Reportage — Notre-Dame-des-Landes
Le mouvement de Notre-Dame-des-Landes discute de l’ouverture de la route des chicanes

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Notre-Dame-des-LandesLa ré-ouverture de la route D 281, dite « des chicanes », qui traverse l’est de la Zad, est une condition posée par le gouvernement. Le mouvement d’opposition à l’ex-projet d’aéroport s’y prépare et en discute.
- Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage
Ce n’est qu’un tronçon d’un gros kilomètre, sur un raccordement de trois kilomètre et demi entre un carrefour menant au bourg de Notre Dame des landes et le village voisin, La Paquelais. « Les squats qui débordent sur la route doivent être évacués, les obstacles retirés, la circulation rétablie, a dit le Pemier ministre le 17 janvier en annonçant l’abandon du projet. À défaut, les forces de l’ordre procéderont aux opérations nécessaires. » Le soir, au journal télévisé de TF1, il est revenu sur le sujet présenté comme un retour à la légalité : « La libération des axes routiers doit intervenir dans quelques jours ». Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a précisé le calendrier, indiquant « jusqu’au milieu de la semaine prochaine », soit le 24 ou le 25 janvier. Sans que l’on sache précisément ce que veut dire un nettoyage de ce tronçon routier ou un retour à la normale acceptable pour le pouvoir.
La « route des chicanes », D 281, est très difficile à la circulation depuis 2012 et la violente opération policière dite « César ». Obstacles, cabanes, carcasses de voitures l’obstruent et ne permettent de rouler qu’à moins de 30 km/h. Depuis 2012, les riverains qui l’empruntaient tous les jours pour aller travailler ont dû faire des détours, perdre quelques minutes. Une vraie gêne, et surtout un point de fixation fantasmé par les médias alimentés par les gendarmes ou le ministère de l’Intérieur. « C’est un imaginaire de la lutte, ce n’est pas rien », disent de leur côté certains zadistes qui accepteraient la normalisation de la route, mais voudraient obtenir des ralentisseurs, des dos d’âne, des zones limitées à 30 km/h.

Pour que cette route symbole retrouve une forme plus acceptable par bien des gens, y compris au sein du mouvement d’opposition au projet d’aéroport, il faut laisser un peu de temps à la recherche d’une solution acceptée par tous. « Non mais faut pas oublier que l’annonce de l’abandon date d’hier », disait jeudi après-midi le groupe Presse de la Zad, assailli de questions sur l’avenir de cette route.
Une assemblée des habitants de la Zad, puis une autre plus large avec toutes les composantes du mouvement, ont eu lieu ce jeudi, un jour et demi après l’annonce d’Édouard Philippe. Une discussion serrée, sensible. Les journalistes étaient priés de rester à l’écart. Elle fait suite à un débat lors d’une assemblée du mouvement le 9 janvier mais c’était avant la décision du gouvernement. Celle-ci a rendu la résolution du litige impérative. Le règlement interne de la question était vu comme un geste de bonne volonté, un souci de donner des gages d’un retour à des relations normales avec les habitants des villages voisins pour qui ce tronçon qu’ils ne peuvent utiliser fait perdre du temps.
L’enjeu est aussi d’adresser un signe aux autorités, une « pièce maîtresse du début du dialogue », une réponse du mouvement pour s’engager dans un avenir négocié. « Si on le fait nous-même, on coupe l’herbe sous le pieds de ceux qui voudraient le faire de force », disaient déjà des zadistes avant l’abandon du projet. « Il faut aussi qu’on garde la population avec nous. On va vivre ensemble pendant les années qui viennent. C’est de l’ordre du bon voisinage. »
« Ce retour à la normale de la D281, on l’a voté quasi unanimement dans la coordination [qui regroupe associations, syndicats et partis politiques opposés à l’ex-projet d’aéroport] », indique Gilles Denigot, docker à la retraite et ancien d’EELV. « Il reste à régler des questions humaines avec les habitants du bord de cette route », note Julien Durand porte parole de l’Acipa, l’association citoyenne anti-aéroport. Les paysans de Copain réclament depuis un moment que les tracteurs puissent passer sans encombre. Pour eux le retour à la normale signifie que cette route déclassée administrativement par l’Équipement en 2013, retombe dans le giron d’une gestion départementale, avec de vrais panneaux de signalisation routière.
« Les barricades sont liées à la résistance en 2012 et aux diverses menaces d’évacuation policière qui ont suivi, notent les deux Camille du groupe Pesse. Pour le mouvement qui s’intéresse surtout aux conditions de négociation de son avenir, et veut rester le plus nombreux et nombreuses, il n’y a pas de fixation sur cette route. On a bien d’autres sujets en cours. Mais oui, le sujet de la route est en débat, en interne. »

Hormis la conserverie de la Noé Verte, installée dans un pavillon implanté très à l’est du périmètre de l’ancien projet d’emprise aéroportuaire, les projets les plus en vue, fermes, meuneries, brasserie, fromagerie, maraîchage, marché, boulangerie, sont situés dans la zone ouest. Le secteur de la Zad à l’est de la D 281 est celui qui regroupe les partisans du refus de la motorisation, qui souvent ne sont pas les plus assidus aux AG du mouvement, assemblées qu’ils trouvent trop longues, trop codées... « Les ‘gens de l’est’ sont assez écœurés, alors qu’on est venus en 2012 et qu’on a participé à la lutte », note un Camille qui habitait cette zone de sous-bois, accessible par la route des chicanes. Il a migré depuis à l’ouest, dans la ferme de la Pointe, pour développer un projet de permaculture. Dans la cuisine, devant des frites fumantes trempées dans la mayonnaise maison, ils sont trois à se demander quoi faire. « S’il faut s’inscrire à la MSA [mutualité sociale agricole] pour avoir des chances de rester, on n’aura pas les moyens. »
Ils ne sont pas directement concernés, mais les habitants de la route des chicanes, c’est un peu leurs potes. La normalisation de cette route, à leur détriment, ils le lisent comme un signe de leur marginalisation. Presque un abandon.
Les discussions ont pourtant déjà avancé entre les différentes composantes. Longtemps tabou, la « normalisation » de la route ressurgit crûment. Avec des échéances courtes pour le tronçon central de ces trois kilomètres et demi de route départementale. Un ruban de bitume qui a été conservé, quasi entretenu dans son état de chemin des barricades comme aux temps de l’opération César en 2012. Les carcasses de voitures envahies par les herbes et taguées, les tas de pneus et les amorces de chicanes sont toujours là, un peu moins nombreux mais bien visibles. Les carcasses chargées de terre et ébouriffées d’herbes folles ont une certaine allure. Mais le mouvement ne veut pas en faire un musée, et refuse tout image nostalgique ou pittoresque. Ces obstacles délibérés ont pris un poids symbolique, entre le folklore et la trace d’une lutte qui a bien eu lieu. Le long de cette route, au lieu-dit les Planchettes, les bulldozers protégés par les gendarmes mobiles ont détruit en novembre 2012 des maisons occupées par des militants. Mais c’était il y a plus de cinq ans. La donne a changé.
