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ReportageAlternatiba

La fougue d’Alternatiba se veut contagieuse

Le tour Alternatiba est arrivée à Bayonne samedi 6 octobre lors d’un rassemblement de milliers de personnes et de dizaines d’alternatives. Malgré la pluie, l’énergie de la « Génération climat » était vibrante. L’ambition : enclencher sur tous les territoires des dynamiques de luttes pour le climat.

  • Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), reportage

Il n’est pas 17h, mais d’étranges cloches retentissent dans les rues de Bayonne en ce samedi automnal, le 6 octobre. Une curieuse petite troupe déboule sur les quais de la Nive, chapeaux pointus et peaux de mouton sur le dos. Ils avancent d’un pas rythmé, de grosses sonnailles suspendues à la taille. « Voilà les Joaldunak ! » lance un passant, encourageant ces hommes-cloches habitués des carnavals et fêtes basques. « Vite, les vélos arrivent, on fait une haie d’honneur ! » encourage une jeune femme, T-shirt vert estampillé Bizi, du nom de l’association écologiste locale qui a lancé Alternatiba. C’est le signal que chacun attendait : les cyclistes du Tour Alternatiba, partis le matin même de Saint-Jean-de-Luz, ne sont plus qu’à un kilomètre de l’arrivée, en plein cœur de Bayonne. Des rangées compactes se forment rapidement sur les trottoirs. Un instant plus tard, les fameuses bicyclettes multiplaces — la triplette et la quadruplette — pointent le bout de leur guidon au bout du pont Pannecau, suivies d’un long convoi vélocipédique. Dans les rues, c’est l’explosion : « On est plus chaud, plus chaud, plus chaud que le climat ! »

« Voilà les Joaldunak ! »

Après 5.800 kilomètres parcourus à la force de leurs mollets, les militants climatiques sont donc de retour dans le berceau du mouvement, né en 2013 à Bayonne. Pendant quatre mois, plusieurs dizaines de cyclistes se sont relayés sur le parcours, reliant quelque 200 communes. « Je me sens renforcée par toutes les rencontres faites pendant ce voyage, raconte Léa qui a rejoint Alternatiba en janvier, et a pédalé pendant un mois et demi. On a senti une vraie prise de conscience, avec des nouveaux venus à chaque étape, et des dynamiques locales bien implantées. »

À peine descendus de selle, les coéquipiers montent sur la grande scène, sous les ovations de la foule et les premières gouttes de pluie. Tous entonnent « l’hymne » du Tour, accompagné par l’auteur du texte, le chanteur Kalune : « On se bouge, on se lance, on vise l’autosuffisance ; on se bouge, on avance dans la désobéissance, on se bouge et on sème les fleurs de la résistance. »

L’arrivée de la Vélorution à Bayonne, samedi 6 octobre 2018.

« Ce que nous a montré ce tour, c’est qu’il existe désormais un mouvement climatique citoyen, déterminé et non violent, radical et populaire, méthodique et organisé, lance une des cyclistes. Chaque dixième de degré de réchauffement compte, nous sommes la dernière génération à pouvoir agir, à avoir dans nos mains les leviers pour changer les choses. Nous sommes la génération climat, et notre tâche est sans doute la plus importante de l’histoire de l’humanité. »

Comme pour souligner son propos, la climatologue Valérie Masson-Delmotte, en duplex depuis la Corée du Sud, rappelle que le dernier rapport du Giec, adopté ce samedi 6 octobre par les représentants des États « doit venir renforcer les actions que vous menez contre le changement climatique. Le futur que nous souhaitons, à 1,5 °C de réchauffement maximum, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. »

Le duplex depuis Séoul avec la climatologue Valérie Masson-Delmotte.

Le rendre possible, oui mais comment ? « Rendez-vous dès demain au grand village des alternatives, vous verrez que toutes les solutions sont déjà là », glisse une jeune bénévole, réfugiée sous le barnum d’accueil.

« Des solutions concrètes pour le quotidien mais aussi des clés pour convaincre »

Dimanche matin, quelques frais rayons de soleil percent à travers des nuages menaçants. Les rues du « Petit Bayonne » frémissent d’agitation. Perché sur un vélo-cargo équipé d’enceintes, un cycliste déclame au micro le programme de la journée. « Dans quelques minutes, un témoignage exceptionnel sur les Amap dans le monde ! Dans l’amphithéâtre, une conférence sur la solidarité et la justice climatique ! »

Sur la place, trois couples esquissent des pas de tango, tandis qu’un peu plus loin, l’ambiance est plutôt aux rondes traditionnelles basques. À l’ombre de la cathédrale, l’atelier participatif de réparation de vélos propose aux passants de tester d’étonnantes montures sur roues, fabriquées « pour égayer les vélorutions », précise Cyril. Près d’une table où trônent de grandes urnes transparentes, deux femmes hésitent à « se lancer des défis ». L’idée, lancée par Alternatiba, est de proposer à chacun de s’engager à relever un ou plusieurs des sept « défis climatiques » : changer de fournisseur d’électricité pour soutenir les énergies renouvelables, s’inscrire dans une Amap, opter pour une banque plus « éthique »…

Quelques pas de tango.

De la « tiny house » au supermarché coopératif local — Otsokop —, de la zone de gratuité à l’atelier disco soupe ou au stand de Reporterre, la vieille ville bruisse d’alternatives concrètes. Au bar, un bénévole explique qu’il vaut mieux payer en eusko, la monnaie de la communauté basque, afin « de soutenir l’économie locale ». Avec plus de 3.000 adhérents, plusieurs centaines d’entreprises et de commerces partenaires et un million d’eusko (soit un million d’euros) en circulation, la devise est devenue la première monnaie alternative européenne.

Derrière la buvette, Élodie s’affaire à préparer des talos, sortes de chaussons farcis. Venue de Lyon pour l’occasion avec une vingtaine d’autres militants, la jeune femme voulait participer à cette dynamique : « Je me dis depuis longtemps qu’il faut arrêter de faire l’autruche et se bouger, mais je ne savais pas forcément comment faire, observe-t-elle. Avec Alternatiba, j’ai trouvé des solutions concrètes pour le quotidien mais aussi des clés pour élargir, pour convaincre autour de moi. » Vélorution, village des alternatives, mais aussi action non violente.

Un modèle de « tiny house ».

Après les médiatiques fauchages de chaises dans les agences bancaires en 2015, les militants climatiques ont formé des centaines de personnes à la désobéissance civile non violente pendant le tour. Leur prochaine cible se nomme la Société générale, comme l’explique une « Bob l’éponge » déterminée : « Cette banque finance les énergies fossiles, les gaz de schiste et nombre d’activités polluantes… bref, elle est très sale, et il faut la nettoyer. » L’action de masse, prévue le 14 décembre prochain à Paris, devrait donc avoir des airs de grand ménage… mais nous n’en saurons pas plus aujourd’hui.

« La fin du Tour ne veut pas dire qu’on va s’arrêter, au contraire, explique Léa. C’est le moment d’embrayer, de rebondir sur tous les projets nés ou impulsés pendant ces quatre mois de mobilisation. » Outre les campagnes d’actions non violentes, appelées à se multiplier contre « les dirigeants, les lobbys et les grands patrons qui sont responsables du dérèglement climatique », la militante espère voir éclore de nouveaux lieux alternatifs — café, centre d’accueil, espace culturel — susceptibles de servir de base arrière au mouvement.

« Les alternatives locales, ça ne suffit plus. Seules les dynamiques globales peuvent peser sur le rapport de force »

Surtout, comme bien d’autres personnes croisées ce week-end, Léa appelle de ses vœux un « changement d’échelle » des alternatives. « Le changement de comportement, les alternatives locales, c’est la base, mais ça ne suffit plus, constate ainsi Mariama Diallo, membre d’Alternatiba Dakar et marraine de l’événement. Seules les dynamiques globales peuvent nous permettre de peser sur le rapport de force ». Une analyse résumée par le slogan « les petits pas, ça suffit pas », inspiré du discours de Nicolas Hulot lors de sa démission et scandé à l’envi par le youtubeur Vincent Verzat pendant ce week-end.

Mais comment faire ? Car si le mouvement climatique paraît à présent solidement implanté et efficacement structuré, si Alternatiba parvient à réunir à Bayonne plusieurs milliers de personnes, dont plus de mille bénévoles, et à y faire venir des personnalités politiques de tous les courants de gauche, la « bataille du climat » semble encore loin d’être gagnée.

Un premier indice de la nouvelle stratégie d’Alternatiba se trouve sur les tables parées de vert de l’organisation : un fascicule d’une centaine de pages intitulé « Burujabe, reprendre possession de nos vies ». « C’est notre projet de territoire soutenable et solidaire pour le Pays basque », explique un membre de Bizi. Agriculture, énergie, transports… le plan, ambitieux, se veut exhaustif, car « c’est au niveau local qu’on peut agir, 50 à 80 % des actions concrètes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et près de 100 % des actions d’adaptation sont conduites au niveau infraétatique », souligne le texte aux allures de programme politique. « Nous voulions rédiger un projet qui puisse servir d’exemple à d’autres territoires et de boussole pour nous, pour donner une cohérence globale à ce que nous faisons ici », ajoute le militant.

Des vélos pour tous les goûts.

Mais il faudra attendre la clôture de la journée pour avoir la confirmation. Sur la grande scène, devant une assemblée de parapluies colorés, deux jeunes de 16 ans, Gaby, lycéenne à Poitiers, et Moriba, migrant guinéen, présentent le nouveau « manifeste » d’Alternatiba : « Rassemblons-nous pour enclencher une véritable métamorphose sociale et écologique de nos territoires, clament les deux adolescents. Tissons partout, dans chaque territoire, notre propre écosystème, capable de se défendre et de nous protéger face à des projets climaticides, extractivistes, consuméristes, face à un monde hors-sol et délocalisé. Nous aurons l’âge de voter en 2020 et demanderons alors des comptes sur ce qui aura été fait ou pas d’ici là pour nous garantir un monde vivable et désirable. »

Rendez-vous est donc pris pour les élections municipales de 2020… d’ici là, la campagne « Alternative territoriale », portée par le mouvement depuis un an, devrait se voir renforcer. Mais comme il faut également « agir à tous les niveaux », le menu à venir est copieux : marche pour le climat le 13 octobre, actions contre la Société générale. « Préparez-vous à vous mobiliser, il y a urgence, il faut mettre le paquet », invite Vincent Verzat, sa main gauche peinturlurée de rouge, en signe de « détermination » : « Nous n’avons plus le temps d’attendre que d’autres agissent à notre place, nous agirons pour construire le monde dans lequel nous voulons vivre et reprendre notre avenir en main. »

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