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La SNCF se sert de la grève pour supprimer les « petites lignes »

Entre deux périodes de grève, plusieurs petites lignes ferroviaires connaissent un service très dégradé, voire sont remplacées par des bus. Syndicats et associations d’usagers crient au « sabotage » ; la SNCF plaide des « difficultés d’organisation ». Cette situation met en péril des lignes déjà menacées, comme en Auvergne-Rhône-Alpes ou en Auvergne et Languedoc.

  • Grenoble (Isère), reportage

La grève des cheminots paraît très efficace en région Auvergne-Rhône-Alpes. « En moyenne nationale, un TER sur trois circule pendant les jours de grèves ; en Auvergne-Rhône-Alpes, c’est seulement un sur vingt », constatait le 10 avril, dans un communiqué, la Fédération des associations d’usagers des transports (Fnaut) Auvergne-Rhône-Alpes. Et les usagers de cette région ne sont pas au bout de leurs peines, car hors période de grève, « à peine 50 % des trains TER circulent ». Pire, « pendant ces périodes de trois jours [de non-grève], tous les trains sont supprimés sur plusieurs lignes comme Grenoble-Gap, Annecy-St Gervais, Lyon Saint-Paul–Lozanne, Bourg-en-Bresse-Oyonnax, Clermont-Volvic, Clermont-Montluçon, Clermont–Le Puy-en-Velay et Clermont-Aurillac. Ces lignes sont sacrifiées ! » écrit la Fnaut.

Si des circulations ont repris sur un certain nombre de ces lignes, cartographiées par Reporterre comme menacées à l’occasion de sa grande enquête sur le train, l’emblématique ligne Grenoble-Gap n’entend plus siffler de train depuis le 2 avril. Ils sont remplacés par des bus. Idem pour la ligne Lyon Saint-Paul-Lozanne, Bourg-en-Bresse–Oyonnax et Clermont-Volvic.

Programme de circulation du mardi 17 avril pour la logne Grenoble-Gap. Tous les trains sont remplacés par des bus alors que la grève ne reprenait que les deux jours suivants.

« La direction veut pourrir la ligne [Grenoble-Gap], pourrir la grève. C’est du sabotage ! » nous dit un syndicaliste CGT rencontré à l’assemblée générale des cheminots, sur le parvis de la gare de Grenoble, vendredi 13 avril. L’impression est partagée par beaucoup.

L’assemblée générale des cheminots à Grenoble, vendredi 13 avril.

Contactée par Reporterre, la direction régionale de la SNCF affirme qu’elle n’a « pas du tout la volonté d’arrêter les trains ». Les jours de grève induiraient une difficulté à organiser les plans de transport. Alors la direction fait le choix de prioriser la mise à disposition des trains et du personnel sur les lignes au « flux de voyageurs le plus important ». Soit, depuis Grenoble, la liaison avec Lyon plutôt qu’avec Gap.

« Une volonté de discréditer la grève auprès des usagers »

Le Collectif de l’étoile ferroviaire de Veynes, qui rassemble usagers, élus et syndicats pour la défense du train dans les Alpes du Sud, ne se contente pas de cette explication. Par voie de communiqué, il dénonce le 7 avril une « politique du fait accompli », dont la fermeture justifiée par la grève ne serait qu’une ultime étape d’un démantèlement progressif, dont les signes sont « la suppression de certains trains au profit de cars, les suppressions de point de croisement, les fermetures de guichets ou de halls de gare, le rallongement des temps de parcours et le grignotage progressif des correspondances ». Autant d’éléments d’un cas exemplaire des lignes menacées, que Reporterre a détaillé dans un article publié en janvier. La semaine dernière, le collectif a mené l’enquête sur les éléments de justification de la SNCF pour l’arrêt des trains. Tout comme Reporterre.

Dans le Trièves (Isère), sous les balcons du Vercors, l’un des nombreux viaducs de la ligne Grenoble-Gap. Plus aucun train ne l’emprunte depuis le 2 avril.

Le syndicat Sud Rail ayant déposé un préavis illimité en région Auvergne–Rhône-Alpes, « une partie du personnel est indisponible », selon la direction régionale de la SNCF, et cela même en dehors des périodes de grève communes à tous les syndicats. Un agent de circulation d’une gare de la cuvette grenobloise, syndiqué Sud Rail, nous a confirmé ce préavis. Mais en réalité, il n’est pas appliqué, les syndicalistes de Sud Rail suivant le calendrier de grève perlée, « sauf à Modane, où beaucoup de suppressions de postes sont annoncées ». La ligne Lyon-Chambéry-Modane est touchée, mais il y circule toujours des trains.

Beaucoup de trains ne seraient pas en état de rouler, faute d’entretien, à la suite des jours de grève dans les centres de maintenance, dit encore la SNCF. Selon des témoignages de cheminots que nous avons récoltés sur les secteurs de Chambéry et de Lyon, pas moins de 38 trains capables de circuler sont restés garés lors de la journée pourtant sans grève du 10 avril. La journée suivante, sans grève également, sur la ligne Grenoble-Gap, le Collectif de l’étoile de Veynes a comptabilisé a minima « six trains disponibles et inutilisés ». Soit « quatre trains, stationnés à Chambéry, Gap et Veynes, [sans] aucun rendez-vous de maintenance prévu […]. Ainsi que deux trains [ré]affectés à Chambéry-Ambérieu, mais non utilisés ». Cité par le Collectif de l’étoile de Veynes, un cheminot chargé de l’opérationnel confirme : « On a instruction de la direction de respecter le plan de transport, pourtant, il y a des moments où on pourrait ajouter des trains par rapport à ce qui est prévu. »

Des trains stationnés à Veynes (Hautes-Alpes) le 12 avril. Pourtant capables de rouler sur la ligne Grenoble-Gap.

En conséquence, « les agents de conduite sont disponibles à domicile tout en étant payés », nous explique Bernard Tournier, secrétaire du secteur cheminot CGT de Chambéry. « On paye deux fois pour un service qui est catastrophique. Une fois pour des trains qui ne roulent pas et une autre fois pour des bus de remplacement qui dysfonctionnent », dit Lionel Perrin du Collectif de l’étoile de Veynes. Pour Bernard Tournier, « il y a une volonté de discréditer la grève auprès des usagers. Les dates de grève sont connues depuis longtemps. Les plans de transport auraient pu être anticipés ». La désorganisation est peut-être bien réelle. Selon un autre cheminot chargé de l’opérationnel que nous avons joint par téléphone, « le mouvement gagne des secteurs habituellement peu grévistes, comme la planification des plans de transport ». Une affirmation que ne contredit pas la direction régionale de la SNCF.

« Ce n’est pas avec quelques cars que l’on peut remplacer des trains »

Que cette situation soit le fruit d’une stratégie ou d’une désorganisation de la part de la SNCF, elle met davantage encore en péril des lignes menacées. « Elle dissuade les gens de prendre le train », dit Anne-Marie Ghémard. La présidente de la Fnaut Auvergne–Rhône-Alpes « respecte le droit de grève » et préfère mettre d’abord la région, qui organise les TER, devant ses responsabilités. « La région est très peu engagée. Pour ses lignes, il lui paraît plus facile de fermer que de remettre à niveau. Mais ce n’est pas avec quelques cars que l’on peut remplacer des trains. » [*] Lionel Perrin, du Collectif de l’étoile de Veynes, se dit lui « plus que jamais solidaire de la grève », considérant une intentionnalité de la SNCF pour faire fermer la ligne qu’il défend.

Une banderole en gare de Lus-la-Croix-Haute (Drôme), sur la ligne Grenoble-Gap fin janvier.

Les difficultés actuelles sont présentent ailleurs. À l’image du Cévenol entre Clermont et Nîmes, qui connaît « 70 % de bus et des fréquences en moins », nous informe Denis Fesquet, de l’Association des usagers du Cévenol. La grève révèle le paroxysme de la désorganisation chronique des liaisons dites « secondaires », en sous-investissement depuis de trop nombreuses années.

Pour sortir de l’agonie, les actions se multiplient. Mercredi 11 avril, un rassemblement de 200 personnes s’est tenu en gare de Marjevol (Lozère) pour la préservation du Cévenol, de l’Aubrac et des lignes lozériennes. Quatre jours plus tôt, d’autres manifestants convergeaient en gare de Clelles (Isère) pour réaffirmer l’importance de la ligne Grenoble-Gap. Selon les informations du Collectif de l’étoile de Veynes, les trains devraient recommencer à emprunter la ligne des Alpes ce vendredi 20 avril. Une réouverture obtenue avec beaucoup d’efforts.


À GRENOBLE, HULOT INTERPELLÉ SUR LE BESOIN D’« UN INVESTISSEMENT MASSIF DANS LE FERROVIAIRE »

En visite à Grenoble vendredi 13 avril à propos de qualité de l’air, Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, s’est vu rappeler les désengagements de l’État sur le ferroviaire par les élus locaux.

« Grenoble est un territoire en transition. Nous avons bien entendu le message de la COP21 mais nous ne pouvons avoir que des inquiétudes. En particulier parce que nous avons besoin d’un investissement massif dans le ferroviaire », a expliqué Éric Piolle, maire écologiste de Grenoble, à l’adresse du ministre. L’élu alpin est particulièrement préoccupé par l’avenir de Grenoble-Gap. Quelques heures plus tard, le sénateur (divers gauche et écologiste) de l’Isère Guillaume Gontard remettait au ministre une invitation du Collectif de l’étoile ferroviaire de Veynes à prendre cette ligne. « Grenoble-Gap préfigure un avenir meilleur pour notre santé et notre mobilité. Nous invitons donc Monsieur Hulot à éviter la catastrophe avant qu’elle n’advienne », précise le communiqué du collectif. Au sénateur Gontard, Nicolas Hulot a promis de s’en inquiéter avec la ministre des Transports, Élisabeth Borne.

Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique et solidaire, Éric Piolle, maire (EELV) de Grenoble, et Christophe Ferrari (ex-PS), président de la métropole, lors de la visite ministérielle du 13 avril consacrée à la qualité de l’air.

La ligne des Alpes fait partie des 9.000 kilomètres que le rapport Spinetta, qui a lancé la réforme ferroviaire en cours, propose d’abandonner au nom de critères de rentabilité. Et si le Premier ministre, Édouard Philippe, a déclaré ne pas vouloir suivre « le rapport sur ce point », parce que, « dans bien des territoires, le rail est au cœur de la stratégie des régions pour le développement des mobilités », force est de constater que l’action du gouvernement s’inscrit dans l’abandon des liaisons ferroviaires dites « petites lignes » aux régions. Celles-ci ne font pas le choix ou n’ont pas les moyens de les soutenir. Si des travaux ne sont pas engagés rapidement, la ligne Grenoble-Gap pourrait définitivement s’arrêter en 2019. « Alors qu’elle figure pourtant en toutes lettres dans le contrat de plan État-région (CPER), cette ligne ne fait pour l’instant l’objet d’aucun engagement ni de l’État ni de la Région. […] Les premiers travaux doivent donc être décidés en 2018, sous peine d’arriver trop tard », rappelle le Collectif de l’étoile de Veynes dans son communiqué du 13 avril.

Une banderole accrochée par des soutiens de la Zad lors de l’assemblée générale des cheminots de Grenoble, le 13 avril.

Ce 13 avril, sur le parvis de la gare, des soutiens de la Zad de Notre-Dame-des-Landes ont rejoint l’assemblée générale des cheminots grenoblois, leur affirmant également leur solidarité. Est-ce le signe d’une convergence des luttes qui renversera la vapeur ?

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