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Économie

La Super Halle d’Oullins, bien plus qu’une épicerie écolo

Un magasin où producteurs et paysans fixent leurs prix, un resto qui ne propose que du local et du bio, des événements gastronomiques et culturels, une gouvernance collective… la Super Halle est pleine de promesses, même si le projet a mis du temps à trouver sa voie.

  • Oullins (métropole de Lyon), reportage

En ce jour de week-end, les rues droites bordées de bureaux et bâtiments industriels d’Oullins, commune de la métropole de Lyon, sont bien calmes… sauf devant la Super Halle. Sous un soleil encore radieux de mi-octobre, l’épicerie-resto bio et locale fête sa journée porte ouverte. Les stands des associations locales vous accueillent, une « gratiféria » — marché gratuit — vous invite à la récup’, un atelier disco-soupe prépare des smoothies pour le goûter à partir de fruits et légumes « moches » et une batucada rythme l’événement. À l’intérieur, plusieurs producteurs et artisans vous détournent de votre objectif — faire vos courses — pour vous proposer de goûter bœuf bourguignon, pains, fromages, tisanes, spiruline, ou de discuter des vertus des vrais savons bio. Les tables et bancs chaleureux de la partie restaurant, ainsi que le menu de plats et de desserts faits maison, mettent à votre portée la douce perspective d’une pause récupératrice.

Avec ses rayonnages de bois brut et ses étalages de produits frais, la Super Halle d’Oullins a su créer une ambiance chaleureuse. Sans doute est-ce que le lieu a été conçu pour être bien plus qu’une épicerie bio : sous le même toit sont réunis un magasin, un restaurant-traiteur et un agenda d’animations variées.

L’épicerie travaille en priorité avec des producteurs et artisans, en circuit court. « C’est-à-dire que nous sommes le seul intermédiaire, explique Laure-Hélène Viallon, cogérante de l’épicerie. 47 % de nos produits sont issus de producteurs ou d’artisans. Ils sont une cinquantaine en tout, et la moitié d’entre eux sont implantés dans un rayon de moins de 80 km du magasin. » Les produits secs de l’épicerie sont bios, mais ce n’est pas obligatoire pour les producteurs. Là, c’est « la démarche d’agriculture paysanne » qui prime. Le rayon vrac a aussi une place de plus en plus importante et a représenté 25 % du chiffre d’affaires du magasin, hors viandes et fruits et légumes, en 2016.

« Soit bio, soit local »

Le restaurant, lui, tente d’être fidèle à son nom : La Fabrique des producteurs. « Le menu change tous les jours. On ne cuisine que du frais et tout est soit bio, soit local », explique Nicolas Boyard, chef et cogérant du restaurant. Son ennemi, c’est avant tout l’alimentation industrielle. « Par exemple, mon producteur de porc n’est pas bio, mais c’est du local, du plein air et il a une démarche paysanne. Je préfère cela à de l’industriel, même bio, et qui en plus serait trop cher pour moi, poursuit-il. Et puis, c’est un vrai plaisir de cuisiner de bons produits, moins on les travaille meilleurs ils sont. » Ouvert le midi, il fait 80 à 100 couverts par jour, principalement avec de la clientèle de bureau en semaine.

La synergie avec la partie magasin est toute trouvée : « Je conseille beaucoup de gens qui ne connaissent pas certains produits de l’épicerie et ne savent pas comment les cuisiner. Et puis, c’est sympa de ne pas être tout seul dans son resto », lâche ce grand gaillard.

Les tables et bancs de bois épais sont aussi modulables, s’adaptant aux conférences, projections et vernissages organisés par l’équipe. Un concert et un vernissage de l’exposition de street art qui orne les murs ont été organisés pour fêter les deux ans du restaurant. L’association Negawatt est venue présenter son scénario de sortie des énergies fossiles et du nucléaire. Bientôt ce sera le scénario Afterres de transition vers l’agroécologie d’ici 2050 qui sera exposé.

La relation avec les producteurs est particulièrement soignée. Une des « cogérantes » de l’épicerie leur est dédiée. Dans les rayons, les étiquettes rouges distinguent leurs produits ainsi que ceux des artisans des autres références plus traditionnelles des magasins bio, qui ont une étiquette verte. Les paysans ont un statut particulier : leurs produits sont en dépôt-vente. « C’est donc nous qui fixons le prix de vente affiché en rayon, explique Marie Wasson, cultivatrice de plantes aromatiques et médicinales. On apporte notre marchandise et le magasin prélève une commission de 26 %. Ce n’est pas négligeable, mais je reste assez maîtresse de mes produits. Et puis, l’équipe est bien au courant de comment ça se passe dans les fermes, comprend qu’il puisse y avoir rupture de stock. C’est un rapport qui me plaît bien. »

« Ils ne négocient pas les tarifs », témoigne également Pierre Milnerowitcz, artisan savonnier. Lui n’est pas en dépôt-vente. Malgré tout, « ils te font vivre, ne cassent pas les prix. Alors que certains franchisés font une marge de deux ». Au-delà de la relation commerciale, ce bavard, pas avare de son savoir sur les cosmétiques, apprécie surtout les relations humaines. « J’aime bien les gens qui travaillent ici. Et aussi les clients : ils me connaissent, me voient souvent. J’ai un gros capital sympathie », se réjouit-il.

Une ambiance que les clients apprécient

La structure juridique tente de refléter les valeurs défendues. Le projet de la Super Halle a été monté par le Grap — Groupement régional alimentaire de proximité. Cette coopérative réunit plusieurs activités de transformation et de distribution autour de l’alimentation bio et locale autour de Lyon. Les services de « support » (comptabilité, ressources humaines, juridique, informatique) sont mis en commun entre les structures. Les commandes auprès des producteurs sont regroupées afin de limiter les livraisons. Les locaux sont partagés. Ainsi, les bureaux et l’entrepôt de la Super Halle sont aussi le camp de base d’autres membres du Grap. La gouvernance est collégiale.

Le tout donne une ambiance que les clients apprécient. Pour preuve, « nous avons connu trois années de forte croissance », signale Laure-Hélène Viallon. Le chiffre d’affaires de l’année 2016 s’élevait à 1,5 million d’euros.

Ce succès n’était pas acquis d’avance, et la Super Halle a connu quelques déboires. Un article de la revue Silence, partagé par Reporterre, vous racontait ses débuts prometteurs en avril 2014. Mais le projet n’était alors pas le même, et les producteurs faisaient partie des associés. Plutôt qu’un dépôt-vente, c’était carrément un magasin de producteurs qui était allié à l’épicerie bio et au restaurant. Sur leur partie, les producteurs devaient donc assurer permanences et achalandage des rayons.

Mais après deux longues années d’incompréhensions et de gouvernance difficile, les agriculteurs ont décidé de quitter le projet. Leur magasin de vente directe a alors été intégré dans l’épicerie via le système de dépôt-vente.

Principal désaccord : « Les horaires d’ouverture du magasin, estime Laure-Hélène Viallon, qui était là avant même l’ouverture de la Super Halle. Ils voulaient fermer deux jours de plus par semaine, car ils n’étaient pas assez nombreux pour assurer les permanences, alors que nous voulions continuer d’ouvrir six jours sur sept. » Logique d’épicier contre logique de magasin de producteurs (ils sont en général ouverts trois jours par semaine), les deux n’ont jamais réussi à se mettre d’accord. « Et puis, il y avait des couches de complexité pour la répartition des tâches, du loyer, de l’espace dans le magasin, poursuit-elle. Sans compter que l’on a eu des difficultés économiques au début. Cela a créé des crispations très fortes que l’on n’a jamais épurées », regrette-t-elle.

Une Scop en 2018 

Ajoutez beaucoup d’humain, d’engagement, de sensibilité à cela… Les médiations n’ont pas suffi à permettre le dialogue. « On ne se connaissait pas quand on a commencé, y compris les producteurs entre eux, ajoute encore la cogérante. On avait envie de défendre les mêmes valeurs, mais ça n’a pas suffi. »

La plupart des producteurs fondateurs sont donc sortis du projet. Damien Bathellier fait partie des quelques-uns qui sont restés. « Le magasin était très chronophage pour nous producteurs, et sa logique était éloignée de l’épicerie, pense-t-il. Eux étaient plus marketing, et nous un peu bricolos. » Le maraîcher est resté car il s’impliquait peu dans la gouvernance et n’a donc « pas de contentieux. Mais je comprends mes collègues, qui ont demandé des choses pendant deux ans qu’ils n’ont pas obtenues ».

Damien Bathellier.

Afin de remplacer les producteurs, l’épicerie a dû embaucher une équipe de salariés. La marge du magasin appliquée aux produits est donc passée de 16 % quand c’était le magasin de producteurs à 26 % désormais. « J’ai essayé de ne pas trop le répercuter sur les prix, précise-t-il. La différence, c’est que, maintenant, on ne s’occupe de rien. On indique ce que l’on a de disponible, eux indiquent ce qu’ils ont déjà, et cela s’organise bien. »

Les salariés seront bientôt associés à la gouvernance, la Super Halle devant passer en Scop (société coopérative et participative) le 1er janvier 2018. En espérant que, cette fois-ci, elle ait trouvé le bon format.

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