La coopérative Andines milite pour une économie équitable et solidaire

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Depuis 1987, la coopérative Andines, inventrice du « commerce équitable », met en avant la qualité des termes de l’échange plutôt que la quantité des produits échangés. Sa démarche est une alternative au commerce ultralibéral.
C’est en août 1987 qu’est née Andines. Michel Besson, qui vivait à l’époque en Colombie, dans une communauté indienne, était sollicité par ses artisans qui souhaitaient mettre sur pied une coopération économique entre la France et la Colombie. La création d’une structure juridique s’est avérée indispensable au sein des deux pays. Ont ainsi été créés Inter Express en Colombie et Andines (en référence aux Andes) en France.
Michel Besson ignorait tout du commerce et de sa réglementation. Il a découvert sur le tas ce qu’est un taux de TVA, une marge, un compte d’exploitation… En outre, il fallait coller une étiquette sur cette activité coopérative, lui donner un nom. La lecture de l’Éthique à Nicomaque, d’Aristote, lui a donné l’idée d’un commerce équitable. L’expression française « commerce équitable » est devenue une marque déposée un peu plus tard par Andines à l’Institut national de la propriété industrielle.
Andines était à l’origine une Sarl (Société anonyme à responsabilité limitée) avant de devenir une SA, puis d’adopter le statut de coopérative. Une charte souligne sa singularité : ce commerce qui se veut le plus équitable possible se doit de mettre en place l’équité dans l’intégralité de la filière (producteur, emballeur, transporteur, transformateur, prestataire de service, commerçant et client) et de s’attacher à respecter la personne humaine, la nature, la vie.
« Le Sud est, en quelque sorte, venu au secours du Nord ! »
Véronique Lacomme, qui avait rejoint Michel Besson en Colombie et participé à la création d’Andines, apporte quelques précisions : « À l’origine, seuls les produits artisanaux non alimentaires étaient distribués par notre coopérative. Mais dans ces régions, les artisans sont très proches des paysans. Ces derniers ont également souhaité exporter leurs produits vers la France par notre intermédiaire. Nous n’avions pas les moyens d’assurer un prépaiement de leurs productions. Ils nous ont alors proposé d’être payés quatre mois après l’expédition du conteneur rempli de produits alimentaires. Le Sud est, en quelque sorte, venu au secours du Nord ! C’est ainsi que nous avons commencé la commercialisation, dans nos réseaux, de produits alimentaires. Aujourd’hui, ceux-ci représentent 60 % de notre chiffre d’affaires. »

Le terme « commerce équitable » a rencontré le succès et d’autres acteurs en ont fait usage. Mais selon une conception tiers-mondiste et caritative, contre laquelle Michel Besson s’insurge : « Mélanger charité et business n’est pas seulement condamnable moralement, c’est invivable à plus ou moins long terme. D’ailleurs, nos partenaires sud-américains et africains se sont montrés scandalisés par cette charité ! »
Andines, associée à Solidarmonde et à l’Association de solidarité avec les peuples d’Amérique latine (Aspal), a fondé, en 1999, la Plateforme française du commerce équitable (PFCE) à laquelle ont voulu adhérer le CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement), la fédération Artisans du monde et l’entreprise Max Havelaar France. Très vite des divergences sont apparues et Andines a quitté la PFCE en 2001. « Les trois derniers acteurs, regrette Véronique Lacomme, refusaient d’appliquer la notion de commerce équitable à toutes les transactions, quels que soient les pays d’origine et de destination, et ont imposé sa limitation aux seules transactions des pays développés du Nord avec les petits producteurs du Sud en excluant toute relation équitable avec des producteurs français. De plus, vouloir créer des emplois en France était absolument hors du champ de l’équité, ce qui, en revanche, à nos yeux a toujours été important. » En 2007, l’expression « commerce équitable » stricto sensu a été abandonnée par Andines, qui a alors inscrit sur les emballages d’autres appellations : « Échanger autrement », « Pour une économie équitable et solidaire ».
« Vouloir échanger autrement, ce ne peut-être qu’une action d’éveil ! »
Les relations entretenues par Andines avec les producteurs d’Amérique latine (Colombie, Guatemala, Pérou, Équateur, Brésil), d’Afrique (Burkina Faso, Niger, Togo, Bénin, Maroc) et de Palestine leur garantissent des revenus qui permettent de vivre dignement de leur travail. Il en sera de même avec des producteurs français (vin, jus de fruits, produits de la mer…). À l’axe Nord-Sud s’ajoute ainsi l’axe Nord-Nord. En cela, Andines rejoint les préoccupations de l’association Via Campésina et de la Confédération paysanne.
Véronique Lacomme et Michel Besson n’ont jamais souhaité monopoliser les productions réalisées par leurs fournisseurs, artisans et paysans sud-américains ou africains. Au maximum, 25 % de celles-ci sont orientées vers la coopérative française. « Aucun des acteurs ne doit être dépendant de l’autre. Il faut préserver la souveraineté alimentaire des pays et la forme d’échanges que nous défendons ne doit pas revêtir l’habit du néocolonialisme », explique Michel Besson.

Les magasins indépendants, ceux qui sont attachés au label Bio, les Amap, les groupements d’achats, les comités d’entreprise sont les clients d’Andines, dont aucun des produits ne rejoint les rayons des supermarchés. Les deux fondateurs soulignent le fait que leur coopérative est un outil de transformation sociétale. Il s’agit, selon eux, d’un vecteur d’échange politique, culturel et philosophique. Le client n’est pas une cible, mais un citoyen invité à développer une réflexion à propos de ses actes d’achat. La démocratie ne peut se réduire à un banal consumérisme : « Il n’est aucunement question de vendre du café pour soulager les consciences et dormir tranquille, dit Michel Besson. Vouloir échanger autrement, ce ne peut-être qu’une action d’éveil ! »
Conscients que leur message politique passe difficilement auprès du public, Véronique Lacomme et Michel Besson demeurent néanmoins attachés aux relations de confiance instaurées avec leurs partenaires de manière à préserver une démocratie du face à face. « Ce sont des femmes et des hommes qui doivent décider. Le pouvoir de l’argent ne saurait diriger les échanges, insiste Véronique Lacomme. Si, un jour, l’argent s’était emparé de notre structure, j’aurais immédiatement démissionné. »
« Notre vrai métier est grossiste-importateur et diffuseur »
Pourtant les problèmes financiers sont récurrents, au point de rendre parfois problématique le prépaiement promis aux producteurs. La coopérative n’a jamais pu recourir aux prêts bancaires, seule la Nef (Nouvelle Économie fraternelle) leur a accordé quelques crédits. Fort heureusement, l’association les Amis d’Andines a vu le jour en 2000. Près de 200 personnes, « des amis, y compris des chômeurs », leur apportent un soutien précieux sous forme de prêts ou de dons.

Les 21 et 22 octobre derniers, Andines fêtait ses trente ans et pour l’occasion ses deux fondateurs ont passé le relais aux deux nouveaux gérants, Kevin Felton et Guillaume Macron. Quelles sont les perspectives ? La philosophie demeure inchangée. Toutefois, quelques innovations sont envisagées. « Notre vrai métier est grossiste-importateur et diffuseur, dit Kevin Felton. Toutefois, nous souhaiterions ajouter une corde à notre arc et réaliser des boissons à partir des produits respectant d’une part le cahier des charges de l’agriculture biologique et d’autre part distribués par Andines. Ainsi, nous projetons de fabriquer ici, à Saint-Denis, de la bière biologique. Nous pourrions alors approvisionner la restauration collective d’entreprises et les cantines scolaires. »
Plus que jamais la démarche d’Andines se présente comme une alternative au commerce ultralibéral. Elle se déploie, selon les vœux des fondateurs et de leurs successeurs, dans le respect des êtres humains et de leur environnement. « Andines, souligne encore Michel Besson, est l’entreprise de tous les partenaires. »