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Climat

Le changement climatique affectera l’Aquitaine, le vin de Bordeaux, et les centrales nucléaires

Le réchauffement climatique n’est pas seulement une menace lointaine et future, mais il modifiera profondément l’environnement des régions françaises. C’est ce que montre une étude scientifique approfondie menée en Aquitaine.


Le réchauffement climatique n’est pas une chimère lointaine. Il n’est pas seulement coupable de la désertification en Afrique ou de la fonte de la banquise arctique, mais a des impacts bien réels sous nos latitudes. A un peu plus d’un an de la Conférence sur le climat de Paris, c’est que nous apprend le rapport, Les impacts du changement climatique en Aquitaine, d’une ampleur inédite.

« C’est une première mondiale, fruit de la collaboration entre la région Aquitaine, des chercheurs locaux bénévoles, le tout publié sous la direction du climatologue Hervé le Treut », explique Peggy Kançal, conseillère régionale pour EELV.

Sa particularité ? Il délaisse l’échelle globale pour faire un état des lieux des conséquences du réchauffement climatique d’une région précise, l’Aquitaine, avec une démarche qui se veut exhaustive. Agriculture, air, eau, littoraux ou montagne font partie des nombreux thèmes abordés.

Et ce qui ressort de ce vaste travail, c’est que si les effets du changement climatique ne seront pas toujours spectaculaires, ils devraient considérablement modifier le secteur agricole : les paysages du sud-ouest, des Landes aux vignobles bordelais, pourraient en être bouleversés.

La région subit un réchauffement depuis 1850 plus important que la moyenne européenne : + 1,2°C contre + 1 C. Les effets commencent déjà à s’en faire sentir. Vendanger dans l’humidité de la fin du mois de septembre est de plus en plus rare : « En vingt ans, l’augmentation des températures, associée à des pratiques culturales particulières, a vu la date de maturité du raisin avancer de quinze à vingt jours. Elle pourrait encore gagner trente à quarante jours supplémentaires d’ici 2100  » explique Philippe Pieri, du laboratoire Ecophysiologie et Génomique Fonctionnelle de la Vigne de Bordeaux.

Pendant les vingt dernières années, la douceur des températures a permis d’atteindre plus régulièrement une maturité optimale avec une amélioration significative de la qualité des vins produits. Le réchauffement climatique serait-il une bénédiction pour les viticulteurs bordelais ?

Sûrement pas à moyen ou long terme. Car si, comme le prévoient les modèles, les températures dépassent fréquemment les 35°C d’ici la fin du siècle, les feuilles pourraient être abîmées et entrainer un blocage de la synthèse des sucres, un phénomène amplifié par des épisodes de sécheresse plus fréquents. Le prestigieux nectar bordelais deviendrait alors beaucoup trop alcoolisé et pas assez acide.

« Lorsque les températures dépasseront un certain seuil, la teneur en polyphénol, élément indispensable à la couleur et l’équilibre des vins rouges, va baisser » ajoute Philippe Pieri. Un phénomène constaté après l’été caniculaire de 2003 sur certains millésimes comme le Bourgogne.

Vers des changements de méthodes ?

Pour éviter à leur produit de devenir une vulgaire piquette, producteurs et agronomes réfléchissent déjà à la viticulture du futur. Et l’équation n’est pas simple : une réduction de la surface foliaire serait une option, car moins de feuilles c’est moins de sucre. Mais aussi moins d’ombre pour protéger les grains de raisins… Les pratiques qui favorisent l’ombrage des fruits par les feuilles comme on le fait en Espagne seraient alors une solution provisoire. Quant à la taille hivernale, elle devrait être retardée pour reculer le démarrage de la végétation.

Mais d’ici la fin du siècle, ces méthodes douces ne suffiront pas. Les zones viticoles pourraient alors être déplacées vers des zones plus fraiches, en particulier vers des coteaux orientés au nord. Le climat aquitain présente en effet une grande variabilité climatique au sein de l’espace de production des vins de Bordeaux, délimité géographiquement par une appellation d’origine protégée.

L’étude des variabilités climatiques au sein des terroirs viticoles fait d’ailleurs l’objet de plusieurs programmes de recherche comme TERADCLIM, dans le Bordelais, avec le soutien des professionnels. Mais si ce « déménagement » est possible d’un point de vue purement théorique, il parait difficile à mettre en place.

Autre problème, « la plupart des terroirs bordelais sont orientés vers le sud » rappelle Philippe Pieri. Faute de délocaliser les raisins, des changements de cépages seraient envisageables. L’augmentation de la proportion des cépages tardifs que sont le Cabernet Sauvignon ou le Cabernet Franc, voire l’introduction de Grenache, plutôt utilisé en Espagne ou dans le sud-est de la France, sont des solutions examinées pour les rouges. « Un projet d’étude de comportement de cépages extérieurs aux AOC bordelaises a été mis en place en 2009 à Villenave d’Ornon », explique Jean-Pascal Goutouly, ingénieur de recherche à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (ISVV).

Ce programme a la particularité d’être financé par le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) qui représente les trois familles de la filière des vins de Bordeaux : la viticulture, le négoce et le courtage. Une organisation longtemps opposée à toute introduction de raisin étranger, mais qui a fini par s’y résoudre.

« Nous étudions cinquante-deux cépages dont trente-et-un rouges et vingt-et-un blancs, en conditions réelles du vignoble, au rythme du réchauffement climatique que subira la région bordelaise à plus ou moins long terme. Ce sera alors un outil précieux permettant de choisir sur des bases solides, le ou les cépages qui pourraient éventuellement avoir à prendre le relais d’ici la fin du siècle » conclut Jean-Pascal Goutouly.

Pour se perpétuer, la viticulture bordelaise du 21e siècle devra accepter le changement. Le Touriga nacional portugais, le Saperavi géorgien ou le Xinomavro grec, actuellement en phase de test, seront peut-être les cépages majeurs des Domaines bordelais du futur.


Un risque de submersion accru

Avec ses quelques 450 km de côtes, la région Aquitaine devrait voir ses littoraux touchés par la montée des eaux consécutive au réchauffement planétaire. Ce sera surtout le cas des zones basses estuariennes et lagunaires qui pourraient être plus souvent concernées par les phénomènes de submersions, notamment après des épisodes de tempêtes qui, selon les prévisions du Giec (Groupement intergouvernement d’experts sur l’évolution du climat), devraient être de plus en plus fréquents.

Si l’hypothèse du scénario pessimiste du Giec, qui prévoit une élévation de un mètre des océans se réalise, la surcote pourrait dépasser les six mètres lors de tempêtes majeures. Déjà, lors de l’épisode du 27 décembre 1999, la surcote de deux mètres a inondé les marais situé à l’est de la Gironde. Des digues avaient cédé, provoquant l’inondation de la centrale nucléaire du Blayais. Les trois réacteurs avaient dû être stoppés en urgence.


La forêt des Landes fragilisée

Le plus grand massif forestier artificiel d’Europe occidentale, qui couvre environ un million d’hectares, pourrait être affaibli par le réchauffement climatique. Des conditions de températures plus élevées pourraient favoriser la migration et la prolifération d’espèces parasites venues de zones au climat plus chaud tout en réduisant les dégâts des chenilles défoliatrices à cause d’une désynchronisation de l’éclosion des œufs et d’épisodes de sécheresse plus nombreux.

L’accroissement de l’aridité fait surtout craindre la multiplication des feux dans une zone composée à 80% de pins maritimes qui sont très vulnérables aux incendies. Mais le facteur le plus inquiétant pour cette forêt est la multiplication probablement des tempêtes. Les arbres, plantés dans un sol composé en grande partie de sable sont facilement déracinés.

Après la tempête Klaus de 2009, 60 % de la forêt avait été endommagée, à peine dix ans après Xinthia. Et la destruction du massif ne serait pas qu’une catastrophe écologique : la filière bois représente en Aquitaine un chiffre d’affaires de 2,6 milliards d’euros avec 40 000 sylviculteurs auxquels s’ajoutent 34 000 emplois directs.

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