La Zad du Testet apprivoise les journalistes et essaye la cacatapulte

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SivensL’annonce de la suspension des travaux du barrage n’a pas suscité grande réaction sur la zone humide du Testet où les zadistes se retrouvent pris sous les feux d’une pression médiatique intense, avec des craintes du retour de la police mais aussi des chantiers de construction de nouveaux campements et une détermination intacte. Reportage.
- Albi et Zad du Testet, reportage
« Carcenac démission, Sivens, abandon ». Le slogan rime et est répété par deux cents personnes rassemblées vendredi matin 31 octobre devant le Conseil général du Tarn, à Albi. Essentiellement membres du collectif Testet, l’assemblée tranche avec les manifestations houleuses et très médiatisées de ces derniers jours. Il faut dire que l’essentiel des troupes est resté à Sivens. Depuis trois jours, chaque soir un petit vent de panique s’empare des occupants quant à savoir si une intervention policière interviendra. « Carcenac a dit que le chantier était suspendu mais n’a rien dit sur le retour des flics » analyse Manu. Tous sont encore sonnés par la violence qui s’est exercé dans la nuit de samedi à dimanche et qui a entraîné la mort de Rémi Fraisse.
Après deux mois de tension extrême, difficile de se sentir en sécurité. Manu raconte mal dormir, faire des cauchemars, « quand je marche dans la rue, j’ai l’impression qu’un flic ou un pro-barrage va me tomber dessus ». Si le traumatisme est là, il n’est pas dénué de fondements. La pression reste intense, avec des contrôles d’identité nombreux aux abords de Gaillac et de la D999, mais aussi par la re-mobilisation des groupes de riverains pro-barrages « ou plutôt anti-zadistes ». Groupes facebook menaçants, appel à défendre y compris de manière armée les villages contre toute nouvelle attaque des « casseurs ». Sans parler des récentes déclarations du porte parole de la FNSEA, Xavier Beulin, qui dénonçait les « djihadistes verts », occultant l’usage immodéré de la violence dont font parfois usage ses adhérents quand il s’agit de défendre leur modèle agricole.
Mais ce matin, à Albi, tout est calme, les cordons restent dans les rues adjacentes, pas de lacrymos, pour une fois. Il faut dire que l’action est foncièrement pacifique. Renonçant même à l’idée de bloquer la route le temps d’un sit-in, tout restera symbolique avec des pancartes et la bouche barrée d’un bout de scotch, manière de montrer une nouvelle fois que les opposants n’ont pas été entendus.

Il est onze heures, quand Roland Foissac, élu Front de Gauche au Conseil Général et opposé au projet, sort de l’enceinte départementale. « Il n’y a eu aucun débat. Le président Thierry Carcenac a lu une déclaration préliminaire qui fait désormais foi pour l’ensemble du Conseil ». Dans ce texte tout en nuances, M. Carcenac admet que « le drame intervenu dans la nuit de samedi à dimanche conduit l’assemblée départementale à prendre acte de l’impossibilité de poursuivre toute activité liée au déroulement du chantier du site de Sivens ».
« Seront mises en œuvre toutes les précautions des experts mandatés par la ministre de l’écologie » sachant qu’il reviendra à « l’Etat, de les étudier et d’en assumer toutes les conséquences ». Cette suspension ne satisfait pas les opposants qui appellent immédiatement de plus belle à l’arrêt définitif du projet et à la démission de Carcenac en proposant même « de voter une loi Rémi Fraisse, pour mettre fin aux conflits d’intérêts ». Il faudra attendre mardi et la réunion entre le ministère de l’Ecologie, les élus locaux et les financeurs du projet pour savoir si celui-ci sera poursuivi et dans quelles conditions.

- Roland Foissac -
Tourbillon médiatique
Sur la ZAD en ce début d’après-midi, l’ambiance est calme. Mais très vite, les instructions tombent : « Pour les journalistes, les visites et photos sont entre 12 et 14 heures ». Un collègue journaliste vit assez mal la contrainte de suivre ces obligations. « Je veux juste prendre une photo ! » La discussion s’engage avec nous et un occupant sur le métier et sa précarité, le collègue finira par avoir ce qu’il cherchait.
C’est que la ZAD n’est pas un moulin, il faut connaître, avoir vu, compris aussi des modes de fonctionnement. Ainsi, ici, on demande systématiquement pour prendre une photo ou un enregistrement sonore. Ce qui paraît extraordinaire n’est autre qu’une simple protection de la vie privée des personnes. Non, les lieux ne sont pas un espace public, pas un terrain neutre. Qu’ils le veuillent ou non, les journalistes doivent s’adapter au mode de fonctionnement de ZAD, à la vie et aux envies sur place.

Notre présence de longue date au Testet nous permet de bénéficier d’un certain traitement de faveur et d’accéder aux zones les plus improbables. Camille, dit Girole, est notre guide : « T’es bien le premier journaliste qui me demande pas un autre pseudo, il paraît que celui-là fait pas sérieux ! » Après trois jours à la commission média, il est, comme beaucoup, « rincé, mentalement et physiquement ». « Le plus dur c’est de répéter, tout le temps, la même chose. J’ai jamais autant répété le même discours en si peu de temps. » Plus d’une centaine de média sont venus sur la zone depuis la mort de Rémi, « alors que presque aucun ne s’était jamais intéressé à nous avant » s’indigne Zebulon.
Beaucoup voient cette présence massive d’un œil un peu amer : « On n’a rien contre eux, contre leur personne, on sait qu’il ne font que leur métier. Mais à les voir débarquer comme ça aussi vite et aussi nombreux, on ne peut pas s’empêcher de penser à des charognards, qui ont attendu qu’il y ait du sang et de la mort pour venir ». Le mot reviendra régulièrement au fil de notre visite, même dans des propos plus nuancés : « On a bien vu les différences. Certains sont vraiment venus faire du sensationnalisme, ils voulaient de l’image, le lieu de la mort, les photos. D’autres travaillent sur des formats plus longs, plus construits, sont restés plus longtemps, ils ont été mieux accueillis ».
Leur présence créé aussi des tensions entre les occupants : « Tu dois à la fois gérer les demandes des journalistes mais aussi les avertissements des copains, qui ne veulent pas qu’on filme leur tente, leur camion, leur plaque de voiture. Mais les deux sont souvent contradictoires ! » lâche Girole. « On n’a pas eu le temps de réaliser ce qui s’est passé qu’il a fallu tout gérer, tout organiser, assumer leur présence, c’est dur, on est épuisé », dit Camille.
Cacatapulte et pommes pourries

Bien sûr, il n’y a pas que des journalistes. La réoccupation de zone du chantier jusqu’ici contrôlée par la police a suscité un fort enthousiasme et des constructions nombreuses, à commencer par le Fort, qui fait la fierté des occupants. « Bientôt on aura des arcs, des flèches et un château ! » s’amuse un Camille. Ici, on regarde, on discute, et surtout on construit, « on bosse plus de douze heures par jour, t’imagines la productivité ? »
Ce vendredi après-midi, l’objet de toutes les attentions est une nouvelle machine qui vient d’être construite mais qui n’est pas encore au point : la cacatapulte. Le ridicule se mêle à l’absurde de l’objet, destiné probablement à lancer au loin un seau de déjections. « En fait c’est un trébuchet, c’est une arme de dissuasion si tu veux, avec ça on les retarde un quart d’heure ». Il s’agit bien évidemment des forces de l’ordre. En accrochant une poêle à frire au bout du balancier, ils parviennent à propulser une pomme pourrie sur une dizaine de mètres en contrebas de la butte.
Applaudissements. « C’est une catapulte faite avec amour pour donner de l’amour » me résume-t-on. Il y a une poésie étrange, à la fois violente et burlesque, dans ce qui se fait ici. « L’important n’est pas tant que cet objet soit utilisé, mais que tant de gens travaillent ensemble pour le construire ». Une cuisine, une tourelle, des tipis, des tentes, c’est un vrai village qui se bâtit jour après jour. Mais à quelles fins ?
« Nous ne sommes pas avides de violence »
Une nouvelle fois reprend le débat sur la légitimité de la violence. Junius prend quelques détours métaphysiques avant de m’expliquer comment il s’est retrouvé dans les affrontements samedi dernier. « Samedi dernier, j’ai aidé une fille à tenir son foulard pendant qu’elle jouait du violon au milieu des affrontements. C’était beau. Ensuite, oui, j’ai agi dans le sens de ce qu’il me semblait le mieux de faire. » Pour lui c’était ramasser les débris et restes de grenades, « mais d’autres ont lancé des projectiles, c’est leur choix ».
Tout le monde ne partage pas ce point de vue. Mario constate que comme ailleurs : « On a tous un certain culte de l’héroïsme, du sacrifice. On pense souvent qu’il faut envoyer des gens au front, pour aider, sans se poser la question de comment aider » mais il ajoute : « Au fond, on ne veut pas de la violence. Regarde, aujourd’hui, tu as ici plein de gens près à aller à l’affrontement si des gendarmes reviennent. Mais ce qu’ils aiment c’est construire, vivre ensemble, inventer, rire ».
Ici, on est d’accord avec l’idée qu’il n’y a pas d’un côté les gentils pacifistes et les méchants violents, mais des réactions diverses en fonction des situations et des histoires personnelles. Interrogé sur l’utilisation de cocktails molotov, Girole me répond en bon artificier : « C’est n’importe quoi. Un vrai cocktail molotov, ça dissout l’acier d’un char. Là, c’est une bouteille avec un peu de pétrole dedans. La plupart du temps, ça te pète à la gueule au moment même d’en préparer. Je ne dis pas que ce n’est pas violent, mais en face ils ont des armures, des boucliers, des extincteurs. » Il poursuit en démentant formellement une rumeur soulevée par des responsables agricoles : « Oui, on a des bidons d’acide, ça fait partie des produits ménagers, on s’en sert pour récurer nos poêles noircies en cuisant sur le feu. Mais jamais on ne les a utilisés en combat, évidemment ! »
Surtout qu’il ne suffit pas d’avoir une arme, même dangereuse, pour savoir s’en servir, explique Fleur Bleue : « On n’a aucun entraînement, aucune compétence de combat sinon la simple colère. L’autre jour j’ai vu des petits jeunes, ils devaient avoir 18 ans à peine, ils voulaient y aller, "on nous a dit de mettre une cagoule". En fait personne ne leur avait rien dit, ils avaient juste suivi le mouvement. On les a poussé à l’écart pour pas qu’ils soient blessés. » Et de conclure : « Même si j’ai participé à des affrontements, je n’ai jamais mis en danger la vie de quelqu’un d‘autre, je ne peux pas, c’est comme ça. »
C’est finalement la violence d’en face, policière, qui est la plus questionnée. Si les journalistes venus sur place ont récupéré un grand nombre de témoignages directs des violences sur place, peu se sont posé la question de l’origine de celle-ci. Et c’est Mario qui nous donne son appréciation : « Je pense que ce qui a fait qu’il y a eu une volonté d’affrontement samedi, c’était de voir que pour une fois, nous étions nombreux et nous pouvions les faire reculer. » Et reprenant la philosophie de Hannah Arendt, « ce que nous n’avions pas mesuré, c’est que quand l’Etat se sent menacé, il devient encore plus violent, c’est comme ça que nait le fascisme ».
Il est encore un peu tôt pour revenir sur les circonstances exactes de la mort de Rémi Fraisse dimanche dernier, mais elle a peut être à voir avec ça, le monopole de la violence légitime de l’Etat, qui est ici remis en cause, comme la quasi-totalité des normes de la société, l’Etat, la place du média, de l’expertise, de l’élu.
Dimanche se déroule un pique nique, une marche silencieuse de recueillement en hommage à Rémi, sans slogan, média, ni banderole, elle traversera toute la zone et sera suivie d’une action collective pour planter des arbres à sa mémoire. Ici, on en est sûr, la mobilisation ne s’arrêtera pas tant que le projet ne sera pas abandonné. « Ils ne construiront pas un projet sur un cadavre ».
LA POURSUITE DE L’ENQUETE

Conséquence notable de la médiatisation du Testet, les informations inédites se succèdent sur les circonstances de la mort du jeune manifestant le week-end dernier et sur ses conséquences. On sait désormais que la police a changé trois fois de version des faits avant de la livrer publiquement et qu’elle n’ignorait pas dès le départ le contexte d’affrontements. Les premières informations d’analyse sur des fragments du sac à dos de Rémi confirment comme nous l’avaient assuré les proches qu’il n’avait aucun engin explosif dans celui-ci.
Une information judiciaire criminelle contre X a été ouverte par le procureur de la République de Toulouse, Pierre-Yves Couilleau, pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, faits commis par une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions ». Le travail de deux juges d’instruction vise à expliquer la mort en elle-même, identifier l’auteur des faits et enfin déterminer s’il y a eu ou non infraction. C’est Me Arié Alimi qui défendra la famille dans l’affaire.
Par ailleurs, Elsa Moulin, une jeune fille réfugiée dans une caravane le 7 octobre dernier, qui avait reçu une grenade qui lui avait explosé dans la main, vient de porter plainte pour « violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente par une personne dépositaire d’autorité publique avec usage ou menace d’une arme », a indiqué son avocate Me Claire Dujardin.
Plusieurs responsables politiques ont appelé à la démission du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, ce qui n’a généré qu’un refus net de la part de l’intéressé.
L’usage des grenades offensives, à l’origine de la mort du jeune homme, a été suspendu.
D’autres voix ont demandé à ce que soit créée une commission d’enquête parlementaire sur les violences policières qui ont eu lieu depuis septembre. Mais les voix ont convergé entre EELV, Parti de Gauche, Nouvelle Donne, mais aussi par Delphine Batho, ancienne ministre PS de l’écologie pour « établir un moratoire et arrêter immédiatement ce projet ». Pour l’heure, ils n’ont pas obtenu satisfaction.