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ReportageAlternatiba

Le mouvement pour le climat Alternatiba veut peser sur les municipales

Ce week-end, Alternatiba et ANV-COP21 réunissaient leur coordination européenne. Au cœur des discussions du mouvement climatique, la question de la radicalité et de la convergence. Et la préparation des municipales, où les militants du climat vont se faire entendre.

  • Montpellier (Hérault), reportage

« Pour rappel, le repas bio, local et végétalien est à 12 h 30, puis la photo de groupe se tiendra à 14 h, afin de reprendre les débats à 14 h 30 précises ! » Dans la pénombre de la salle du théâtre d’O, samedi 19 octobre, des mains s’agitent frénétiquement en signe d’acquiescement, puis les gradins se vident rapidement tandis que la cantine autogérée s’active dans la cour. Une organisation réglée comme du papier à musique, digne de la « discipline dans la bonne humeur » devenue la marque de fabrique d’Alternatiba. Le mouvement écolo tenait ce week-end à Montpellier sa coordination européenne. 150 personnes de toute la France se sont retrouvées pour discuter bilan et perspectives. Car « la période qui vient de s’écouler a, politiquement, été très riche sur le climat », s’enthousiasme Elouan, arrivé du Mans. C’est peu dire : marches pour le climat, Affaire du siècle, Gilets jaunes, actions de blocage et de désobéissance… Le mouvement climatique a connu une montée en puissance inédite, avec l’arrivée de nouveaux acteurs — dont Extinction Rebellion (XR) ou Youth for Climate — et de nouvelles problématiques.

« Il y a un très fort questionnement stratégique dans tout le milieu écolo, pas seulement à Alternatiba », observeJon, membre de Bizi, l’association bayonnaise. Pendant longtemps, autant les objectifs — maintenir le réchauffement à 1,5 °C, sortir des énergies fossiles — paraissaient clairs, autant la manière d’y parvenir ne passionnait pas la foule des activistes. « Ce n’était pas une priorité », poursuit le militant basque. Désormais les débats sont vifs quant à l’efficacité des moyens employés : faut-il coopérer avec le pouvoir ? La non-violence fonctionne-t-elle ? Comment construire une convergence des luttes ?

Ce virage stratégique proviendrait, selon Jon, d’un « sentiment de gravité bien plus palpable » : « Avant, on avait du mal à expliquer aux gens que les choses étaient urgentes, dit-il. Aujourd’hui, le ressenti d’urgence est partagé, mais il est difficile à canaliser. C’est un bon moteur, mais ça pousse les gens à vouloir aller le plus vite possible ». Or pour un « changement de système », objectif affiché d’Alternatiba, « il ne suffit pas de se dépêcher ».

Ce qui pousse l’organisation à s’interroger sur sa stratégie, c’est aussi la multiplication des acteurs dans la lutte climatique. Les jeunes se sont organisés pour mener leurs propres grèves et marches. Début octobre, Extinction Rebellion (XR) a conduit des actions de désobéissance civile non violente d’ampleur. De nombreux collectifs — Désobéissance écolo Paris, Radiaction, Gilets jaunes — se sont lancés dans l’action désobéissante, sur des thématiques écolos. « Avant on essayait surtout de déclencher des choses, maintenant, on n’est plus les seuls à lancer des dynamiques », admet Jon, qui voit Alternatiba comme « un prototype ».

Rémi, activiste nantais, en ressent « une grande satisfaction ». « Alternatiba s’est fondée sur l’idée de faire émerger un mouvement de masse, ce qui ne signifie pas que nous devons être ce mouvement de masse et l’incarner à nous seuls, explique-t-il. L’émergence de nouveaux collectifs est une excellente nouvelle ». À condition toutefois de « créer des synergies », afin de ne pas « diviser les forces ». La complémentarité plutôt que la concurrence.

En charge de l’animation du réseau de groupes locaux, Fanny observe cette convergence s’opérer au niveau local, « de manière spontanée », notamment à travers les formations qu’ANV-COP21, la branche « action non violente » d’Alternatiba, distille sur tout le territoire. Les collectifs locaux du mouvement, invités à présenter leurs activités pendant la coordination européenne, ont d’ailleurs témoigné de ces liens tissés avec d’autres luttes. De Besançon à Bayonne en passant par Rouen ou Marseille, des dizaines d’actions, de marches ou de villages des alternatives ont été organisés conjointement avec des jeunes, des Gilets jaunes ou d’autres groupes écolos. Pour Elouan, « ces rapprochements ne sont pas forcément très visibles, mais ça infuse de manière indirecte. Énormément de gens de XR sont venus participer au blocage de la République des pollueurs, ou au Camp climat de cet été. Tout ça prépare la suite ».

Camp climat 2019.

« Ça apporte aussi une diversité plus grande qu’avant, reconnaît Jon. À Alternatiba et ANV, on est caractérisés par nos méthodes bien disciplinées, bien organisées. » Autrement dit, d’autres structures comme XR ont choisi de s’organiser autrement. Pour lui, ce n’est pas un problème tant que les objectifs sont partagés, puisque « ça permet d’avoir différents espaces qui correspondent à différents tempéraments, à différentes affinités, ça enrichit vraiment le mouvement. On n’a jamais eu autant de portes d’entrée dans le mouvement climat. »

Sauf que certaines portes, en s’ouvrant, semblent en fermer d’autres… La stratégie non violente d’Alternatiba-ANV est ainsi apparue à plusieurs reprises — lors du contre-sommet du G7 ou de la marche climat parisienne du 21 septembre — incompatible avec des actions de confrontation plus directe. Et vice versa. Ainsi, le 21 septembre dernier, « au nom de la complémentarité des tactiques, des gens ont imposé leur stratégie de confrontation par la force, de manière antidémocratique, et fait la démonstration que leur mode d’action n’était pas complémentaire au nôtre, puisque dès lors qu’ils l’ont utilisé, une femme enceinte s’est sentie mal, des enfants ont été exposés à la répression », critique Jon, avant de préciser : « Notre objectif n’a jamais été de réunir toutes les méthodes possibles parce que dès le départ, certaines méthodes ne sont pas compatibles entre elles. » Pour autant, s’il existe des stratégies incompatibles, « on peut les faire vivre sans qu’elles s’empêchent mutuellement », pense Fanny.

Action « la République des pollueurs », en avril 2019.

Comment faire ? « Nous avons une sorte de pacte de non-agression, avance Rebecca, membre de l’équipe d’animation nationale, comme toutes les autres personnes interrogées pour cet article. Quand on donne des formations à l’action non violente, on explique notre vision, mais on ne cherche pas à se justifier en démontant ce que font d’autres mouvements. On ne va pas dans des lieux de lutte qui ont choisi la diversité des tactiques pour les former à notre vision des choses. Il s’agit de respecter les luttes qui se sont construites sur d’autres fondements stratégiques, et de ne pas les dénigrer. »

Pour les activistes, il importe également de ne pas réduire le débat sur la convergence à la question de la violence versus la non-violence. « On essaye de faire des liens avec des marches qui permettent à des familles de participer, avec l’Affaire du siècle qui se concentre sur l’action en justice, on a un pied dans la construction d’alternatives concrètes, on fait de la désobéissance civile, on a encouragé des climatologues lors de nos procès à s’engager, énumère Jon. Tout ça, c’est de la diversité des tactiques, et ça s’intègre dans la stratégie non violente. » À l’inverse, affirme-t-il, le recours à la violence exclut un certain nombre de modes d’action. « L’important est d’avoir le maximum de portes d’entrée qui ne s’excluent pas », insiste-t-il.

Le problème, d’après les militants d’Alternatiba, est que le débat actuellement en cours dans le milieu écolo assimile la violence à la radicalité. « On confond radicalité du résultat et radicalité de l’engagement », regrette Jon. Il l’explique par « la culture dominante, qui justifie et médiatise la violence au nom de la cause ». Et invisibilise donc un discours combinant radicalité et non-violence.

Pour Léa, dans l’équipe d’animation depuis un an, « être radical, c’est vouloir changer les choses à leurs racines, précise-t-elle. L’action la plus violente, coup de poing, visuelle, n’est pas forcément radicale. Tout dépend du résultat, de ce qu’on arrive à changer, concrètement ». D’après eux, les décrochages de portraits de Macron, qui ont permis d’obtenir une première décision de justice en faveur de la désobéissance civile, au nom de l’état de nécessité, sont une action radicale, « puisqu’ils portent potentiellement un changement en profondeur, inédit », souligne Fanny, elle-même décrocheuse.

Action « Sortons Macron », à Lyon, le 21 février 2019.

Ce « travail de clarification sémantique » étant accompli, le débat sur la radicalité a tout de même occupé une grande partie des discussions de cette coordination. Dès le rappel sur l’historique du mouvement, vieux de six ans, Yannick, militant basque, a souligné que « cette question était au cœur de nos préoccupations depuis le début », le but d’Alternatiba étant de construire un mouvement de masse radical, autour du credo « changeons le système, pas le climat », par la non-violence.

Lors de la dernière coordination, à Lille au printemps 2019, le débat avait déjà surgi. « Ce qui en était ressorti, c’est qu’on voulait offrir un panel large d’actions, plus ou moins radicales, pour permettre à une diversité de personnes d’entrer dans le mouvement, se souvient Fanny. Ensuite, au fur et à mesure que les gens s’engagent, ils sont prêts à aller plus loin dans la radicalité. » Cette volonté de « rester inclusif », « pour qu’un maximum de personnes trouvent leur place dans le mouvement », est revenue à de nombreuses reprises dans les discussions. Pour Jon, ce qui a changé, c’est ce ressenti d’urgence, qui « pousse à aller plus vite et plus loin ». Mais, souligne-t-il, « aller plus vite demande de la préparation, de l’organisation, donc du temps ».

En d’autres termes, la radicalité ne se décrète pas, elle se construit. « On n’a pas encore aujourd’hui le rapport de force pour remporter de grandes victoires, enchérit Rebecca. Donc aller plus vite, être plus radical, c’est aussi continuer à mener des actions qui nous permettent d’accumuler des ressources et des personnes, pour pouvoir viser des objectifs plus ambitieux. » Au niveau national ou local, l’organisation peine en effet à se renforcer : les finances sont serrées et les salariés peu nombreux.

Cela passera notamment par les élections municipales, en mars 2020. Pour Alternatiba, le mandat 2020-2026 que recevront les élus correspond à « une période décisive pour le climat, parce qu’une énorme partie de l’enjeu du 1,5 ou 2 °C se joue à ce moment ». Or « beaucoup de leviers de transformation se situent dans les territoires », précise Jon. Les activistes entendent donc se mobiliser sur cette échéance, via du lobbying citoyen auprès des candidats, et des actions de désobéissance sur des thématiques de la campagne.

L’idée, « c’est de pousser les candidats à prendre des engagements sur le climat, et de créer un environnement médiatique qui dénonce clairement les candidats qui ne le prennent pas en compte », détaille Rebecca. Pas question non plus d’abandonner les décrochages de portraits, « car la stratégie fonctionne », selon Jon. « Il est essentiel de démentir la posture écolo de Macron, qui a fait de l’écologie un argument électoral central notamment pour les municipales. Dans plein de villes, la victoire des listes macronistes va se jouer à 1 ou 2 %, et nous, avec ce type d’actions, sur certains territoires, on peut peser pour 1 ou 2 % et donc faire la différence, surtout si on fait ça en convergence avec d’autres luttes. »

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