La Chine dévaste l’environnement du pays des Ouïghours

Exploitation d'un gisement de pétrole aux alentours de Karamai, dans la région ouïghoure, au nord-ouest de la Chine (mai 2017). - © Patrick Wack
Exploitation d'un gisement de pétrole aux alentours de Karamai, dans la région ouïghoure, au nord-ouest de la Chine (mai 2017). - © Patrick Wack
Durée de lecture : 7 minutes
Monde ChineEssais nucléaires, extraction de pétrole, immenses champs de coton... La terrible répression menée par Pékin contre la minorité ouïghoure est aussi une entreprise de dévastation environnementale, décrit l’auteur de cette tribune. En bref, une exploitation du territoire au profit de la puissance colonisatrice. Une manifestation est prévue à Paris le 2 octobre.
Steven De Magalhaes est chargé de plaidoyer à l’Institut ouïghour d’Europe.
« Briser leur lignée, couper leurs racines, rompre leurs liens, anéantir leurs origines », « Tous les éliminer… les détruire entièrement. » Voilà les termes [1] guidant la politique des autorités chinoises en région ouïghoure [2], une province du nord-ouest de la Chine. Cette région est aussi appelée « Xinjiang » depuis 1884, ce qui signifie « nouveau territoire ». Un nom qui illustre bien le rapport colonial qui la lie à la Chine.
Depuis au moins 2016, on y constate des violences politiques extrêmes et protéiformes. Un à trois millions de Ouïghour·e·s sont interné·e·s dans des camps de concentration [3] pour une multitude de motifs dérisoires, dont le port de la barbe ou du foulard, des contacts avec des personnes à l’étranger, l’activation de certaines applications sur son téléphone, etc [4]. Des témoignages de rescapé·e·s font état de tortures, d’agressions sexuelles et de viols dans les camps. Les Ouïghour·e·s sont également soumis·e·s au travail forcé au profit d’entreprises chinoises et de multinationales occidentales [5], et font face à la destruction de leur héritage culturel, religieux (plus de la moitié des mosquées et des cimetières sacrés ouïghours ont été rasés ou endommagés depuis 2017), et architectural, comme l’illustre la destruction de la « vieille ville » de Kashgar dès 2009 [6].

Deux cibles sont privilégiées par la politique génocidaire chinoise [7] : les enfants, transférés dans des orphelinats et pensionnats chinois où ils sont coupés de leur environnement familial et culturel ; les femmes, massivement stérilisées de force, au point que le taux de natalité a baissé de 50 % dans la région entre 2017 et 2019 [8].
Contre les Ouïghour·e·s et autres minorités turciques (Kazakhs, Kirghizs, Ouzbeks, Tatars), l’État chinois orchestre un génocide lent. Ces crimes sont désormais largement documentés grâce aux images satellites des camps, aux témoignages, aux fuites de documents chinois, aux chercheuses et chercheurs spécialisé·e·s et à la presse. Leur dénonciation relève tout autant du féminisme que de l’anticolonialisme, de l’anticapitalisme et de l’antiracisme.
Pétrole, de gaz, de charbon, d’uranium....aspirés pour l’industrie chinoise
Jusqu’ici, la question environnementale est restée dans un angle mort. Elle est pourtant profondément reliée aux autres enjeux : les violations des droits humains d’une population s’accompagnent bien souvent de processus de destruction et d’exploitation de leur territoire – et donc de l’environnement.
L’exploitation du territoire ouïghour est le fruit d’une dynamique coloniale que l’on observait déjà au début de la colonisation chinoise, en 1949. Des « politiques de développement » visaient à rendre la région économiquement profitable et à accaparer les ressources. Ces politiques, qui s’inscrivent aujourd’hui dans le projet des « nouvelles routes de la soie », ont entraîné plusieurs types de pollutions :
- une pollution nucléaire, avec quarante-cinq explosions entre 1964 et 1996 à Lop Nur, un marécage salé situé à l’est du désert du Taklamakan. Selon des estimations [9], au moins un million de personnes ont été touchées par des cancers dus à la radioactivité et plus de 190 000 personnes sont mortes des suites d’une trop forte exposition. À la fin des années 1990, les taux de cancers étaient encore 30 à 35 fois plus élevés que la moyenne nationale.
- une pollution industrielle, causée par les extractions de pétrole, de gaz, de charbon, d’uranium pour les besoins industriels chinois, notamment l’alimentation des centrales thermiques et des réacteurs nucléaires en construction en Chine de l’Est. Or le développement du nucléaire expose les populations à ses risques, et l’extraction, le raffinement et le transport des énergies fossiles génèrent des émissions conséquentes de gaz à effet de serre, des possibles fuites dans l’environnement, et surtout une très forte pollution de l’air.
- une pollution agrochimique, due en particulier à la culture de coton : la production ouïghoure, souvent via du travail forcé, représente 84 % de la production chinoise et plus de 18 % de la production mondiale.
- une pollution liée à l’extractivisme, avec le raffinage de métaux rares. Ils sont indispensables aux produits de haute technologie (smartphones, écrans d’ordinateur, voitures électriques, panneaux photovoltaïques, etc.) mais sont responsables de rejets conséquents de métaux lourds, d’acide sulfurique ou de matières radioactives (uranium) dans l’environnement. Rejets qui provoquent des effets sanitaires néfastes sur la population locale (malformations, cancers). C’est dans cette région que l’on retrouve certaines terres rares en grande quantité comme le béryllium, de métal comme le lithium ou que l’on produit massivement du silicium polycristallin (45 % de la production mondiale) pour l’industrie des panneaux photovoltaïques.

La plupart des ressources produites sont exportées et ne bénéficient pas aux populations locales
Les atteintes environnementales sont telles que l’on se demande si elles ne relèvent pas du crime d’écocide. La plupart des ressources produites sont exportées vers la Chine de l’Est ou vers l’étranger et ne bénéficient pas aux populations locales alors qu’elles rendent l’environnement ouïghour de plus en plus toxique. La qualité de l’air en témoigne : Hotan, en région ouïghoure, était la ville la plus polluée de Chine et même du monde, en 2020. Suivie de Kashgar, Aksu ou encore Shihezi (deuxième, septième et dixième ville aux plus fortes concentrations de particules fines dans l’air en Chine en 2020). On peut à ce titre parler de « racisme environnemental ».
Défendre les droits humains sans se préoccuper de l’environnement, ou au contraire, vouloir prévenir les dommages causés à l’environnement en omettant la question des droits humains n’a pas de sens. Seule une lutte collective peut nous permettre de répondre à des dynamiques racistes, sexistes, coloniales, capitalistes, et de domination et d’exploitation de la nature toutes imbriquées.
En France, l’Institut ouïghour d’Europe organise, avec d’autres organisations européennes de la diaspora ouïghoure, une Marche contre le génocide ouïghour ce samedi 2 octobre à Paris. Elle visera à accélérer, en France et en Europe, la reconnaissance politique et la condamnation des crimes commis à l’encontre des Ouïghour·e·s et des autres minorités turciques. Nous vous y espérons nombreuses et nombreux.