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Notre-Dame-des-Landes

La justice plus sévère contre les opposants paisibles à l’aéroport que contre les taxis ou la FNSEA

La justice poursuit les escargots quand ils s’opposent à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, pas les chauffeurs de taxi ou les agriculteurs de la FNSEA. A Nantes, les juges ont condamné mardi 23 février et mercredi 24 les paysans et citoyens. Ils avaient ralenti le trafic automobile.

-  Nantes, correspondance

Ces deux jours d’audience de militants anti-aéroport se sont déroulés dans un tribunal sévèrement filtré et contrôlé par la police, trois cordons successifs devant être franchis pour parvenir à la salle d’audience. Mardi 23 février, trois paysans étaient accusés d’avoir forcé un barrage de gendarmes. Mercredi 24 février, 19 conducteurs de véhicules ayant ralenti le trafic automobile lors d’opérations « escargot » le 12 janvier dernier.

La justice reproche aux trois paysans des refus d’obtempérer, une mise en danger de la vie d’autrui et des violences volontaires avec « arme par destination », en l’occurrence leur tracteur. Le 11 janvier, en fin d’après midi, l’opération escargot s’achevait. Un ensemble de ralentissements et gênes routières, en solidarité avec les paysans historiques et habitants de la ZAD qui passaient en procès deux jours plus tard et menacés d’expulsion.

Trois paysans, trois tracteurs, trois gendarmes. Les militaires sont partie civile pour réclamer des dommages et intérêt à titre personnel, mais ce mardi, ils sont venus en uniforme, alignant leurs képis au premier rang de la salle d’audience. L’adjudant chef et les deux autres gendarmes sont accompagnés d’un supérieur, bardé de plus de galons qu’eux. Ils ont salué le procureur en entrant. Pendant quatre heures, l’audience déroule une montée de tension orchestrée par les forces de l’ordre, jusqu’au barrage forcé par les trois tracteurs.

Retour sous escorte

Au départ, ce 11 janvier 2016, l’opération escargot s’était déroulée sans anicroche, ralentissant la circulation automobile. Le PSIG, Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, l’équivalent de la Bac (Brigade anti-criminalité) dans la police, raccompagnait un groupe de tracteurs de l’ouest de Nantes. Un accord verbal avait été passé : « On retourne chez nous » ont dit les paysans. Tous éleveurs laitiers, il leur faut assurer la traite du soir. Mais les gendarmes qui escortaient le convoi, voitures et gyrophares bleus, devant, et derrière, disent qu’ils ne croyaient pas à ce retour au bercail. « On avait ordre de les empêcher de bloquer la quatre-voies [axe Nantes-Vannes] ». À l’audience, ces gendarmes expliquent surtout qu’ils ont été agacés par la lenteur des tracteurs, et ceux qui à plusieurs rond-points, effectuent des tours de giratoires. Les militaires ont bloqué trois fois le convoi. « Près de deux heures pour faire dix kilomètres, si c’est pas de la mauvaise volonté... ». Sans ces barrages répétés, les tracteurs seraient rentrés plus vite chez eux…

Troisième barrage, stress et adrénaline

La troisième fois, à trois kilomètres de leur ferme, certains paysans en ont eu marre de ce dernier barrage et sont passés outre. « Ce contrôle, c’était de l’acharnement », dit Céline Blineau 53 ans qui a suivi son fils. Ils ont tous deux déboîté pour doubler la voiture des gendarmes qui bloquait la voie de droite, et ignoré les injonctions des militaires en chasubles fluo. L’adjudant chef Godin dit avoir évité l’avant du premier tracteur mais pas la roue arrière, son bras étant presque « happé » mais finalement non. Il déclare « avoir pensé à ses enfants, et s’être vu entre quatre planches ». C’est la bonne phrase pour obtenir des dommages et intérêts. « J’ai été percuté à l’épaule par le garde boue arrière gauche du tracteur, ma manche a été happée mais j’ai pu retirer ma main », dit-il, tout en ayant pu de l’autre main un « coup de bâton sur le tracteur ». Il a eu trois jours d’interruption de travail.

Le président du tribunal, Bruno Sansen

Un deuxième tracteur a suivi le même chemin. Un troisième a dévié sa route, passant par le terre-plein de stationnement d’un restaurant et s’est faufilé entre deux voitures de gendarmes. Aucun militaire ne s’est interposé, aucun n’était même visible à ce moment, mais ce passage du tracteur est pareillement qualifié de mise en danger d’autrui.

Mille euros pour les gendarmes « qui ont eu peur »

Les sommations ? « Possible qu’ils ne les aient pas entendues », admet le gendarme Rickaerts qui a sorti son arme de service et dit avoir renoncé à tirer parce qu’il y avait « des collègues derrière ». L’arrestation musclée, les coups, les insultes avant la garde à vue ? « Possible qu’il y ait eu une certaine virilité de l’interpellation ». L’avocate des gendarmes concède que « tout le monde est surexité, d’un côté les paysans stressés de ne pas pouvoir rentrer chez eux, de l’autre la montée d’adrénaline des gendarmes ». Elle réclame 3.000 euros pour l’adjudant chef et ses trois jours d’arrêt de travail, mille euros pour chacun des deux subalternes qui n’ont pas été blessés mais « ont eu peur ».

Le procureur requiert contre les trois paysans des peines de prison avec sursis et autant de suspension de permis de conduire : 6 mois pour le premier conducteur de tracteur, Mickael Godin ; 5 mois pour sa mère ; 4 mois pour celui qui a biaisé par le parking du restaurant. La décision du tribunal sera rendue publique le 7 mars.

Dix-neuf ralentisseurs à la barre

Mercredi 24 février deuxième jour d’audience des escargoteurs. Ils sont 19 à l’appel, poursuivis pour « entrave à la circulation », un délit passible de deux ans d’emprisonnement et jusqu’à 4.500 euros d’amende. Sauf un, comparaissant pour seule complicité, par le fait d’être propriétaire d’une voiture qui a servi à ces ralentissements sur le périphérique nantais en faisant clignoter leur feux de détresse « sans raison apparente » martèlent les procès-verbaux des « agents verbalisateurs ».

C’était le 12 janvier dernier, à 7 h 30, l’opération escargot appelée par le mouvement anti aéroport faisait rouler à 30 ou 40 km/h, parfois moins, sur une autoroute urbaine limité à 90, et sur certains tronçons à 70 km/h. Les motards, qui étaient sur le qui vive, ont dérouté et vite arrêté les convois de six à huit voitures. Les conducteurs et conductrices ont aussitôt été placés en garde à vue, leur véhicules immobilisés.

Une repression ciblée

Mis à part la volonté de représailles contre les militants anti aéroport, on peine à comprendre le bien fondé d’une tel passage devant le tribunal, alors que les voitures ont été retenues par la police depuis un mois et demi. Les avocats de la défense soulignent évidemment l’incongruité, « deux poids deux mesures », de ces comparutions, alors que les agriculteurs de la FNSEA, les chauffeurs de taxi ou leurs concurrents d’Uber ont multiplié des opérations similaires sans jamais être poursuivis.

« Sans parler des injures et du menottage bien serré alors qu’on a toujours obtempéré et jamais représenté le moindre danger potentiel, on a été préjugés, pré-condamnés, au moins par la garde à vue et la confiscation de nos véhicules », explique un des conducteurs. « Il leur en coûtera au moins 400 euros pour récupérer leur voiture à la fourrière », note un des avocats. Et six points de permis si le délit est retenu.

Rebellion pour refus de palpation masculine

Dans un cas, la police a ajouté le délit de rébellion à une jeune fille qui a refusé la palpation de sécurité effectuée par un policier, réclamant que ce soit effectué par une femme, comme le veut l’usage. La frontière entre palpation de sécurité et fouille à corps venait d’être rendue très floue, un militant ayant été obligé quelques instant avant d’ouvrir son caleçon pour prouver qu’il ne cachait pas d’arme dans son slip.

Le policier dit que devant le refus de la jeune fille d’enlever sa capuche, il a « tenté de le faire lui-même ». Version différente pour l’étudiante : « Je ne voulais pas être touchée par un homme. J’ai refusé, il a tenté de le faire sans mon accord, il a mis ses mains au niveau de mon cou, j’ai eu un mouvement de recul ». Ce que le PV retient comme des « gesticulations » traduites en rébellion. Elle sera embarquée à bras le corps dans le fourgon de police.

Entrave ou gêne ?

Le procureur, Thierry Rolland

Les trois avocats de la défense relèvent le caractère exceptionnel, rarissime, de ce genre de poursuite. Il n’existe qu’une seule jurisprudence, concernant des chauffeurs routiers qui s’étaient, eux, mis plusieurs fois à l’arrêt, de front, et avaient été avertis par la police qu’ils commettaient un délit. Ici, aucun convoi ne s’est arrêté, et ils n’ont provoqué que des ralentissemets de quelques minutes, sur un périphérique nantais qui a cette heure de pointe est déjà régulièrement saturé et embouteillé. Et dès que la police leur a demandé de sortir du périphérique, les escargots ont obéi.

« La police n’a pas cherché à encadrer, accompagner, ni escorter le convoi comme elle l’a fait pour les chauffeurs de taxi ou les agriculteurs ; les opérations escargot étant un moyen traditionnel de mouvement revendicatif », plaide Me Pierre Huriet. Là, la justice fait d’emblée le choix non pas de l’éventuelle contravention, mais du délit qui mène en correctionnelle, avec garde à vue et saisie des voitures.

Les avocats plaident que ces faits auraient pu être qualifiés de simple contravention pour entrave à la circulation. Et que rien ne justifiait la prise des véhicules, puisque l’entrave à la circulation n’a plus lieu. Et que si jamais le tribunal voulait sanctionner, il pouvait aussi ordonner une condamnation avec dispense de peine, juste pour le symbole.

Le procureur a réclamé 100 jours-amende à 10 euros, soit deux mois de ressources pour des gens au RSA (Revenu de solidarité active), et 100 euros de plus pour l’accusation de rébellion. La majorité des prévenus est sans emploi vivant avec le RSA comme seule ressource. S’y ajoutent une étudiante en sociologie, deux saisonniers agricoles, un musicien et une podologue.

Décision : 200 euros d’amende pour chacun des 19 prévenus, condamnés pour "entrave à la circulation" ; et annulation des mises en fourrière des véhicules.

Mais le procureur de Nantes a fait appel, vendredi 26 février, de cette annulation. Il tient à ce que les automobilistes payent pour récupérer leurs véhicules.

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