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Énergie

Le débat public sur l’énergie a produit des conclusions utiles... à condition que le gouvernement les entende

Vendredi s’est achevé le débat public sur la politique énergétique de la France. Les premiers résultats plaident pour un développement plus rapide des énergies renouvelables, un rééquilibrage du mix électrique et une transition énergétique plus juste. Reste à savoir si cet avis sera pris en compte, car le brouillon de la PPE sera dévoilé avant le rapport de synthèse du débat public.

  • Actualisation - Vendredi 19 octobre 2018 - Selon les informations du journal Les Echos, le chef de l’État va réunir une palette de patrons du secteur de l’énergie mercredi 24 octobre à l’Élysée. Ont été invités les présidents et les PDG des plus grands groupes du secteur : Patrick Pouyanné (Total), Jean-Bernard Lévy (EDF), Jean-Pierre Clamadieu (Engie), Philippe Varin (Orano, l’ex-Areva). Mais aussi les dirigeants de grands groupes présents dans le secteur du bâtiment et de l’efficacité énergétique, comme Xavier Huillard (Vinci), Martin Bouygues (Bouygues) ou Benoît de Ruffray (Eiffage Energie). Quelques représentants d’entreprises plus petites sont également conviés : Xavier Barbaro, président de Neoen, un développeur d’énergie solaire et éolienne, qui vient de s’introduire en Bourse . Mais aussi Eric Scotto, qui dirige Akuo Energy (la liste n’est pas exhaustive).

Emmanuel Macron compte présenter sa vision des enjeux de la politique énergétique française, alors que s’achève la longue phase de préparation de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) .


  • Article paru le 30 juin 2018 :

Quel mix énergétique en France pour les dix prochaines années ? Pendant plus de trois mois, élus, industriels, associations et citoyens ont discuté en ligne aussi bien que lors de réunions publiques, dans le cadre du débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) [1] organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP). Vendredi 29 juin a été dévoilé le premier bilan de cette consultation, lors d’une réunion de clôture qui a eu lieu de 9 h 30 à 13 h au Conseil économique, social et environnemental (Cese) à Paris. Le rapport final du débat ne sera livré qu’en septembre, alors qu’une première version de la PPE devrait être dévoilée au mois de juillet.

La clôture du débat public sur la PPE au Conseil économique, social et environnemental, à Paris.

Au terme de cette matinée, le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot a plaidé pour un développement rapide des énergies renouvelables et promis un « échéancier » précis d’ici à la fin de l’année sur la fermeture de réacteurs nucléaires. « Aucun objectif ne doit compromettre l’autre : on doit fermer nos centrales à charbon d’ici 2022 au plus tard, on doit réduire notre consommation, on doit fermer (la centrale nucléaire de) Fessenheim, et dans le même temps on doit commencer à fermer des réacteurs mais tout en gardant une sécurité d’approvisionnement », a-t-il déclaré, avant de poursuivre : « Je souhaite qu’à la fin de l’année on ait un calendrier précis avec une date précise, un échéancier [et] qu’on sache quels réacteurs et le nombre de réacteurs ». Pour rappel, M. Hulot avait annoncé en novembre l’abandon de l’objectif de réduire la part du nucléaire à 50 % du mix électrique dès 2025, arguant que cet objectif ne pourrait être tenu sans ouvrir de nouvelles centrales thermiques et donc accroître les émissions de gaz à effet de serre du pays.

La centrale nucléaire de Cruas, en Ardèche.

Cette déclaration est intervenue alors que les premiers résultats du débat public suggèrent que les Français sont très attachés à l’objectif de réduire la part du nucléaire à 50 % du mix électrique, le plus rapidement possible. Ainsi, 50 % des 11.058 répondants [2] au questionnaire de la PPE ont estimé qu’il fallait atteindre cet objectif avant 2035. 44 % des participants au G400, un groupe de 400 personnes – autant d’hommes que de femmes – tirées au sort en fonction de leur lieu de vie et de leur activité professionnelle (cadres, ouvriers, agriculteurs...) et réunies le 9 juin à l’Assemblée nationale pour débattre des questions énergétiques, ont même indiqué qu’ils étaient attachés à la réussite de cet objectif dès 2025, la date prévue par la loi de transition énergétique. « Ceux qui connaissaient la PPE ont proposé de reporter cet objectif de dix ans, et ceux qui ne la connaissaient pas ont estimé qu’il fallait soit maintenir cet objectif pour 2025, soit ne le différer qu’en 2030 », a résumé la commissaire particulière du débat public sur la PPE Moveda Abbed, qui a présenté les résultats du questionnaire. Par ailleurs, les répondants qui connaissaient la PPE avant le débat public se sont montrés opposés à la fermeture d’autres centrales que Fessenheim et favorables à l’ouverture de nouveaux EPR et au prolongement de très nombreux réacteurs au-delà de cinquante ans. Ceux qui ne connaissaient pas la PPE et les membres du G400 se sont, eux, montrés hostiles à ces trois propositions.

« Le report de la date de fermeture de Fessenheim interroge les participants, le refus de fermer d’autres réacteurs avant une date lointaine passe assez mal, a observé le président de la commission particulière du débat public (CPDP) Jacques Archimbaud. La demande pressante de décider dès à présent de la construction d’un nombre indéterminé d’EPR, l’engagement parfois perçu comme subreptice d’un programme de carénage au périmètre mal défini, tout cela apparaît aux yeux d’une frange des participants comme une position d’attente, au fond maximaliste et dilatoire. (…) Des signaux qui apparaîtraient déséquilibrés ou asymétriques en matière de nucléaire ou le report sine die des 50 % seraient perçus comme extrêmement négatifs, au regard de la mobilisation pour la transition énergétique. D’après la commission, il ressort donc clairement du débat que le texte de la PPE devrait comprendre un échéancier net et des procédures claires de fermeture des réacteurs. »

Le barrage de Roselend, en Savoie : l’hydro-électricité est apparue « très clivante ».

Sur les autres aspects de la politique énergétique, les résultats du questionnaire dévoilent quelques grandes critiques faites par les participants à la politique énergétique de la France. Ainsi, 65 % des personnes qui ont rempli le questionnaire estiment que la France est en retard au regard des objectifs de la loi de transition énergétique (81 % des participants au G400). Concernant ces énergies renouvelables, les répondants pensent qu’il faut accélérer les efforts pour la géothermie, les éoliennes en mer, le biogaz et le photovoltaïque. Mais l’hydroélectricité est clivante et les éoliennes à terre sont discutées. Globalement, les politiques énergétiques de l’Etat ont été jugées ni cohérentes, ni compréhensibles par les répondants, qui souhaiteraient un poids plus important des régions et des collectivités territoriales.

« Le sentiment qui ressort du débat est que la lisibilité des politiques publiques n’est pas très évidente », a pointé M. Archimbaud, avant de citer le maquis des dates et des échéances – 2025, 2028, 2030, etc. –, l’absence de scénario clair de l’Etat en matière de consommation électrique alors que ceux établis par RTE, EDF et Enedis diffèrent les uns des autres, et l’empilement de seuils et de normes. Pour autant, les participants se sont montrés attachés aux grands objectifs et principes de la PPE, revendiquent d’agir en faveur de la transition énergétique (épargne, auto-réhabilitation de logement, projets collectifs) mais réclament de nombreuses améliorations dans sa mise en œuvre. « Un fort sentiment d’injustice ressort de ces échanges, a observé le président de la CPDP. La transition énergétique est belle et bonne mais elle concerne surtout ceux qui peuvent s’y impliquer : moins les locataires que les propriétaires, moins les classes populaires que les classes moyennes, moins les anciens que ceux qui peuvent investir sur le plus long terme. » Ainsi, 42 % des répondants au questionnaire trouvent que les efforts demandés aux habitants en matière de transition énergétique sont socialement injustement répartis (76 % dans le G400). Sont mis en cause la fiscalité écologique, qui risque de frapper plus durement ceux qui sont captifs des énergies fossiles, la concurrence dans le secteur de l’énergie qui « n’est pas vécue du tout comme ayant eu des effets positifs sur les prix », et le fait que la transition créera plus d’emplois qu’elle n’en détruira.

Chantal Jouanno : « Quel serait le sens de cette consultation si elle n’influençait pas la décision publique ? »

Des ampoules à LED. Réduire la consommation d’énergie semble un objectif partagé.

Désormais, que faire des idées et des critiques qui ressortent de ce débat public ? C’est là que le bât blesse. En effet, le gouvernement a prévu de dévoiler une première version du décret au mois de juillet, alors que la commission particulière du débat public ne rendra son rapport qu’en septembre. « Ce n’est pas faire preuve de mauvais esprit que de s’inquiéter d’un calendrier qui verra la publication de la première version de la PPE alors que les conclusions du débat n’auront pas été intégralement rendues », a souligné M. Archimbaud, qui a plaidé pour que « l’administration du ministère (...) entre davantage dans la culture, les contraintes et les opportunités du débat public ». M. Archimbaud a regretté que la DGEC (Direction générale de l’énergie et du climat), qui joue un grand rôle dans la définition de la politique énergétique, ait été peu présente dans le débat. Ses représentants n’ont assisté qu’à une dizaine de réunions sur 93.

« Quel serait le sens de cette consultation si elle n’influençait pas la décision publique ?, s’est pour sa part interrogée la présidente de la CNDP Chantal Jouanno. Parce que j’observe une tendance à multiplier les consultations, avec un marketing politique à peine voilé. Mais plutôt que de surmobiliser la parole citoyenne, prenons le temps d’écouter et de respecter cette parole. Le décideur éclairé l’est toujours par les autres. Ce n’est pas de la parole citoyenne que nous devons avoir peur, mais de la défiance et du sentiment de n’être pas écouté. »

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