L’habitat « sauvage », un refuge prometteur

L’artiste Léna Durr vit dans un mobile home. « La base de mon travail, c’est une énorme collection d’objets chinés aux Puces, objets issus de la société de consommation et dont plus personne ne veut. J’ai fait beaucoup de mises en scène, portraits ou installations avec ces objets. » - © Léna Durr
L’artiste Léna Durr vit dans un mobile home. « La base de mon travail, c’est une énorme collection d’objets chinés aux Puces, objets issus de la société de consommation et dont plus personne ne veut. J’ai fait beaucoup de mises en scène, portraits ou installations avec ces objets. » - © Léna Durr
Durée de lecture : 7 minutes
Culture et idées Alternatives Social Habitat et urbanismeUne exposition présentée dans le Var donne la parole à des habitants vivant en pleine nature, dans un mobile home, une yourte ou une cabane. Ce qui les motive ? S’éloigner d’une société violente, et vivre mieux, avec et pour la nature.
« Comment je fais avec l’électricité ? Je me suis branché sur mon voisin… Non, je déconne ! » Comme ils sont vivants, ces entretiens autour de l’habitat léger réalisés par l’artiste Léna Durr ! C’est la vie en caravane, yourte, cabane ou tiny house racontée par ceux-là mêmes qui l’éprouvent au quotidien : dix-sept Varois et Varoises (dont Léna Durr elle-même), avec leurs pépites de vécu, leurs blagues de terrain.
Ils sont au cœur de la dernière exposition de cette jeune plasticienne, « Habitats sauvages », présentée jusqu’au 27 novembre au Centre d’art contemporain de Châteauvert, dans le Var. Celles et ceux qui n’auraient pas la chance de pouvoir s’y rendre pourront les écouter sur le site de l’artiste. D’une durée comprise entre vingt et quarante minutes, ils font apparaître une contre-culture populaire, entre recherche d’autonomie et joie de vivre avec la nature.
Il y a Éric, un ex-informaticien qui a choisi de vivre en yourte et de se reconvertir en permaculture pour fuir sa « vie toxique ». Pierrot et Samantha, qui poursuivent une vie nomade en roulotte, par amour des équidés et pour « se détacher au maximum de la propriété ». Catherine, qui préférerait « une maison avec un grand terrain, comme tout le monde » à son mobile home réaménagé… La réalité de l’habitat léger est multiforme, et c’est un des atouts de cet éventail d’entretiens d’en rendre compte.
Une fierté à faire les choses par soi-même
Bien sûr, l’essor de cet habitat dit non conventionnel est parallèle à la hausse des prix du logement, de plus en plus oppressants pour les revenus médians, pour ne rien dire du Smic ni du précariat intermittent. Iliana l’a payé cher : étudiante, elle fut gravement brûlée dans l’incendie d’un logement vétuste, et le mobile home fut sa planche de salut. Pour autant, l’habitat léger n’est pas perçu comme un pis-aller : car en permettant la réduction des factures de loyer et de charges, il libère du temps pour vivre, respirer, s’accomplir dans des projets alternatifs, à l’écart du productivisme et de son « stress permanent ». Et puis ne vaut-il pas mieux vivre sans électricité, mais avec de l’espace et une baie vitrée, plutôt qu’à dix dans une pièce, demande Patricia ?
Beaucoup se disent « heureux » de l’avoir choisi. Plus que dépit, l’habitat léger est défi. D’où le titre choisi par Léna Durr pour son exposition, « Habitats sauvages » : « Je préfère dire “sauvage” parce que ces habitats sont souvent petits, comme le nid d’un animal, et bien souvent hors-la-loi, car souvent installés sur des terrains classés non constructibles, précise-t-elle à Reporterre. Et je crois que ça ne déplaît pas à ceux qui les habitent. »

Pour révéler, derrière l’image convenue du « miséreux », une dissidence populaire [1], avec son énergie bricoleuse, son éthique volontariste, il fallait sûrement être une artiste hors-norme comme elle, avoir choisi de vivre en mobile home pour être tout à son travail artistique, sans besoin d’un boulot alimentaire pour payer le loyer mensuel. Il fallait sans doute aussi s’intéresser davantage aux « gens », à la singularité de leurs parcours de vie, qu’à l’exotisme des habitats. Voyez les portraits réalisés pour l’exposition : « Chacun d’eux est inspiré par ce que les gens m’ont raconté. Sacha, par exemple, tient un portrait de sa mère parce que c’est après sa mort qu’il a décidé de vivre en habitat léger », ajoute-t-elle. Une approche sensible enrichie, sur place, d’un livre d’environ 160 photographies, comme autant de fenêtres sur les univers de chacun et sur la culture populaire.
Écouter Roxane (34 ans), Patricia (60 ans), Iliana (25 ans) ou Jean-Claude (80 ans) parler de leur habitat en pleine nature, c’est donc soulever le voile rassurant des clichés et découvrir les liens concrets de ces personnes à leur chez-soi, aménagé au mieux de leur goût, et de leur budget. Sacha, dont la cabane a été recomposée par Léna Durr dans le cadre de son expo, se félicite de sa construction avec des planches de coffrage croisées, pour « 700 euros en tout ! Ça fait sept ans qu’elle est debout, elle est bien isolée, j’en suis content ». Jean-Philippe rêve et construit son espace de vie dans « l’esprit d’un chalet » avec de vieilles caravanes.

Côté réduction des factures d’énergie (chauffage, électricité, eau), ils improvisent de façon variée, et parfois ingénieuse. Éric, néopaysan, a placé sa yourte mongole d’habitation à l’intérieur de la serre, pour qu’elle réchauffe les plantations alentour (ce qui permet les plants précoces au printemps), et soit elle-même protégée des intempéries.
L’expérience est parfois rude, mais n’engendre aucune amertume. « Travailler au jardin, c’est harassant, souligne Éric. Mais, en même temps, c’est très gratifiant, et ça maintient le physique. » Nul besoin de moraline culpabilisatrice sur « la fin de l’abondance » : quand des perspectives de vie exaltantes sont là, la volonté ne manque pas. Après tout, une douche prise rapidement pour économiser les réserves d’eau de pluie pèse-t-elle si lourd à côté de la « fierté à faire les choses par soi-même » (Léna) ? Ou du bonheur de vivre au « paradis », en pleine nature (Françoise) ?
« Pourquoi interdire à quelqu’un de vivre sur un terrain s’il fait attention à la nature ? »
Car la nature est la star unanime de ces entretiens, avec son « calme », son « grand air », ses « apéros entre copains », ses biches, ses lapins, ses chiens, et le « kiff », l’été, « d’être à poil ».
Dans leurs bouches, toutefois, on entend un son neuf : celui de l’époque. Car l’envie n’est plus seulement de vivre dans la nature, mais avec elle, « dedans-dehors », comme ils disent. Une expérience que favorise la texture des habitats légers : vivre en yourte, dit Roxane, « c’est entendre le vent, la pluie, les animaux qui viennent alentour, les sangliers qui viennent manger, retournent la terre… On vit vraiment avec tout ce qui nous entoure. »

Pas étonnant que certains s’enivrent de contemplation, comme Sacha : « Je suis assis au même endroit toute la journée, moi. Donc, tous les jours, je vois la même vue, mais la même vue différente. Et ça, c’est magnifique ! » Voire renouent avec l’art, tout spirituel, d’apprendre du passage des saisons : « Le printemps […], c’est la renaissance de tout, après la sortie du petit cocon d’hibernation. [L’occasion de] se remettre un peu en question… d’aller de l’avant », poursuit Roxane, adepte du yoga.
« C’est ça la sensibilité écologique, résume Léna Durr pour Reporterre. Comment on rétablit d’autres formes de priorité : vivre plus avec… Après on passe sur d’autres trucs. » La consommation superflue, par exemple. Ainsi Alexandre, qui achète au minimum pour ne plus contribuer « à la croissance de la poubelle ». Il récupère le plus possible ce dont il a besoin et consacre son temps à « jardiner, parce que c’est la seule chose dont ce monde ait besoin aujourd’hui : être reverdi ».
Cette connivence donne naissance à de belles idées. Certains imaginent un rapport au territoire plus respectueux des animaux ou, comme Mélanie, professionnelle de l’architecture du paysage, une autre organisation des espaces ruraux. Pourquoi pas « des fruitiers partout » pour tout un chacun et des habitats légers encadrés, qui « pourraient devenir les gardiens de mini-territoires » ? Oui, pourquoi pas ? « Pourquoi interdire à quelqu’un de vivre sur un terrain s’il fait un peu attention à la nature, à l’écoulement des eaux, à la biodiversité, et qu’il ne va pas jouer le goret ? Si on mesurait, on verrait que je pollue moins la planète que peut-être trois habitations en pleine ville », dit Jean-Philippe. Ah ! le peuple, quand on lui laisse la parole, il en lève, des lièvres.