Le barrage de Sivens est enterré, il faut maintenant développer l’alternative

Le projet initial a été définitivement abandonné fin 2015. Pourtant, les défenseurs de la zone humide du Testet poursuivent leur lutte contre un plus petit barrage et pour la réhabilitation du lieu. Ils réclament également justice pour Rémi Fraisse.
Ben Lefetey est membre du collectif Testet. Il a écrit Sivens, un barrage contre la démocratie (éd. Les Petits Matins, 2015).
Le 24 décembre 2015, les préfets du Tarn et du Tarn-et-Garonne ont abrogé leur arrêté du 3 octobre 2013 qui déclarait d’intérêt général pour le projet de barrage de Sivens. Les jours suivants, un sénateur du parti Les Républicains du Tarn-et-Garonne a lancé une polémique médiatique en faisant croire que l’État avait abandonné le projet en catimini la veille de Noël. Apparemment, ce sénateur s’est endormi dès le lendemain de son élection en septembre 2014 car il défend encore le projet de barrage initial et n’a donc visiblement pas suivi l’évolution du dossier depuis cette période.
En effet, cette abrogation fin décembre 2015 n’est pas une surprise. Elle figurait dans le protocole transactionnel qui a été validé par la Conseil départemental le 11 décembre dernier. Dès le 27 février 2015, la ministre chargé de l’Écologie, Ségolène Royal, proposait au président du conseil général du Tarn, Thierry Carcenac, d’indemniser le département sur les dépenses engagées en pure perte « en contrepartie de l’abandon définitif et irrévocable des travaux ». Après de longs mois de négociation entre le gouvernement et le département, un accord a été trouvé sur la base d’une facture de 3,4 millions d’euros dont 2,1 millions pour les dépenses engagées en pure perte et 1,3 pour les mesures compensatoires des atteintes à la zone humide (travaux à venir).
Le sénateur tarn-et-garonnais aurait été mieux inspiré de dénoncer, comme le collectif Testet, la prise en charge de ces dépenses par les contribuables. Il est scandaleux que ce soit une fois de plus l’argent public qui paie les pots cassés à la place des responsables de ce gâchis qui sont la CACG [1], qui a triché dans ses études, et les ministres et conseillers généraux qui ont fait passer en force un projet qu’ils savaient inadapté et illégal. Rappelons notamment que la Commission européenne avait clairement annoncé son intention de lancer une procédure d’infraction plus d’un mois avant le début du chantier en septembre 2014.
La responsabilité de l’État dans cette dramatique affaire
Attendue, cette abrogation n’en marque pas moins une étape importante. Si l’abandon du projet initial était acquis depuis son annonce par Ségolène Royal le 16 janvier 2015 puis par une délibération implicite du conseil général le 6 mars, les travaux restaient juridiquement possibles. Ce n’est plus le cas depuis le 24 décembre puisque c’est l’arrêté abrogé qui autorisait les travaux. Cet acte va aussi probablement mettre fin à la procédure d’infraction européenne contre la France sur le projet initial.

L’on reparlera cependant de cet arrêté du 3 octobre 2013 dit « déclaration d’intérêt général – loi sur l’eau ». Il est toujours visé par le recours en annulation que le collectif Testet et plusieurs autres associations ont déposé fin 2013 contre lui et les deux autres (déclaration d’utilité publique et dérogation à la loi sur les espèces protégées). En effet, la justice étant moins rapide que les bulldozers, nos recours en annulation n’ont toujours pas été jugés sur le fond. Nous nous attendons à ce que le tribunal administratif les juge durant le premier semestre 2016, probablement les trois recours regroupés.
Le travail juridique se poursuit donc pour démontrer que l’État n’avait pas le droit de déclarer d’intérêt général et d’utilité publique le projet de barrage de Sivens ni d’accorder une dérogation à la CACG pour lui permettre de détruire les habitats d’espèces protégées, notamment la zone humide du Testet. L’enjeu est de taille sur la responsabilité de l’État dans cette dramatique affaire mais aussi pour l’avenir. Car le gouvernement et le conseil départemental espèrent bien conserver la déclaration d’utilité publique (DUP) pour mettre en œuvre le prochain projet de barrage.
Celui-ci, avec un volume réduit de moitié (750.000 m3), est désormais envisagé par les pouvoirs publics. Mais, à part la DUP (si elle n’est pas annulée par le tribunal cette année), tout repart de zéro ou presque. Pour démarrer les travaux de ce Sivens « light », il faut obtenir une nouvelle autorisation préfectorale et donc réaliser une enquête publique s’appuyant sur un nouveau dossier démontrant l’intérêt général. Surtout, tout nouveau financement par l’Agence de l’eau de projets de barrages destinés à l’irrigation est conditionné à la définition d’un « projet de territoire ».
La lutte va se poursuivre
L’un des acquis de la lutte de Sivens est que les associations environnementalistes (dont le collectif Testet) et la Confédération paysanne seront autour de la table pour élaborer collectivement ce « projet de territoire ». Elles seront à l’aise avec les questions qui y seront officiellement discutées puisque ce sont celles qu’elles soulèvent depuis des années. Quel type d’agriculture les pouvoirs publics doivent-ils soutenir sur le territoire ? Comment mieux gérer l’eau, notamment à travers un changement des pratiques agricoles ? Quelles sont les alternatives au projet de barrage ? Ce processus, sans précédent en France, devrait démarrer au printemps 2016 et durer plus d’un an. Le défi est donc de démontrer aux autres acteurs que les alternatives au nouveau projet de barrage sont plus respectueuses de l’environnement et de la biodiversité et plus efficaces pour l’avenir de fermes, nombreuses sur le territoire.

Par ailleurs, la lutte va se poursuivre aussi en 2016 pour obtenir la restitution des terres agricoles aux éleveurs lésés et la réhabilitation de la zone humide du Testet. La mobilisation va également se poursuivre pour obtenir justice concernant la mort de Rémi Fraisse et, plus généralement, la répression contre les opposants au projet. Sans oublier la convergence des luttes avec les autres mouvements opposés à des projets inutiles et imposés (GPII) et en priorité avec celui de Notre-Dame-des-Landes, fortement menacé par le gouvernement en ce début d’année. Si l’abandon du projet initial est donc désormais garanti par l’abrogation déposée sous le sapin de Noël, la lutte est loin d’être terminée et 2016 s’annonce comme une année décisive !