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Animaux

L’huître bio n’est pas triploïde

La grande majorité des huîtres élevées en France proviennent de croisements réalisés en laboratoire. Or, en l’absence d’une obligation d’affichage, seul le label bio garantit une reproduction naturelle. Mais les éleveurs ne se bousculent pas : si les huîtres bio sont plus résistantes et plus parfumées que leurs congénères manipulées, elles rapportent moins.

  • Loix (Charente-Maritime), reportage

À Loix, tout au bout de l’île de Ré, terre et mer s’entremêlent. À marée haute, l’eau serpente dans la vase, dessine des veines autour des marais salants. C’est ici, dans ce site remarquable, que Frédéric Voisin a aménagé des bassins pour élever des huîtres bio.

À 40 ans, après avoir exercé différents métiers, il a décidé de retrouver l’activité ostréicole de ses ancêtres, et choisi de se tourner vers l’élevage d’huîtres naturelles. En 2010, il a été l’un des premiers ostréiculteurs en France à obtenir l’agrément bio : « J’ai toujours eu une sensibilité écologique. Pendant ma formation, j’ai vu que la plupart des ostréiculteurs s’étaient engouffrés dans la production d’huîtres de laboratoire et qu’ils arrivaient à en tirer de gros bénéfices. Au départ, je n’étais pas défavorable à cette production conventionnelle d’huîtres “triploïdes”, mais on a commencé à avoir des problèmes. Ces huîtres d’écloserie ont été dès le début beaucoup plus fragiles aux pathogènes que les autres. »

Les huîtres, produit naturel par excellence, ne sont donc pas forcément bio. D’après Frédéric Voisin, plus de la moitié des huîtres vendues au consommateur, et la quasi-totalité des huîtres servies dans la grande restauration, sont « triploïdes ». Difficile de le savoir, car il n’y a pas d’obligation d’affichage. Le consommateur peut acheter une huître élevée naturellement, ou produite en laboratoire. Seul le label bio lui garantit que les huîtres ne sont pas triploïdes, et sont issues d’une reproduction par captage naturel.

Le transfert des huîtres favorise le développement des maladies 

Il n’y a pas si longtemps, on consommait les huîtres pendant les mois en « r » de septembre à avril, car au moment de la période de reproduction, en été, les huîtres fabriquent leurs gamètes et sont laiteuses, ce qui déplaît généralement au consommateur. Pour pouvoir vendre des huîtres toute l’année, les ostréiculteurs élèvent des huîtres stériles, les fameuses triploïdes, qu’on appelle aussi « huîtres des quatre saisons ». Comme l’expliquent les scientifiques du Creaa (le Centre régional d’expérimentation et d’application aquacole), les huîtres naturelles sont diploïdes (elles possèdent 2 groupes de 10 chromosomes). Si on les accouple avec des mâles tétraploïdes (des reproducteurs qui ont 4 groupes de 10 chromosomes, élevés exclusivement dans les laboratoires de l’Ifremer et vendus aux écloseries), on obtient une huître triploïde qui a 3 groupes de chromosomes et ne peut donc pas se reproduire, la reproduction nécessitant l’association de paires de chromosomes. Cette opération d’accouplement se fait dans une écloserie. Il y en a 7 en France, dont 2 en Charente-Maritime.

Les huîtres bio de Frédéric Voisin.

Autre avantage pour l’ostréiculteur : la triploïde arrive à maturité en deux ans quand l’huître naturelle met trois ans et demi avant d’être commercialisable. « L’huître triploïde a une coquille plus régulière, plus dure, une chair plus constante à l’année. Pour la commercialisation, c’est génial », ajoute Frédéric Voisin.

Mais l’huître voyage beaucoup : en Bretagne, en Normandie et même en Irlande. En effet, l’envasement du bassin de Marennes-Oléron oblige les ostréiculteurs à élever leurs huîtres dans des eaux plus riches et plus froides depuis une quarantaine d’années. On les rapatrie en avril pour passer leur dernière année en Charente-Maritime. Tous ces changements d’eau, de région, ces transports en camion, stressent l’animal. Frédéric Voisin est convaincu que le transfert des huîtres favorise le développement des maladies : « L’herpès des huîtres est un virus qui a été clairement identifié, symptomatique des animaux stressés. Quand vous sortez des huîtres de l’eau et que vous les mettez en camion, elles n’ont pas la même santé que celles qui restent en mer. Quand j’ai vu que les maladies frappaient souvent des huîtres d’élevage, j’ai décidé de conserver une production locale avec une démarche de valorisation. J’ai globalement moins de mortalité dans mon cheptel, car les huîtres en sont adaptées aux eaux locales. Comme elles présentent une plus grande variété génétique, elles sont nettement moins sensibles aux maladies. »

 Le goût pour les produits de qualité

Les huîtres bio de Frédéric Voisin ne connaissent pas le stress sous le soleil de l’île de Ré. Elles grandissent dans un écosystème sain et intelligent où les pyramides alimentaires s’emboîtent : l’ostréiculteur élève dans ses bassins des néréis (des vers de vase) qui servent de nourriture aux crevettes, et celles-ci augmentent la production du plancton, dont se nourrissent les huîtres : « Avec ce système, on a des analyses de coquillages et d’eau qui sont excellentes. Je revendique aussi un goût différent, parce qu’il y a beaucoup plus de parfum dans les huîtres qui sont restées dans l’écosystème longtemps, qui grandissent dans les bassins avec les crevettes, par rapport à une “fine de claire” qui n’est restée dans un bassin que 3 semaines. »

Frédéric Voisin produit de cette façon 30 tonnes d’huîtres par an, triées et calibrées à la main, quand ses confrères industriels commercialisent chaque année mille tonnes.

Frédéric Voisin produit de cette façon 30 tonnes d’huîtres par an, triées et calibrées à la main, quand ses confrères industriels commercialisent chaque année mille tonnes.

Dans le département de Charente-Maritime, près d’une dizaine d’ostréiculteurs ont obtenu le label bio. La demande des consommateurs est très forte, mais produire ainsi est beaucoup moins rentable : « Quand je compare la rentabilité de mon entreprise à celle de mes confrères qui ont fait un choix productiviste, je suis un peu écœuré. Je ne reçois aucune subvention de l’État ou de l’Europe. Les ostréiculteurs bio, ça n’existe pas ! On n’a été que cinq en France pendant très longtemps. En revanche, les ostréiculteurs productivistes sont subventionnés de deux manières : en amont, pour financer leurs investissements. En aval, ils sont indemnisés quand ils ont des mortalités générées par les pratiques culturales. Nous, en bio, on n’a pas les moyens d’investir, on ne déclare pas de mortalité. Donc pas d’investissement plus pas de mortalité égale pas d’aides ! »

Frédéric Voisin vend directement au consommateur au marché de La Rochelle. Financièrement, il s’en sort difficilement, mais il s’agit pour lui d’un choix de vie, et de fidélité à une tradition familiale : le goût pour les produits de qualité. « Mon père faisait un cognac très réputé, j’ai une sœur qui fait du miel, une autre qui produit un très bon vin, moi, j’arrive avec mes crevettes et mes huîtres bio… Je vous laisse imaginer les repas de famille ! »

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