Rénover n’est pas jouer : parcours croisés de rénovateurs énergétiques

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ENQUÊTE 2/4 — La rénovation énergétique a le vent en poupe, portée par la communication verte du gouvernement. Mais hors des ministères, les travaux se révèlent souvent compliqués et coûteux. Celles et ceux qui se lancent se retrouvent bien souvent sur un chemin long et semé d’embûches.
Cet article est le deuxième de notre enquête en quatre volets consacrée à la rénovation énergétique. Le premier volet : « Rénovation énergétique : une décennie de perdue » ; le troisième : « Locataires et précaires, grands oubliés de la rénovation » ; et le quatrième : « L’ex-Allemagne de l’Est, bonne élève de la rénovation énergétique ».
À Toulouse, « un vrai confort » et quelques économies

Cet été encore, Maxime a eu chaud. Il habite avec sa femme et ses deux enfants un appartement dans le quartier Saint-Michel, quartier populaire toulousain pas encore complètement embourgeoisé (gentrifié). Cet ingénieur d’Airbus, âgé de 43 ans, y a acquis un T3 de 75 m² au dernier étage d’un petit immeuble en brique rose. Bien que fort esthétique, le matériau est loin d’être le meilleur isolant contre le froid et contre les pics de chaleur qui se multiplient dans la Ville rose. Comme il était « hors de question de poser des climatisations partout », l’alternative était donc de réisoler le toit ainsi que les baies vitrées.
Le projet est né fin 2015 avec l’aide de l’association Solagro « pour voir si le gain de confort estimé valait les importants investissements à réaliser ». Au total sur 32.000 € de travaux (100 m² de toitures et trois baies vitrées), il est éligible à 11.000 € d’aides, entre l’Agence nationale de l’habitat (Anah), un écochèque de la région Occitanie et un prêt à taux zéro. C’est au moment de signer que la famille s’est interrogée : « Quitte à poser des échafaudages, est-ce qu’on n’en profiterait pas pour rehausser le toit ? » Et ainsi transformer la mezzanine trop chaude en un étage complet. « On a reporté l’isolation de quatre ans », un délai qui ne les a pas empêchés de toucher les aides promises. L’économie dans les dépenses de chauffage est en définitive toute relative : 30 € par mois, ou 360 € par an. Maxime a calculé que ça lui prendrait plus d’une vie pour rembourser le coût total des travaux. Ce qui change, c’est que désormais « on a vrai confort, avec des températures agréables et qui ne varient plus entre les différents étages et pièces ».
En Aveyron, « plus un rond » pour changer les fenêtres ou la chaudière
À Saint-Beauzély (Aveyron), Chloé profitera au moins d’un hiver au sec. Actuellement en recherche d’emploi, elle a acquis en 2018 une maison de 160 m², dont 80 habitables, à 550 mètres d’altitude, sur les contreforts du plateau du Lévezou, près de Millau. « La maison était en assez bon état, mais il fallait refaire le toit », raconte-t-elle. Et rapidement, car les premières fuites sont apparues dans la chambre à coucher. Elle a donc fait appel à un artisan, qui lui a proposé de conserver l’ancienne couverture et d’y ajouter « une bâche isolante et de remettre de l’ardoise par-dessus », élément essentiel quand on habite à quelques centaines de mètres d’un château classé. Coût total : 11.000 €. « J’ai tout financé de ma poche. » Car la toiture et les façades « sont considérées comme de la rénovation simple, une remise en état, comme pour les façades ou la peinture — la rénovation énergétique éligible à des financements concerne, elle, l’isolation des combles, des murs, des sols, les menuiseries de fenêtres et le mode de chauffage. C’est justement pour remplacer ses convecteurs électriques et faire l’isolation des portes et des fenêtres que Chloé a demandé à une amie « qui bosse dans le social » de l’aider à monter un dossier pour demander des d’aides. Parce qu’après avoir « tout dépensé dans le toit, je ne pourrai pas financer plus sans des aides à 100 %. »

Jean-François connaît une situation semblable : en 2016, il est revenu vivre au pied du Larzac, à Saint-Paul-des-Fonts, dans la maison familiale en pierres sèches, datant du XIXe siècle. « J’ai fait refaire l’isolation des fenêtres en double vitrage, isolé le toit et installé un insert en complément de la chaudière au fioul ». Pour tout cela, il a été accompagné d’Oc’Teha, un organisme local privé mandaté par l’Anah. « La procédure s’est faite relativement vite, d’autant que je suis quelqu’un de plutôt habitué à monter des dossiers. » Bonne expérience également avec l’Espace Info Énergie : « Ils ont été super, ils ont bien pris le temps de cibler mes besoins. » Seul hic, le délai pour recevoir les fonds : six mois pour toucher 6.500 € de subventions. La faute à un « embouteillage administratif » à plusieurs niveaux. Sauf que « des artisans qui attendent six mois pour être payés, ça n’existe pas ». Il lui a donc fallu liquider une assurance vie, ne lui laissant « plus un rond de côté ». Depuis, la crise Covid a fortement affecté l’activité de ce professionnel de la culture. Mais, désormais, « au moins il fait bon, le bureau et le rez-de-chaussée sont vivables ». Cet hiver, il chauffera surtout au bois, évitant au maximum d’utiliser la chaudière au fioul, dont le remplacement attendra. « C’est clair qu’avec un reste à charge zéro, ce serait plus simple. »
À Montpellier, erreur administrative en votre défaveur, ne touchez pas 11.000 €
Martine (prénom modifié) peut paraître éloignée des problématiques de précarité énergétique. Près de Montpellier (Hérault), elle vit dans une maison de moins de vingt ans avec ses deux enfants. Mais les ressources de cette jeune femme de 36 ans sous tutelle ne suffisent déjà plus à payer des factures énergétiques d’environ 160 € par mois. La faute à une chaudière au fioul qu’elle alimente continuellement en bidons, en l’absence de cuve, pour chauffer ses 110 m² carrés. Spécialisée depuis quarante ans dans l’accompagnement aux questions d’énergie, l’association Gefosat l’a aidée à remplacer sa vieille installation par une pompe à chaleur air/eau. Après des recherches, Laurent, le technicien-conseil, est parvenu à monter un dossier 100 % subventionné, intégrant notamment une part de MaPrimeRénov’ lancée début 2020. Le dossier validé en juillet, il restait à obtenir, toujours avec MaPrimRénov, une avance pour lancer les travaux avec les artisans. Et là, impossible de débloquer le dossier : d’une part parce que « l’association Gefosat n’était pas référencée comme intermédiaire de confiance par la plateforme — et ne l’est d’ailleurs toujours pas aujourd’hui », explique Laurent. Mais aussi parce que même en utilisant directement l’espace personnel de Martine — avec son autorisation — impossible de valider le dossier. » Des bugs informatiques qui deviennent vite très problématiques : « J’ai appelé le support, ils ne pouvaient pas valider eux-mêmes et m’ont renvoyé vers une adresse électronique », qui lui renverra juste une réponse automatique. Deux mois déjà que les travaux sont à l’arrêt, car « sans MPR, toutes les autres aides sont bloquées ». Le conseiller déplore « le temps considérable passé à réaliser toute cette ingénierie financière et à gérer ces problèmes ». Pour lui, « ceux qui s‘en sortent, ce sont ceux qui ont les moyens d’avancer la somme ».
À Aubervilliers, « jusqu’à 400 euros d’électricité par mois en hiver »
Dans le quartier de la Maladrerie, Aline, aide-soignante de formation, attend depuis encore plus longtemps. Elle vit seule avec ses deux enfants dans son pavillon HLM de l’allée Nicolas-de-Staël, construit à la fin des années 1970, qui de prime abord, à son arrivée en 2015, semblait coquet, avec son petit jardin et ses hauts plafonds. Sauf que, comme chaque année, octobre marque le début de la saison où « il fait toujours froid » à l’intérieur, alors qu’en parallèle les factures d’électricité « montent jusqu’à 400 euros par mois ». Et ce, alors que « je mets le chauffage en mode économique dès que je peux », assure-t-elle. Seule exception, la chambre du plus petit, qui développait des allergies à cause de l’humidité et des moisissures, qu’elle enlève régulièrement sur les bords des fenêtres et sur les murs noircis. « La seule solution c’est de refaire toute l’isolation. » Alors avec ses voisins, Aline a rejoint l’Alliance citoyenne d’Aubervilliers, un syndicat de quartier qui se mobilise depuis des mois pour réclamer à l’Office public de l’habitat des mesures d’urgence pour rénover son pavillon comme ceux de ses voisins. Si des travaux d’urgence ou une aide financière ont été refusés, on lui promet prochainement une solution de relogement, cinq ans après sa demande.
- Le troisième volet de notre enquête : « Locataires et précaires, grands oubliés de la rénovation »