La téléréalité à la rescousse de la cause écolo

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Culture et idées QuotidienLes mentalités changent, mais l’écologie peine encore à toucher les catégories populaires, estime l’autrice de cette tribune. Qui a une solution désopilante : produire une émission de téléréalité scénarisant la gestion commune des déchets !
Stéphane Ramet anime le blog intitulé L’Improductive. Lectrice de Reporterre, elle se définit comme une « chercheuse de solutions pour dépolluer le mammouth ».
2019 sera l’année d’une révolution : l’écologie va devenir populaire.
Je vous entends, qui protestez : mais non, l’écologie est déjà très populaire, regardez le nombre de personnes qui ont signé la pétition de l’Affaire du siècle, il y avait Cotillard dans la vidéo, et même Élie Semoun, c’est populaire Élie Semoun…
Restons mesurés. Déjà, parmi ceux qui ont signé cette pétition, il y avait sans doute moins d’écologistes que de gens qui étaient juste contents de faire chier l’État. Le nombre de signataires doit aussi être pris avec des pincettes : moi, par exemple, la pétition, je l’ai signée sept fois. Une signature pour moi, deux pour mes enfants, trois pour les pandas roux du zoo de Lille qui font de l’asthme aux particules fines, et une fois pour Rémi Fraisse [1]. D’ailleurs, je tiens à dire que si tout le monde faisait ça (je vous y encourage), on aurait facile atteint les 20 millions en deux semaines. Il en aurait tiré une tronche, le Président.
Bref. On avance, mais il reste un fossé à franchir pour vraiment populariser le sujet. Juliette Binoche, c’est bien, mais on a aussi besoin d’une écologie Patrick Sébastien. Voici mon plan.
La coupure pub, évidemment, pose problème
J’aimerais bien qu’en 2019, quelqu’un produise un programme de téléréalité où tout un pâté de maisons serait privé de ramassage d’ordures pendant plusieurs mois. Un « Koh Lanta » de la vie urbaine à épreuve unique : la gestion commune des déchets. Possibilités de discorde infinies, moments de vérité autour d’un thon en boîte. Bande-annonce.
Après quelques semaines où chacun s’est occupé de son propre monticule, le conseil des habitants du pâté de maisons (ci-après appelé, par économie, « conseil du pâté ») a décidé de mettre en place un tas commun, situé à la confluence des propriétés de chacun. Mais la mutualisation ne fait pas que des heureux : alors que beaucoup font des efforts pour que les ordures n’envahissent pas les jardins, quelques encroûtés continuent, pour ainsi dire, à jeter le plastique par les fenêtres. Après des débats agités, le conseil du pâté établit des quotas d’ordure. Plus tard, il votera même l’interdiction de certains déchets toxiques, ainsi que des produits à usage unique.
Ces décisions mettent du piment dans les querelles de voisinage. En bêchant son parterre de carottes, Jean-Philippe découvre que Loana y a enfoui les piles de son vibromasseur. Pour se venger, il décide d’enterrer ses préservatifs usagés sous les fraisiers de sa copropriétaire dans une mise en abyme, involontaire, de la décharge.
Une entraide générale se développe néanmoins, et des solutions se mettent en place, qui donnent lieu à des moments d’émerveillement. Imperméables à cet enthousiasme, certains échouent à s’adapter. Pour respecter les plafonds imposés, Christopher tente d’exfiltrer ses sacs poubelle hors du pâté de jeu. Le conseil le condamne et décide de sa peine : pendant une semaine, et sans limite de volume, son appartement pourra être utilisé comme dépotoir par tous les participants.
En saison 2, on introduit un deuxième pâté de maisons, pour pouvoir comparer les tas. Mais la compétition augmente la pression, et les coups bas se multiplient. Roland est sous le choc : il a reçu une lettre anonyme qui lui promet une vasectomie sauvage et sans anesthésie. En effet, le pauvre Roland et sa femme attendent leur troisième enfant, alors que leur deuxième est encore en couches ! Le conseil du pâté veut voter l’exclusion, mais le pâté voisin refuse d’accueillir la famille. Roland sera-t-il contraint d’adopter les couches jetables ? (Image : Roland dégoûté détourne la tête d’une couche invisible et qu’on devine infecte.) Vous le saurez en regardant la nouvelle saison de « Take the Trash Out ».

« Take the Trash Out », c’est le titre provisoire que je réserve à la BBC, étant certaine que les Anglais sont mûrs pour le concept — surtout la partie alliances entre pâtés et politique migratoire, qui pourrait d’ailleurs débloquer leurs réflexions sur le Brexit. Pour la France, je n’ai pas d’idée sensationnelle : « Touche pas à mon compost » ? « Et au milieu se vide une poubelle » ? « Le Trognon de la discorde » ? « Opération dépollution » ? « Mon voisin est une ordure » ? Je propose de consulter les Français via un petit débat, que j’accepte d’héberger ici moyennant rémunération au clic.
La coupure pub, évidemment, pose problème. On ne peut pas diminuer la production de déchets, et en même temps préserver la surconsommation : il y aura des victimes. On peut bien sûr programmer des annonces pour les sacs poubelle biodégradables, les collants garantis à vie ou l’eau du robinet, mais ça reste un manque à gagner par rapport à Gillette et Petrol Hahn. Supprimer complètement la pub, et subventionner l’émission par la hausse du prix du diesel ? Ne tombons pas dans la provocation. Je propose une taxe sur les couverts en plastique pour financer la première saison, et d’ici la deuxième, on aura peut-être taxé la pub qui pollue les cerveaux. Comme ça, avec l’argent des annonceurs, on pourra se payer des tranches horaires où ils ne seront pas invités.
J’ai l’air de rire (et c’est vrai que je ris un peu), mais il se peut fort bien que la téléréalité soit le gros bovin dont on ait besoin pour tracter la transition écologique. Je lance donc un appel à tous les producteurs de Johnny désœuvrés : recyclez-vous, rejoignez-moi.