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ReportageClimat

L’ex-Allemagne de l’Est, bonne élève de la rénovation énergétique

ENQUÊTE 4/4 — En ex-Allemagne de l’Est, la rénovation énergétique va bon train : depuis 2015, les émissions de CO2 ont ainsi diminué de plus de 30 % dans la ville de Neuruppin. L’objectif ? Un parc immobilier neutre en carbone d’ici 2050. Pour cela, les communes s’appuient sur une politique incitative et comptent notamment sur les réseaux de chauffage urbain.

Cet article est le quatrième et dernier de notre enquête consacrée à la rénovation énergétique. Le premier volet : « Rénovation énergétique : une décennie de perdue » ; le deuxième : « Rénover n’est pas jouer : parcours croisé de rénovateurs énergétiques » et le troisième : « Locataires et précaires, grands oubliés de la rénovation ».


  • Neuruppin (Allemagne), correspondance

Stephanie Peters est une locataire comblée. « Il fait très bon, il n’y a pas de courants d’air », dit-elle en faisant le tour de son coquet quatre-pièces du centre-ville historique de Neuruppin, à 70 kilomètres de Berlin. Pas de sensation d’humidité non plus, malgré la météo pluvieuse de ce matin d’octobre. 

La jeune mère de famille a emménagé il y a trois ans au deuxième étage d’un immeuble érigé au tournant du XXe siècle. Il venait tout juste d’être rénové. « C’était un critère pour nous, dit-elle. Nous voulions un appartement moderne et bien isolé, c’est mieux pour notre fille. » Question de confort, mais aussi d’économies. Elle consulte son classeur de factures. « Pour 100 m2 de surface, on ne paye que 550 euros par an de chauffage et d’eau chaude, calcule-t-elle. On est très satisfaits. » Soit environ 46 euros mensuels.

Sur le palier, son propriétaire détaille les travaux effectués : portes et fenêtres, étanchéité de la cave, rénovation de la toiture… « On n’a pas pu toucher à la façade car elle est classée monument historique, raconte Ingo Karbe. Pour le reste, on a tout refait de fond en comble. » L’essentiel a été réalisé par une seule et même entreprise. Rien d’exceptionnel dans un pays où les entreprises du bâtiment sont souvent plus grosses qu’en France et plus à même de proposer des offres globales de rénovation. 

Chantier de raccordement des logements au réseau de chauffage urbain.

« L’avantage, c’est qu’on a un seul interlocuteur et une meilleure coordination des corps de métier », dit Ingo Karbe. Avec l’installation d’un ascenseur, d’une aire de jeux dans la cour et la végétalisation du toit du garage à vélos, les travaux lui ont coûté deux millions d’euros. Et la rénovation énergétique a fait baisser la consommation de chauffage de 50 % dans les onze logements que compte l’immeuble. La consommation d’énergie s’établit désormais à seulement 78,5 kwh/m2/an, soit une performance énergétique de classe B selon les critères français. À terme, Ingo Karbe espère encore l’améliorer en installant des panneaux solaires sur le toit.

La rénovation est perçue comme une opportunité de redynamiser les villes

Au croisement des rues Karl-Marx et Rudolf-Breitscheid, sur la place principale de Neuruppin, l’immeuble d’Ingo Karbe n’est pas une exception. Façades et toitures semblent toutes plus rutilantes les unes que les autres. Une impression confirmée par le natif de la petite ville : gestionnaire de biens de profession, il est en charge de 3.000 logements privés sur la commune, soit le quart du parc immobilier. « Tous ont été rénovés », assure-t-il.

En ex-Allemagne de l’Est, la rénovation est perçue comme une opportunité de redynamiser les villes et de redonner de la valeur au patrimoine immobilier. Dans la foulée de la réunification, les communes, souvent délabrées, ont pleinement profité d’une première vague de chantiers. En 1995 et 1996, le rythme des rénovations y a même atteint 4 % par an, un record. Au début des années 2000, il est en revanche tombé en dessous de 1 % par an, selon l’Institut allemand d’études économiques (DIW).

Pour relancer la machine, la région du Brandebourg a pris l’initiative. En 2011, elle a mis sur pied le programme « Rénovation énergétique dans les quartiers ». Quarante villes y participent aujourd’hui. Plutôt que d’attendre que chaque propriétaire lance les démarches, elles identifient des quartiers entiers à rénover, mettent au point et supervisent un plan global de rénovation. 

L’idée est de prendre en compte le contexte urbanistique et architectural, mais aussi démographique et social de chaque quartier. Le tout sans perdre de vue l’objectif premier : un parc immobilier neutre en carbone d’ici 2050. « Le quartier, c’est la bonne échelle parce que les propriétaires ont des intérêts semblables, confirme Ingo Karbe. Et il y a un effet d’entraînement. Personne n’a envie que son immeuble ou sa maison ait mauvaise allure quand toutes les autres sont rénovées ou que la commune a refait la rue. »  

À Neuruppin, deux quartiers bénéficient du programme : la vieille ville, avec ses petites maisons médiévales et ses immeubles néo-classiques ; et le grand ensemble d’habitations Wohnkomplex I-III, construit à l’époque communiste. Les propriétaires ne sont pas contraints mais encouragés à rénover. La municipalité leur met gratuitement à disposition un conseiller énergie, qui les accompagne dans les démarches, réalise l’audit en amont et établit le diagnostic de performance énergétique après travaux. 

« C’est une aide précieuse, souligne Ingo Karbe. Sans cela, j’aurais probablement investi, mais pas autant. » La recherche de financements n’est pas prise en charge par la mairie mais elle est facilitée par un système de guichet unique. En Allemagne, c’est la banque du propriétaire qui s’occupe du montage financier. La banque publique KfW centralise crédits et subventions, qui couvrent jusqu’à 40 % du coût des travaux avec un plafond fixé à 120.000 euros. Plus la performance énergétique globale est importante, plus l’aide augmente. Des aides régionales complètent le dispositif.

Dans la vieille ville, une façade rénovée jouxte une façade non-rénovée.

La botte secrète pour atteindre les objectifs climatiques : les réseaux de chauffage urbain

Depuis 2015, les émissions de CO2 ont ainsi diminué de 36 % et la consommation d’énergie primaire de 29 % dans la vieille ville de Neuruppin. Dans le Wohnkomplex I-III, la baisse a atteint respectivement 30 % et 35 %. Un « succès » pour Marian Retzlaff, directeur technique de la régie municipale, qui ne s’explique pas seulement par une meilleure isolation. Le réseau de chauffage urbain a également été développé et modernisé.

C’est la botte secrète des communes d’ex-RDA pour atteindre les objectifs climatiques : les réseaux de chauffage urbain couvrent 30 % du marché, contre 14 % au niveau national et à peine 5 % en France. Une avance héritée de la période soviétique, pourtant peu vertueuse en matière écologique : à l’époque, ces réseaux étaient alimentés par les nombreuses centrales à charbon du pays. Les tuyaux étaient trop longs et mal entretenus, causant une importante déperdition de chaleur.

Le toit végétalisé d’un garage à vélos.

Neuruppin a saisi tout le potentiel de cette technologie à la fois collective et décentralisée, plus économe en énergie que des chaudières individuelles. Fini, le charbon : dix petites centrales réparties sur la commune, fonctionnant au gaz et au solaire thermique, chauffent l’eau envoyée dans les tuyaux. Une centrale à bois est en construction. D’ici 2030, le gaz doit être définitivement abandonné au profit des énergies renouvelables, pour un chauffage entièrement décarboné. 

Les propriétaires de Neuruppin ont l’obligation de se raccorder au réseau lorsque leurs chaudières arrivent en fin de vie. Seuls ceux qui veulent faire mieux, par exemple avec une maison passive, peuvent déroger à la règle. « Au début, certains voyaient cela d’un mauvais œil, se souvient Marian Retzlaff. Peu à peu, tout le monde a vu les avantages. Quand la chaudière tombe en panne, on s’occupe de tout. Et puis l’équipement de raccordement au réseau prend bien moins de place dans la cave qu’une chaudière classique. » Pour assurer le succès de l’opération, les autorités misent sur la communication, organisent des réunions régulières. « L’acceptation ne fonctionne que si la transparence est là », résume Marian Retzlaff. 

Le Brandebourg enregistre aujourd’hui le plus fort taux de rénovation énergétique d’Allemagne : 71 % des fenêtres, 66 % des toits, 61 % des façades et 49 % des caves d’immeubles ont été rénovés ces vingt dernières années, selon une étude de l’Université technique de Dortmund. À l’instar des cinq autres Länder d’ex-RDA, la consommation d’énergie annuelle des immeubles y est inférieure à la moyenne nationale : 108 kwh/m2 contre 118, ce qui correspond à un classement énergétique de catégorie C selon les critères français. En France, la moyenne nationale est de 250 kwh/m2, tout type d’habitation confondu, soit la catégorie E.

La réussite de Neuruppin et ses voisines d’ex-RDA ne doit pas cacher les difficultés de l’Allemagne en matière de rénovation énergétique. Malgré un investissement colossal — 340 milliards d’euros versés par la KfW depuis 2010 —, les émissions de CO2 n’ont diminué que de 2,6 %. Le secteur du logement émet à lui seul un tiers des gaz à effet de serre de l’Allemagne. 

Comment l’expliquer ? Après avoir baissé de 31 % entre 1990 et 2010, la consommation énergétique des logements s’est depuis stabilisée, autour de 130 kwh/m2/an par foyer. La faute à des travaux d’isolation pas toujours efficaces. Et aussi, paradoxalement, à une surconsommation des ménages qui bénéficient de la rénovation de leurs logements, selon la fédération allemande de sociétés immobilières GdW. C’est ce qu’on appelle « l’effet rebond ». Pour la GdW, il faudrait fixer un objectif d’émissions de CO2 à chaque rénovation, plutôt qu’un objectif de consommation d’énergie comme c’est le cas actuellement.

L’appareil de raccordement au réseau de chauffage urbain, dans la cave.

Par ailleurs, le rythme des rénovations ne dépasse pas 1 % au niveau national alors qu’il faudrait le double pour que le pays tienne ses objectifs climatiques. « On arrive à la limite d’une politique incitative, juge Andreas Rüdinger, chercheur à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales). Les ménages les plus réactifs ont rénové. Il faut maintenant passer à des obligations plus fortes. » Dans un pays où 58 % des habitants sont locataires — l’inverse de la France —, difficile pour eux de faire rénover leur logement par des propriétaires qui n’en tirent pas de bénéfices directs dans leur quotidien. 

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