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Énergie

L’encombrante livraison d’uranium russe à l’Europe

Cargaison d'uranium russe à Dunkerque, lundi 13 septembre 2022.

Une cargaison d’uranium russe à destination d’une usine française en Allemagne a finalement été déchargée à Dunkerque, le 13 septembre. En pleine guerre contre l’Ukraine, cette livraison irrite les collectifs allemands.

Berlin (Allemagne), correspondance

Tout était fin prêt pour l’arrivée du cargo Mikhail Dudin au port de Rotterdam, aux Pays-Bas, dimanche 11 septembre. Chargé d’uranium russe, le navire, en provenance de Saint-Pétersbourg, avait reçu les autorisations nécessaires des autorités néerlandaises. Des camions avaient été affrétés pour apporter sa précieuse cargaison à trois heures de route de là. Destination : l’usine de fabrication de combustibles nucléaires de Lingen, dans le nord de l’Allemagne. Le site est exploité par ANF (Advanced Nuclear Fuels), une filiale du géant français du nucléaire Framatome.

Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Au dernier moment, à l’approche de Rotterdam, le Mikhail Dudin a soudainement repris la mer pour poursuivre jusqu’à Dunkerque (Nord), où il a finalement accosté le lendemain, peu avant midi. Là-bas, l’uranium a été chargé le 13 septembre sous escorte policière dans cinq camions, selon les observations sur place de Greenpeace France. Deux au moins auraient pris mardi après-midi la direction de l’Allemagne.

Pourquoi faire un tel détour de plusieurs centaines de kilomètres ? Contactée, Framatome n’a pas souhaité répondre aux questions de Reporterre. « Il y a énormément d’opacité dans le secteur », regrette Pauline Boyer, porte-parole de Greenpeace France. En Allemagne, une hypothèse circule. « Le détour par Dunkerque est possiblement dû à nos manifestations », avance Alexander Vent, du collectif d’associations antinucléaires de Lingen AgiEL.

La livraison d’uranium russe à Dunkerque, le 13 septembre 2022. © Greenpeace

Outre-Rhin, si la production d’électricité à partir du nucléaire doit cesser définitivement d’ici quelques mois, la fabrication de combustibles radioactifs reste autorisée. Mais, depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, la question de la provenance de l’uranium pour alimenter les usines de combustibles est particulièrement sensible.

Et pour cause : les vingt fûts du Mikhail Dudin sont envoyés par JSC Techsnabexport Tenex, filiale de la compagnie d’État russe Rosatom, fondée en 2007 par le président russe, Vladimir Poutine. À Lingen, ce métal lourd, sous la forme d’hexafluorure d’uranium, permet la production de combustibles pour des centrales nucléaires ouest-européennes. L’usine Framatome livre notamment la France, la Belgique, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suisse, l’Espagne, la Suède et la Finlande.

« Comment la France peut-elle continuer à faire affaire avec la Russie ? »

« Pour nous, tous les signaux d’alerte sont au rouge. Comment la France peut-elle continuer à faire affaire avec la Russie ? » déplore Alexander Vent. Son collectif a organisé une manifestation lundi devant l’usine, fortement relayée par la presse allemande. « Pas de gaz, mais de l’uranium à la place », ironisait dimanche l’hebdomadaire Die Zeit, en référence à l’arrêt des livraisons de gaz à destination de l’Europe via le gazoduc Nord Stream 1.

« Cette livraison montre aussi la dépendance de l’Europe vis-à-vis de l’uranium russe », explique Alexander Vent. Rosatom fournit directement en combustibles dix-huit centrales nucléaires dans l’Est de l’Europe et en Finlande, en plus de ses relations commerciales avec Framatome : les deux géants du nucléaire ont signé un « accord de coopération stratégique sur le long terme » en décembre 2021.

La livraison d’uranium russe en cours fait partie d’un ensemble de trente-cinq autorisées pour l’usine de Lingen, en avril 2021, par l’Agence allemande pour la sécurité des déchets nucléaires (Base). « Vous pouvez imaginer que nous considérons ces cargaisons d’uranium de manière très critique en raison de l’invasion russe, mais aussi de la sortie de l’Allemagne du nucléaire en général », a déclaré lundi Andreas Kübler, porte-parole du ministère fédéral de l’Environnement, en conférence de presse.

Pas question de s’y opposer en l’absence d’embargo européen sur l’uranium russe, contrairement au pétrole et au charbon. « Nous n’avons aucune raison légale d’empêcher le transport d’uranium en provenance de Russie », a expliqué Andreas Kübler. Sous la pression de l’Allemagne, Framatome et Rosatom ont toutefois annulé leur projet de coentreprise sur le site de Lingen, qui impliquait la montée au capital de la société d’État russe à hauteur de 25 %.

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