre de l’Intérieur de trancher », botte-t-il en touche. On n’expulse pas des gens avec qui on est en négociation, fait remarquer un journaliste. Silence gêné. « Depuis le départ, on a dit qu’on expulserait ceux qui n’ont pas de projet », rappelle la préfète, sans donner plus de chiffre ou de calendrier. Le gouvernement pourrait prendre la décision d’une nouvelle intervention ce mercredi.
Pendant ce temps, sur la Zad, pas moins de cinq interpellations ont eu lieu lors d’opération de gendarmerie. Deux des personnes ont été relâchées dans la soirée.