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Animaux

La série télé la plus originale du moment : Balbuzard Story 2 !

La vie d’une famille de balbuzards pêcheurs en video à chaque instant : pour la deuxième année, une communauté d’ornithologues passionnés suit en vidéo les aventures du couple de rapaces. Au-delà de l’émerveillement, le dispositif fait sentir aux spectateurs la fragilité de cette espèce.

Ce reportage s’inscrit dans notre série La balade du naturaliste : une randonnée à la découverte d’une espèce ou d’un milieu exceptionnel, en compagnie d’une ou d’un passionné.


C’est l’émission de téléréalité du printemps ! Pour la deuxième année consécutive, la « balbucam » de l’association Mardiéval filme le nid d’un couple de balbuzards pêcheurs (Pandion haliaetus) de Mardié (Loiret) vingt-quatre heures sur vingt-quatre et diffuse le direct (que vous pouvez voir ici) sur son site internet. Les aventures de Sylva, la femelle, et Reda, le mâle, n’ont rien à envier aux épisodes les plus trépidants des séries à succès : du sexe — et même trois œufs ! —, des rivalités — qui est cette femelle inconnue qui rôde autour du nid ? — et même de la castagne avec des corneilles bagarreuses.

La femelle balbuzard a retrouvé son nid à son retour de migration, fin mars. « Elle s’est installée sur l’aire en 2013 en compagnie d’un mâle, Titom, se souvient Jean-Marie Salomon, président de Mardiéval et observateur infatigable de ces rapaces. La première année, toutes les tentatives de reproduction ont échoué. En 2014, nous avons assisté à une très belle reproduction avec trois jeunes à l’envol, puis deux jeunes en 2015. En 2016, trois œufs ont éclos, mais des pluies diluviennes ont entraîné la mort de deux poussins, malgré les efforts désespérés de la femelle pour les protéger. »

Le balbuzard pêcheur.

Cette année, Titom n’est pas revenu. « Au bout d’une semaine, la femelle a rencontré un jeune mâle inexpérimenté qui revenait plus tardivement de migration », raconte M. Salomon. Des accouplements « plus ou moins maladroits, très répétés et très ardents » ont abouti à la ponte de trois œufs à partir du 13 avril. Depuis, la femelle passe le plus clair de son temps à les couver, douillettement blottie dans une épaisse couche de paille. « Le premier va éclore après trente-sept à trente-neuf jours de couvaison, espère Alban Larousse, artiste et ornithologue de haut niveau. Ensuite, les poussins mettront huit semaines à atteindre leur taille adulte. » Au mâle incombe la lourde tâche de ravitailler l’aire et ses occupants : « Un adulte mange 250 grammes de poisson par jour, un jeune en pleine croissance 400 grammes, calcule M. Salomon. Quand il y a trois petits, le mâle doit pêcher jusqu’à huit poissons par jour !  »

Fin août, la migration vers l’Afrique

Si tout se passe bien, les trois jeunes prendront leur envol aux alentours du 14 juillet. Ils auront moins de deux mois pour acquérir leur autonomie – pêche, construction d’un nid… — avant la grande migration, entre fin août et début septembre. « Parents, enfants… chacun partira de son côté, précise le président de Mardiéval. Ils prendront le chemin de l’Afrique : côtes du Sénégal, lac Tchad, et y resteront quelques mois pour les adultes, trois ans pour les jeunes. Jusqu’au voyage retour, au mois de mars. »

C’est pour suivre cette période de reproduction que Mardiéval a installé la balbucam au printemps 2016. Les internautes peuvent suivre la vidéo en direct de 8 h à 20 h. « Cette pratique existe depuis un certain temps aux États-Unis et en Europe du Nord, mais c’est quasiment une première en France », indique M. Salomon. Une petite prouesse technique pilotée par Jérôme Lamour, ingénieur et adhérent de l’association. « On a dû déployer un demi-kilomètre de câble pour apporter l’électricité en pleine forêt ! » raconte-t-il. Pour diffuser la vidéo en direct, il s’est appuyé sur le réseau téléphonique 4 G. Le tout a été développé à partir de logiciels libres et « le savoir-faire a été transmis à d’autres associations qui souhaitaient observer des nids de cigognes ou d’épervier », signale M. Lamour. Le dispositif est d’autant plus intéressant qu’il est relativement bon marché : « 3.000 euros d’investissements, 500 euros de chantier et 3.000 euros de frais de fonctionnement », calcule M. Salomon. La balbucam a rapidement trouvé son public : alors que l’association Mardiéval compte environ 160 membres, « l’an dernier, sur six mois de reproduction, nous avons accueilli 50.000 visiteurs uniques. Cette année, nous espérons doubler l’audience ».

La caméra est fixée à environ 1,50 m du centre du nid.

Quel est l’intérêt de braquer une caméra sur un nid de balbuzards ? D’abord, sensibiliser le public à la présence de ce rapace encore rare, protégé en France et inscrit sur l’annexe I de la directive oiseaux de l’Union européenne. En 1945, le balbuzard pêcheur avait quasiment disparu de l’Hexagone, tué par les chasseurs et les pêcheurs, qui le considéraient comme un concurrent. « La reconquête a eu lieu dans les années 1970 dans l’Orléanais », raconte M. Larousse. Aujourd’hui, la forêt domaniale d’Orléans compte 25 aires pour 16 à 17 couples. Lentement, le rapace élargit son aire de répartition aux départements limitrophes. « 70 sites ont été recensés en France pour 50 à 55 couples, récapitule l’ornithologue, membre du collectif de suiveurs Vigie balbu récemment constitué. 35 autres couples nichent en Corse, mais les deux populations ne se mélangent pas. »

Menacé par l’exploitation forestière et la pollution de l’eau

Cette expansion reste néanmoins fragile. « La reconquête rencontre des difficultés liées à la surexploitation forestière, s’inquiète M. Larousse, qui œuvre depuis plusieurs années à restaurer d’anciens nids et à en construire de nouveaux. Les mesurettes qui consistent à garder quelques arbres autour des aires ne suffiront pas à sauver les meubles. » Les balbuzards pêcheurs sont aussi très sensibles à la qualité de l’eau de la Loire. « Quand on a autopsié des balbuzards morts au muséum d’Orléans, on a découvert dans leur bol alimentaire toutes les saloperies qu’on met dans la rivière : métaux lourds, etc. » déplore M. Salomon. Ainsi, en décembre 2015, quelque 4.000 litres d’hydrocarbures ont été déversés dans la Loire : une pollution qui mettra « 5 à 10 ans » à se résorber, selon l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema).

Sylva couve actuellement trois œufs.

L’espèce est également menacée par un projet de route entre Jargeau et Saint-Denis-de-l’Hôtel et d’un pont « sur le tronçon de la Loire que tout le monde s’accorde à désigner comme le plus magnifique et le plus préservé », s’indigne le président de Mardiéval. Sur ce site classé Natura 2000 et inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, des membres de l’association ont recensé plus de 150 espèces d’oiseaux et 32 espèces d’odonates (libellules et demoiselles). Le préfet du Loiret a malgré tout signé un arrêté portant déclaration d’utilité publique en septembre 2016. M. Salomon redoute désormais l’arrêté d’autorisation de destruction de 74 espèces protégées, parmi lesquelles le balbuzard. « Ce projet de déviation est à l’origine de la balbucam, souligne-t-il. Nous voulons attirer l’attention des spectateurs sur la richesse de notre patrimoine naturel et les encourager à le défendre. »

Au-delà de la sensibilisation, la balbucam délivre de précieuses informations sur ces rapaces méconnus. « Avant, nous réalisions nos observations dans une tente proche du nid, se souvient M. Salomon. Il fallait s’installer de nuit pour ne pas effrayer les balbuzards et rester à l’affût pendant des heures, pour des observations très partielles. Grâce à la caméra, nous avons beaucoup appris sur la conception du nid, les pratiques des oiseaux, etc. » L’association conserve tous les enregistrements, qu’elle tient à la disposition des scientifiques. Les participants au forum ont également fait d’intéressantes découvertes sur les poissons qui peuplent la Loire en identifiant les prises des balbuzards. « Nous y avons découvert du hotu (Chondrostoma nasus), alors que nous pensions qu’il avait totalement disparu, rapporte M. Lamour. Autre bonne nouvelle, les balbuzards sont friands de poissons-chats, une espèce invasive. »

« Sensibiliser les gens aux menaces qui pèsent sur l’espèce »

Les « balbuspectateurs » sont ravis. Corinne Boujassy, laborantine dans un lycée, suit la balbucam depuis le début. « Originaire du Loiret, j’observe les balbuzards depuis les années 1980 grâce à l’observatoire de la forêt d’Orléans, confie la quinquagénaire. La balbucam m’a permis d’en apprendre beaucoup plus sur leur mode de vie, surtout grâce aux ornithologues qui répondent à nos questions sur le forum. Le plus intéressant, c’est quand les poussins arrivent ! Même si, l’an dernier, la mort de deux petits a été difficile. » Pour cette passionnée de nature, le dispositif permet de « sensibiliser les gens aux menaces qui pèsent sur l’espèce, comme le projet de déviation routière. D’ailleurs, c’est la balbucam qui m’a poussée à soutenir Mardiéval dans son combat ».

Dans les serres, Jérôme Lamour a identifié un hotu.

Christelle Lecoeur et ses deux enfants, Pablo, 7 ans, et Ruben, 5 ans, sont également des spectateurs assidus : « Le matin avant d’aller à l’école, le midi quand il n’y a pas cantine, en rentrant le soir et une dernière fois avant que la balbucam s’éteigne à 20 h ! » Pour l’enseignante, la balbucam permet d’aborder le fonctionnement de la nature en s’appuyant sur des observations concrètes. « Quand Titom n’est pas revenu et que Reda s’est imposé, ça a été compliqué à la maison. Les garçons disaient que Sylva avait déjà un mâle et qu’elle ne devait pas en prendre un autre, ils étaient très sentimentaux, raconte-t-elle. Cela nous a permis d’expliquer l’instinct de reproduction. » Et, au-delà, d’évoquer l’importance de la protection de la nature : « Les enfants ont compris que si l’on polluait le fleuve, il n’y aurait plus de poissons, donc plus de balbuzards. L’impact des activités humaines est très présent dans leur esprit et les angoisse beaucoup ! »

« Cette caméra est extraordinaire d’un point de vue pédagogique, confirme M. Larousse. De deux à soixante-dix ans, chacun y trouve matière à observation et à interprétation ! » La balbucam pourrait même s’enrichir d’une nouvelle fonction l’année prochaine : l’identification en direct des chants d’oiseaux alentour.

Un balbuzard pêcheur dans son biotope.
Jean-Marie Salomon, le président de l’association Mardiéval.

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