L’écologie, grande absente des campagnes électorales en Espagne

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Europe Politique Élections européennesDimanche, les Espagnols voteront pour les élections européennes, municipales et régionales et ils viennent de voter aux législatives. Dans ce contexte électoral, la thématique écologique n’a pas émergé. L’implosion de Equo, le parti vert, n’a pas aidé.
- Madrid (Espagne), correspondance
Cinq minutes. Le temps dédié à la question du changement climatique lors d’un débat télévisé, dimanche 12 mai sur la chaîne La Sexta, entre les candidats des cinq grands partis espagnols en lice pour les élections européennes. Cinq minutes, c’est peu mais déjà bien plus que lors des deux débats ayant eu lieu en amont des législatives anticipées du 28 avril dernier. Lors de ces rendez-vous, l’écologie est passée en dessous des radars, mentionnée à seulement deux brèves occasions. Une absence durement critiquée par le quotidien El País dans un éditorial du 26 avril dernier : « Cela devrait être un sujet public de priorité maximale et, cependant, la lutte contre le changement climatique a à peine eu de l’espace dans cette campagne électorale. […] C’est un indicateur de la distance à laquelle se trouve ce sujet de leurs [les candidats] préoccupations immédiates. »
Comme dans le reste de l’Europe, les marches du vendredi pour le climat ont ces derniers mois rassemblé des milliers de jeunes. D’après un sondage YouGov publié le 13 mai par un ensemble de journaux européens, 25 % des interrogés en Espagne placent l’urgence climatique parmi les trois plus grands défis à relever par l’Union européenne — derrière l’immigration et le chômage national. Un chiffre commenté avec précaution par Cristina Monge. « Il y a un côté politiquement correct à dire que c’est un défi important. Tout le monde, ou presque, en est conscient. Mais, si on pose des questions sur des mesures précises ou des sujets plus sensibles, il y aura moins d’harmonie, explique la politologue, membre de la fondation Écologie et Développement (Ecodes). Le problème est que nous sommes dans une triple campagne. Le débat public est centré sur le local, donc sur les élections municipales et régionales, où l’on aborde plus cette thématique dans les meetings et évènements, que sur les européennes, où elle a peu de visibilité », poursuit-elle.
« Ambition et précision insuffisantes »
Dans les programmes sortis à l’occasion des législatives, dont les propositions sont en grande partie reprises pour les européennes, les cinq principaux partis abordent avec plus ou mois de profondeur la thématique environnementale. Un bon début, juge Greenpeace dans une analyse, regrettant tout de même que « la transition écologique [soit] loin de pouvoir se concrétiser à cause d’une ambition et d’une précision insuffisantes ». Discours similaires du côté de WWF ou des Amis de la Terre. Cristina Monge estime « que si tous les partis ont des propositions, ce n’est pas la priorité des citoyens, donc ils ne les mettent pas en avant. Et ainsi va la boucle ».

La question climatique n’est cependant pas absente des programmes. Pedro Sánchez, Premier ministre sortant et vainqueur sans majorité des législatives du 28 avril, a assuré que le changement du modèle énergétique sera une des priorités de son futur budget. Le chef de file du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) veut impulser un Green New Deal permettant « de faire face à la nécessaire transition énergétique au travers de l’essor des énergies renouvelables, de l’autoconsommation et de la création d’emplois dans ce secteur ». Le PSOE maintient l’objectif d’une électricité issue à 74 % du renouvelable en 2030, d’une réduction de 20 % des gaz à effet de serre en 2020 (90 % en 2050) et de l’adoption d’un calendrier de fermeture de toutes les centrales nucléaires — sans plus de précisions. Unidas Podemos (UP, gauche radicale) espère réduire les émissions de CO2 de moitié dans les cinq prochaines années et les abaisser de 90 % en 2040. Le parti issu du mouvement des Indignés souhaite utiliser 2,5 % du PIB pour atteindre cet objectif. Il compte parvenir à une production énergétique entièrement issue de sources renouvelables en 2040, mettre un frein aux voitures diesel, abandonner le « fracking » [1], fermer toutes les centrales nucléaires en 2024 et à charbon en 2025. « Il sera garanti que seront créés antérieurement deux emplois pour chaque poste qui se perd. […] La transition que nous voulons sera juste ou ne sera pas », est-il écrit.
À Equo, le désaccord sur les accords
De son côté, le Parti populaire (PP, conservateurs) vise essentiellement à atteindre les objectifs déjà pris de réduction des émissions pour 2030. Le tout en « prenant en compte les circonstances économiques, industrielles et d’isolement énergétique de l’Espagne ». Il rejette, dans le même temps, les interdictions appliquées aux véhicules à combustion, estimant que « l’évolution technologique et les décisions des consommateurs doivent marquer le rythme de la substitution d’une technologie par une autre ». Les libéraux de Ciudadanos (C’s) veulent, eux, impulser une transformation vers un modèle fondé sur les énergies renouvelables en 2050. Ils proposent aussi la plantation d’environ 500 millions d’arbres — 10 pour chaque Espagnol —, l’actualisation du plan hydrologique national et un parc automobile public 100 % durable. Vox (extrême droite) est le parti dont la réflexion est la moins avancée. Il aspire seulement à un « plan de l’énergie avec l’objectif d’obtenir l’autosuffisance énergétique de l’Espagne sur le fondement d’une énergie peu coûteuse, durable, efficace et propre ». Jorge Buxadé, la tête de liste, s’est contenté de dire que « le changement climatique est une réalité, mais qu’il faut arrêter de rejeter la faute sur nous ».
Le discours sur ces thématiques aurait dû être porté par Equo, l’unique parti écolo du pays, qui compte actuellement un eurodéputé au sein du groupe des Verts/Alliance libre européenne (ALE). Mais il ne présentera aucun candidat le 26 mai. « C’est une énorme surprise », dit Cristina Monge. Equo s’est divisé sur les accords à sceller à l’approche des élections. Une partie voulait s’allier avec Unidas Podemos, l’autre avec Compromís con Europa (coalition de plateformes ancrées à gauche) et ainsi rééditer l’accord de 2014. Une brouille vivement critiquée par le futur ex-eurodéputé d’Equo, Florent Marcellesi, sur son compte Twitter : « Dans le contexte actuel, malheureusement, le travail effectué, les idées et les compétences ont peu de valeur pour ceux qui entendent la politique comme un simple jeu de trônes et de pouvoir. » Ou comment le parti vert espagnol s’est lui-même mis en dehors du Parlement européen.