Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

EnquêtePolitique

Laurent Wauquiez « dézingue » les zones protégées d’Auvergne-Rhône-Alpes

Laurent Wauquiez en 2019 au Salon de l'agriculture.

Fini, le financement des zones protégées Natura 2000 en Auvergne-Rhône-Alpes. C’est pour mieux aider les agriculteurs, assure Laurent Wauquiez, son président. Une tromperie, rétorquent les écologistes.

Lyon, correspondance

Avis d’extinction pour les zones Natura 2000 en Auvergne-Rhône-Alpes. Laurent Wauquiez, le président de la Région, a décidé de couper le robinet des subventions européennes dédiées à cet outil qui préserve depuis trente ans les territoires dotés d’une flore et d’une faune jugées « exceptionnelles ». Depuis la loi 3DS (« différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification ») du 21 février, la compétence de la transition écologique a été transférée de l’État aux collectivités territoriales. Il est aujourd’hui du devoir des Régions de remplir les demandes de Fonds européens agricoles pour le développement rural (Feader). En France, Auvergne-Rhône-Alpes est la seule qui a choisi de ne pas flécher les crédits de cette enveloppe vers Natura 2000. Sans cette subvention, 266 sites naturels auralpins sont menacés. Sur le terrain, 100 à 200 temps pleins de chargés de mission, les 938 450 hectares sur lesquels ils veillent et les 2 000 espèces protégées qui y sont abritées sont concernées.

Sur le site de Revermont et des gorges de l’Ain, les pelouses sèches à orchidées abritent des trésors de flore et d’insectes. Ses cavernes sont primordiales à la conservation des espèces de chauves-souris européennes. « Notre technicien est chargé de l’animation du comité de pilotage. Ça implique de travailler avec les agriculteurs et les naturalistes et de réaliser les études d’impact, détaille Benjamin Raquin, président du site et maire de la commune de Grand-Corent (Ain). Ces animations comptent pour 80 % du budget, et le solde permet de faire intervenir des prestations : animation grand public, comptage de chauve-souris, sensibilisation… »

Autant qu’un espace préservé, Natura 2000 est un outil de concertation locale. Les animateurs y tissent les liens entre agriculteurs, élus, associations et naturalistes. Objectif : préserver les territoires tout en y maintenant une activité raisonnée de tous ces usagers. « Ça nous a permis de construire des parcs de pastoralisme qui prennent en compte le passage de randonneurs, prend en exemple Benjamin Raquin. Les naturalistes font un travail d’analyse et de cartographie des habitats en discernant les zones sous-pâturées ou sur-pâturées. Les agriculteurs peuvent alors organiser leur parc pour que les bovins l’exploitent au mieux. » Directeur du conservatoire d’espace naturel d’Auvergne, Pierre Mossant confirme : « Nous sommes régulièrement en contact avec les élus des collectivités locales, les agriculteurs et les porteurs de projet. Nous les accompagnons pour obtenir des diagnostics et des accès financiers. » Certaines communes valorisent même la qualité Natura 2000 de leurs territoires dans leur offre touristique.

« On ne va plus pouvoir financer les mesures agro-environnementales »

Si l’enveloppe dédiée à Natura 2000 s’évapore, « on ne va plus pouvoir financer les mesures agroenvironnementales, les contrats avec les agriculteurs, les forestiers pour qu’ils fassent une gestion raisonnée, dit Éric Feraille, le président de France Nature Environnement en Auvergne-Rhône-Alpes. Ça va affecter l’installation des haies, le labour des prairies, et la préservation des zones humides. » Au risque d’être mis à l’amende par l’Europe, comme le rappelle Maxime Meyer, conseiller régional écologiste de l’Ain : « Les sites Natura 2000 ne vont pas disparaître, mais se mettre en non-conformité vaudrait sanction de l’Union européenne. »

13 % du territoire Auvergne Rhône-Alpes, soit près de 10 000 km², sont couverts par le réseau Natura 2000. Parc naturel régional des Monts d’Ardèche

Laurent Wauquiez assimile les salariés Natura 2000 à des militants écologistes

Alors qu’il tient le couteau, l’exécutif régional rejette la faute de cette coupe budgétaire sur les arbitrages de l’État. Selon le cabinet de Laurent Wauquiez, « le montant des crédits Feader alloués à la région pour la période de programmation 2023-2027 est en diminution de plus de 20 % par rapport aux années de référence de la période de programmation 2014-2020 ». En conséquence, la région « a fait le choix de flécher ces crédits en faveur de nos agriculteurs. Il n’y a donc pas de “perte de subvention” mais un redéploiement des crédits pour privilégier notamment l’aide accordée à l’installation des jeunes agriculteurs, priorité unanimement reconnue, et sur les investissements agricoles ».

Ce n’est pas la seule motivation de l’élu Les Républicains, pour qui les salariés des zones Natura 2000 s’apparentent à des militants d’opposition. Lors du conseil régional du 18 mars, l’élue écologiste Florence Cerbaï l’a interpellé sur le sujet : « Nous savons pourquoi vous faites ce choix et ce n’est pas responsable : les associations de protection de la nature, qui interviennent sur Natura 2000, sont aussi celles qui s’opposent à vos projets d’artificialisation, comme la RN88. »

Dans un enregistrement que s’est procuré Reporterre, on peut entendre Laurent Wauquiez lui répondre dans le huis clos de la commission permanente : « Dans la défense que vous avez faite des crédits Natura 2000, objectivement, on était à la limite de l’emploi fictif. Ce que vous avez expliqué, c’est que c’était vraiment dommage qu’il n’y ait plus ces fonctionnaires parce que ça faisait les militants pour ensuite faire de l’opposition sur le terrain avec vos actions […] je suis convaincu que c’est bien le sujet, et d’ailleurs que ça pose un problème très très lourd en fonctionnement républicain. » Quelques secondes plus tard, le président d’Auvergne-Rhône-Alpes enfonce le clou : « Ça pose un problème : vous avez des gens salariés, qui perçoivent des subventions publiques, et qui sont ensuite l’armature de vos campagnes électorales. »

Cette vision interloque les acteurs de terrain. « C’est une erreur d’appréciation. Il y a un certain nombre de collectivités locales, de tous bords, qui se sont emparées de Natura 2000. J’ai du mal à croire que les communautés de communes ont toutes été noyautées par des écologistes, observe Pierre Moussant. C’est dommage de rester sur des visions caricaturales. Il serait intéressant de faire venir M. Wauquiez au cœur des zones Natura 2000 voir le travail qui y est produit. »

« Des zones perçues comme des obstacles à la chasse et à l’agriculture intensive »

Pour Éric Feraille, le logiciel de Laurent Wauquiez est également influencé par ses alliés électoraux : les fédérations locales de chasseurs et le syndicat agricole majoritaire : « Les chasseurs et la FNSEA sont des opposants historiques aux zones Natura 2000, qu’ils perçoivent comme des obstacles à la chasse et à l’agriculture intensive. Laurent Wauquiez leur donne satisfaction : les dézinguer, c’est récolter le soutien des milieux agricoles les plus rétrogrades. » Le conseiller régional Maxime Meyer insiste : « Laurent Wauquiez mène un combat idéologique pour assécher les ressources de ceux qu’il perçoit comme des adversaires. En 2016, il s’était attaqué aux naturalistes. Là, il a supprimé les aides à la culture en mai. Il a abandonné les subventions de l’Addear, l’Association départementale pour le développement de l’emploi agricole et rural, qui aide les jeunes paysans à s’installer. »

Les zones Natura 2000 vont-elles s’éteindre en silence ?

Du côté de la Commission européenne, on note avec diplomatie que « [s’]il appartient aux États membres de décider des mécanismes de soutien », l’institution les « a systématiquement invités à financer les agriculteurs dont l’exploitation se trouve sur un site Natura 2000 dans le cadre des plans relevant de la politique agricole commune afin de les aider à respecter leurs obligations. Ces obligations […] sont de toute façon contraignantes et applicables aux agriculteurs des sites Natura 2000, indépendamment du financement. » En coulisse, la direction générale Environnement de la Commission s’inquiète dans une note interne datée du 7 juillet que « des garanties sur le maintien des financements [Natura 2000] pour les régions (notamment Auvergne-Rhône-Alpes et Bretagne) sont encore nécessaires ; adoption insuffisante du cadre d’action prioritaire ». Si la Bretagne a depuis revu sa copie, l’Auvergne-Rhône-Alpes a encore jusqu’à la rentrée pour rendre la sienne.

Le site classé Natura 2000 de Revermont et des gorges de l’Ain. Agence française de la biodiversité

De leur côté, le réseau des conservatoires d’espaces naturels, des parcs naturels régionaux, des réserves naturelles et des grands sites de France ont envoyé fin janvier un courrier commun à Laurent Wauquiez pour lui faire part « de la forte inquiétude qui remonte du terrain quant à l’avenir du dispositif Natura 2000 dans [sa] région ». Dans une réponse adressée le 30 juin, Laurent Wauquiez assure avec aplomb partager leur inquiétude, et poursuivre « sa réflexion sur la manière de financer [les zones Natura 2000] hors Feader ». Une promesse qui ne donne ni piste ni calendrier.

Interrogé sur l’avancée de cette « réflexion », le cabinet de Laurent Wauquiez a refusé de répondre à Reporterre. Du côté des acteurs de Natura 2000, beaucoup perçoivent la volonté de laisser mourir en silence ces zones protégées. Si en 2023, l’État continuera d’alimenter les sites naturels à l’aide des crédits européens de l’enveloppe précédente, 2024 verra la disparition des animateurs Natura 2000, et l’abandon des zones sous leur protection.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois de septembre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende