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OGM

La justice européenne ouvre « un boulevard » aux OGM

La CJUE estime que les OGM issus d'une mutagenèse in vitro doivent être exemptés de l'application de la réglementation OGM.

Par une décision alambiquée, la justice européenne entrouvre une brèche dans la réglementation européenne sur les semences brevetées. La Confédération paysanne craint « un déferlement massif d’OGM non identifiés ».

Mardi 7 février, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un avis très attendu par la filière semencière comme par les opposants aux OGM. Elle considère que les organismes obtenus par mutagenèse aléatoire « in vitro », qui utilisent des techniques dites « traditionnelles », n’entrent pas dans le champ d’application de la réglementation de la dissémination des OGM.

Que signifie ce charabia juridique ? La culture des OGM est interdite en France depuis 2008 et réglementée par une directive européenne de 2001. Cependant la recherche sur le vivant et « l’amélioration végétale » se poursuit, notamment avec la mutagenèse. La majeure partie des graines cultivées dans le monde utilisent cette technique traditionnelle « in vivo », consistant à exposer des graines à des rayons ou des agresseurs chimiques pour obtenir des modifications génétiques favorables.

Mais, depuis des décennies, les techniques ont évolué et les semenciers modifient désormais le génome à l’échelle d’une cellule isolée, qui est ensuite multipliée « in vitro », sans avoir besoin de mettre en culture les plantes ni d’insérer de l’ADN extérieur. Les organismes les plus connus utilisant cette technique sont certaines variétés dites « rendues tolérantes aux herbicides » (VRTH), comme le colza Clearfield, qui contient à la fois une graine et un herbicide. Ces organismes doivent-ils être réglementés comme des OGM ? Depuis six ans, la controverse juridique oppose les semenciers, le gouvernement français, la Commission européenne d’un côté, les opposants aux OGM, le Conseil d’État de l’autre.

En arbitre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait déjà tranché une partie du débat en 2018. Oui, les nouvelles techniques de mutagenèse qui entraînent des modifications « d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » ont les mêmes obligations d’étiquetage et de traçabilité que les OGM. À sa suite, le Conseil d’État intimait donc en 2020 à l’État français de réglementer tout ce qui était issu de la mutagenèse non traditionnelle, jusqu’à menacer le gouvernement d’astreinte financière en novembre 2021, s’il n’adoptait pas un plan d’action rapide. En parallèle, deux précisions étaient demandées à la CJUE.

Un arrêt qui ne stoppe pas la controverse

L’arrêt de la CJUE rendu le 7 février devait donc clore cet interminable feuilleton juridique. Raté : la décision, très alambiquée, entre dans un niveau de détail supplémentaire et la CJUE exempte désormais certains procédés de mutagenèse aléatoire in vitro de la réglementation sur les OGM. Un détail minuscule, qui pose de sérieuses questions concrètes : comment savoir quelle technique a été utilisée si le fabricant n’est pas tenu de dire comment faire la différence entre sa graine mutée et une autre ?

Pour l’avocat des syndicats et des associations paysannes, Me Guillaume Tumerelle, la Cour « déplace le débat », ce qui demande presque de faire du cas par cas. « Auparavant, on faisait une différence in vivo/in vitro ; désormais, il faudra regarder précisément quelle technique in vitro a été utilisée », explique-t-il. Sauf que dans les faits, selon l’avocat, « cet arrêt crée plus de difficulté qu’autre chose » et ouvre la porte à beaucoup de confusion. À la Confédération paysanne, on s’alarme que cette décision soit « un boulevard » pour « un déferlement massif d’OGM non identifiés ».

« Si on applique cette décision, demain, nous n’aurons sur le marché plus que des plantes issues de ces nouvelles techniques », indique à Reporterre Guy Kastler, responsable de la commission semences de la Confédération paysanne, ce qui pose selon lui « une atteinte au droit à l’alimentation, à la souveraineté alimentaire et aux droits des paysans ». La controverse juridique est loin d’être terminée : c’est maintenant le Conseil d’État qui devra décider dans les prochains mois comment il compte appliquer l’arrêt de la Cour européenne. Les centaines de nouvelles variétés mises sur le marché chaque année ne font pas l’objet d’un contrôle préalable systématique par l’administration.

Savoir quelle technique a été utilisée, et donc quelle réglementation s’applique, va probablement relever du casse-tête juridique, dont les seuls bénéficiaires pourraient être en définitive les semenciers. Dans un communiqué, l’Union française des semenciers « salue cette décision rassurante et conforme à vingt ans d’interprétation de la réglementation » dans l’UE. Son président, Didier Nury, estime que cela « confirme la nécessité de prévoir une réglementation suffisamment claire pour éviter toute divergence d’interprétation, source d’insécurité juridique pour les entreprises semencières ».

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