La 8e leçon des jeunes au gouvernement : mettre fin à l’effondrement de la biodiversité

Cette tribune a été écrite par les Camille de la grève de la jeunesse pour le climat du groupe « revendications » constitué à la suite de l’assemblée générale (AG) interfac rassemblée vendredi 8 février 2019 et comportant des étudiant.e.s et lycéen.ne.s de divers établissements de la région parisienne. Cette AG a été organisée par plusieurs associations étudiantes parisiennes écologistes en vue de lancer le mouvement de grève pour l’environnement de la jeunesse reconduite chaque vendredi à partir du 15 février.
Le 12 février 2019, Reporterre publiait leur manifeste pour le climat et leur premier ultimatum : déclarer l’état d’urgence écologique et sociale afin de débloquer un plan interministériel à la hauteur des risques encourus. Par la suite, les Camille de la grève de la jeunesse pour le climat ont formulé plusieurs ultimatums à l’adresse du gouvernement, tous diffusés sur notre site.
À l’occasion de la sortie récente du rapport accablant de l’IPBES (plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), surnommé le « Giec de la biodiversité », et à la suite du G7 de l’environnement tenu à Metz la semaine dernière, les membres du gouvernement devront cette semaine travailler sur l’inquiétant problème de l’effondrement de la biodiversité. Bien que nous n’eussions pas besoin d’un document de 1.700 pages pour nous en convaincre, les scientifiques de l’IPBES ont une fois de plus présenté la gravité de la situation. Une espèce sur huit est aujourd’hui menacée à cause de notre organisation économique ravageuse, tandis que 75 % des milieux terrestres sont « altérés de façon significative », et la tendance s’accélère : l’ère du Capitalocène est aussi celle de la sixième grande extinction de masse. Une part significative de la production agricole mondiale est confrontée au risque de disparition des pollinisateurs due au modèle d’agriculture productiviste, et 245.000 km2 d’écosystèmes côtiers sont devenus des zones mortes à cause des déversements de produits phytosanitaires. La pression exercée sur les écosystèmes à cause de la production de viande selon le modèle d’élevage industriel est insoutenable ; un chiffre qui reste en mémoire : 36 % de la biomasse de tous les mammifères terrestres est celle des seuls humains, 60 % pour le bétail et seulement 4 % d’animaux sauvages. Des milliards de dollars sont débloqués chaque année dans le monde pour soutenir l’agriculture et la pêche, mais une majorité finance aujourd’hui les installations d’exploitation intensive responsables du désastre, et une bonne partie transite d’ailleurs par les paradis fiscaux. Pour une fois, un rapport scientifique met ouvertement en avant la nécessité de « réformes fondamentales des systèmes financier et économique mondiaux ».
À Metz, cependant, les dirigeant.e.s du monde entier ont de nouveau fait preuve de bonne humeur : la moitié de la Charte de Metz consiste à « se féliciter » ou à « reconnaître » le rôle vital de la biodiversité, à réaffirmer que celle-ci est dégradée par des « activités humaines non durables », et par la surexploitation, remettant en question la possibilité même de vivre sur une planète habitable. Bel effort. Comme d’habitude, des « objectifs ambitieux », des « chartes » et autres « accords » non contraignants, des « sommets » en vue de préparer les futures « conventions » (telles que la prochaine COP sur la diversité écologique prévue pour l’an prochain, qui fait notamment suite à celle de 2010, durant laquelle la communauté internationale s’était fixé pour objectif que, d’ici à 2020, « le rythme d’appauvrissement de tous habitats naturels [soit] réduit de moitié au moins et si possible ramené à près de zéro »). Mais aussi des mimiques devant les caméras destinées à apaiser les mouvements écologistes encore bien sages, permettant de temporiser en calmant le jeu avant de poursuivre quelques semaines plus tard le grand massacre. Dans le plus grand silence, à la veille du G7, on apprenait en effet la proposition d’allègement de la procédure réservée aux porteurs de projets d’aménagement (autoroutes, supermarchés, plateformes pétrolières, parcs éoliens, aéroports…) et la possible perte de pouvoir du Conseil national de protection de la nature (CNPN). Enfin, parmi les mesures annoncées par le gouvernement à la suite du rassemblement de Metz, certaines semblent aller dans le bon sens mais ne s’attaquent généralement pas à la racine du problème (comme l’objectif de 100 % de plastiques recyclés en France d’ici 2025, alors qu’il faut tendre vers le zéro déchet), quand d’autres se révèlent carrément hypocrites (comme la promesse d’accroître la lutte contre l’artificialisation des sols, alors que plusieurs grands projets inutiles sont toujours soutenus par l’État, notamment le projet EuropaCity). On nous parle aussi, encore et toujours, de « responsabiliser les consommateurs et les producteurs », au sein d’un modèle où l’irresponsabilité est systémique, et non choisie.
Bâtir une société écologique, c’est aussi renouveler complètement le rapport occidental au vivant
La ligne politique du gouvernement doit radicalement évoluer, pour faire de l’écologie un principe fondamental et prioritaire. Parmi les nombreuses mesures à mettre en place, on pourra citer :
- L’interdiction immédiate de tous les projets présentant un impact néfaste sur la biodiversité d’un lieu en bouleversant son écosystème (activités d’extraction, pesticides et intrants, déforestation, chasse, agriculture et pêche intensives, bétonisation et construction de nouvelles routes, tourisme de masse…) ;
- La réorientation de toutes les subventions actuellement accordées à de tels projets vers les méthodes alternatives et la protection du vivant (agroécologie, débétonisation, protection des écosystèmes, développement de la biodiversité urbaine…). En particulier, la révision de la politique agricole commune (PAC) pour assurer la reconstruction du monde paysan et permettre son indépendance par rapport aux grands semenciers ;
- La réduction drastique des activités d’élevage agricole, et la transition vers le pastoralisme et l’écopâturage ;
- La réforme des programmes scolaires pour délivrer une formation obligatoire en écologie.
L’écologie, en tant que science, est l’étude des interactions vitales au sein des écosystèmes. Les mesures politiques seules ne suffiront pas à réinsérer l’humain dans son écosystème : bâtir une société écologique, c’est aussi renouveler complètement le rapport occidental au vivant. C’est cesser de se représenter l’environnement comme une ressource, de définir des périmètres de réserves naturelles intouchables où la Nature ressemble plutôt à une vitrine de supermarché, de mépriser les peuples autochtones — sur ce dernier point, le rapport de l’IPBES constitue un progrès, remarquant que ces derniers gèrent aujourd’hui dans les faits au moins un quart des terres de la planète, et de façon bien moins destructrice. L’écologie, ce n’est pas sauver la biodiversité de manière utilitariste parce que celle-ci nous procure médicaments, aliments et matières premières, ni comparer la disparition d’une espèce à la perte d’un boulon du véhicule (« Si un avion perd un boulon en vol, ce n’est pas trop grave, il y a d’autres boulons pour tenir l’ensemble. » ). S’il faut lutter contre l’effondrement de la biodiversité, c’est par amour du vivant.
Puisqu’il persiste dans son manque de volonté et maintient ses notes aussi proches de 0 depuis plusieurs semaines, le gouvernement nous a prouvé qu’il n’était pas à la hauteur de la situation. Il n’y a plus rien à attendre de lui, tant il s’est appliqué à ignorer ses devoirs et à mentir. Nous continuerons donc à distribuer les prochains sujets, mais sommes conscients qu’il ne travaillera bien souvent que sous la contrainte. Nous saurons la lui imposer.
Nous donnons rendez-vous à tous les grévistes ce vendredi 24 mai, journée de mobilisation internationale, sur la place de l’Opéra à 13h, pour le huitième rendu des copies.