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Énergie

Prévenir le changement climatique, sortir du nucléaire : possible et réaliste, avec le nouveau scénario Negawatt

Un mix 100 % énergies renouvelables et la neutralité carbone dès 2050, moins de pics de pollution, la sortie du nucléaire… Dans son scénario 2017, l’association négaWatt dessine une transition énergétique ambitieuse et réalisable. Il reste à ce que les politiques choisissent de la porter.

Les pics de pollution, les grandes villes et les vallées encaissées asphyxiées par les particules fines émises par les moteurs Diesel et les appareils de chauffage vétustes ? Un lointain cauchemar. Les appels aux gestes citoyens de Réseau de transport d’électricité (RTE) pour éviter le black-out en pleine vague de froid, les réacteurs nucléaires défectueux à l’arrêt et les nombreuses familles qui peinent à chauffer leur logement mal isolé ? Une triste époque révolue. Dans son nouveau scénario 2017-2050, rendu public ce mercredi 25 janvier, l’association négaWatt dessine pour la France une trajectoire énergétique fondée sur la sobriété et l’efficacité énergétiques et sur 100 % d’énergies renouvelables.

Scénario négaWatt 2017-2050 - Dossier de synthèse.

1. COMMENTDUIRE LA CONSOMMATION D’ÉNERGIE DE MOITIÉ D’ICI 2050 ?

Premier enseignement majeur du nouveau scénario négaWatt : la consommation d’énergie finale peut être réduite de moitié en 2050 par rapport à 2015, même en tenant compte de l’augmentation de la population (72 millions d’habitants contre 65 millions aujourd’hui). « Pour aboutir à ce résultat, il faut mener deux grands chantiers : la sobriété énergétique [responsable de 60 % de la baisse de consommation dans le scénario] et l’amélioration de l’efficacité énergétique des appareils et des systèmes [40 % de la baisse] », explique Thierry Salomon, fondateur et vice-président de l’association. Cela nécessite de traquer tous les gaspillages : le suremballage, les mauvaises habitudes (ne remplir le lave-linge qu’à moitié…), le matraquage publicitaire et l’obsolescence programmée. Pour les domaines agricole et forestier, négaWatt s’est largement inspirée des économies proposées dans le scénario Afterres 2050.

Consommation électrique dans le résidentiel et dans le tertiaire en 2015 et en 2050 dans le scénario négaWatt.

Bête noire du scénario négaWatt, la voiture individuelle. « Prisonniers de ce véhicule à tout faire, nous utilisons la plupart du temps seul, à 30 km/h et en ville, un engin dimensionné pour transporter cinq personnes et leurs bagages à 130 km/h sur autoroute », souligne l’association dans son dossier de synthèse. Elle préconise d’améliorer l’efficacité des moteurs, d’augmenter le taux de remplissage des véhicules, d’encourager l’autopartage et de réduire les vitesses autorisées. Mais aussi de remettre à plat l’organisation du territoire, pour réduire les distances à parcourir entre le domicile, le travail et les commerces et favoriser les transports doux (transports en commun, vélo, marche). Cela permettrait de réduire de 62 % de la consommation finale en énergie en 2050 par rapport à 2015.

Évolution des parts modales des kilomètres parcourus.

Quant aux bâtiments, ils représentent 40 % de la consommation d’énergie finale actuelle, essentiellement pour le chauffage et l’eau chaude, selon négaWatt. Le plus gros chantier à mener est celui de la rénovation énergétique — jusqu’à 780.000 logements et 3,5 % des surfaces tertiaires par an, si l’on veut que la quasi-totalité du parc construit avant 2000 soit convenablement isolé avant 2050.

Programme de rénovation du secteur résidentiel.

2. QUELLE ÉNERGIE CONSOMMERAIT-ON ?

C’est un des principaux messages du scénario négaWatt : un mix 100 % énergies renouvelables — 99,7 % pour être précis — est tout à fait accessible en 2050. Ceci, grâce aux efforts de sobriété et d’efficacité énergétiques qui réduisent nos besoins en énergie. La première source d’électricité sera alors la production éolienne terrestre et en mer, qui fournirait 245 térawattheures (TWh) en 2050.

Évolution des puissances installées d’énergies éolienne et photovoltaïque.

« L’idée forte de négaWatt est que l’ère des énergies fossiles est finie », insiste M. Salomon. Idem pour le nucléaire — l’association est opposée au prolongement de la durée de vie des centrales ainsi qu’à la construction d’une nouvelle génération de réacteurs type EPR, « sur lesquels pèsent de nombreuses interrogations sur les plans financier et de la sûreté ».

« Les cinq dernières années nous ont donné raison. Le coût des renouvelables — éolien et photovoltaïque — a fortement baissé. L’éolien offshore et le biogaz ont également connu de belles avancées », affirme M. Salomon. Qui insiste sur le caractère réaliste de cette transition : « Il ne s’agit pas d’un rêve. Nous avons listé et examiné tous les postes de consommation actuels, une vingtaine rien que pour la maison. Ensuite, nous avons calculé les évolutions possibles année après année, en tenant compte de l’évolution de la consommation, heure par heure, en fonction de la saison. On n’est pas dans du Mary Poppins, un coup de baguette magique et hop, 100 % de renouvelables ! On écrit le topoguide du sentier qui conduit à ce résultat, en indiquant toutes les étapes, le nombre de kilomètres, comment remplir son sac. »

3. QUELS SERAIENT LES BÉNÉFICES DE CE SCÉNARIO ?

Réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et de la pollution, indépendance énergétique, emploi... « Les bénéfices seraient multiples », s’enthousiasme le vice-président de l’association. Exemple avec la rénovation énergétique des bâtiments : « Prenons une famille qui habite dans un logement très mal isolé, humide et plein de courants d’air. Ses membres paient une facture énergétique très élevée et sont souvent malades. Si l’on rénove leur logement, leur facture va baisser et leur santé va s’améliorer. Les travaux mobiliseront des entreprises et des artisans locaux, ce qui va relancer l’activité économique. L’État dépensera moins d’argent en importations de gaz et de fioul. Sans parler de la baisse des émissions de dioxyde de carbone, de particules fines… »

Ainsi, moyennant 1.160 milliards d’euros d’investissements dans le secteur de l’énergie (contre 650 milliards dans un scénario business as usual), le scénario négaWatt permettrait de créer 500.000 emplois nets d’ici à 2050 et d’atteindre 100 % d’indépendance énergétique. Les émissions totales de particules fines, responsables du pic de pollution que connaissent actuellement plusieurs grandes villes françaises, seraient réduites d’un tiers. Elles seraient divisées par deux dans le secteur des transports, voire par trois pour celles liées au trafic routier.

Évolution des émissions de particules fines PM10 du secteur des transports entre 2015 et 2050.

Surtout, le scénario négaWatt, combiné au scénario Afterres 2050 et à son travail sur les puits de carbone, permettrait de réduire très fortement les émissions de GES et d’atteindre la neutralité carbone dès 2050. « C’est un résultat spectaculaire, se réjouit M. Salomon. On a calculé que si les autres pays du monde adoptaient des trajectoires énergétiques similaires, on pourrait limiter à 1,8 °C le réchauffement climatique en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle. » La réciproque est plus inquiétante : si les États échouent à conduire une transition énergétique à un rythme très soutenu, ils ne pourront pas honorer leur engagement pris lors de la signature de l’Accord de Paris de contenir l’élévation des températures sous la barre des 2 °C. « La procrastination ne se rattrapera pas », avertit le vice-président de négaWatt.

Émissions brutes de gaz à effet de serre dans le scénario négaWatt.

4. COMMENT PASSER À L’ACTION ?

Quatorze ans après le premier scénario négaWatt, la transition énergétique peine toujours à s’amorcer… Qu’est-ce qui bloque ? « Nous commençons à gagner la bataille des esprits et des textes, puisque la loi relative à la transition énergétique de 2015 fixe de bons objectifs, sauf en matière de nucléaire, analyse M. Salomon. C’est au moment de la mise en œuvre qu’on n’y arrive pas. » La faute à la prédominance de visions de court terme : « Les bénéfices de ce scénario seront visibles dans dix ou quinze ans, un horizon très lointain pour une entreprise qui se projette à trois ans, un politique tourné vers la prochaine échéance électorale, un trader haute fréquence qui calcule ses bénéfices à la seconde. »

Il attend de l’État qu’il accompagne cette transition grâce à une politique volontariste d’incitations financières et fiscales. « Il faut des signaux économiques, poursuit l’ingénieur. On le voit déjà : au fur et à mesure que le coût des énergies renouvelables baisse, les financiers se détournent du nucléaire sans états d’âme. »

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