Le photojournaliste Yoan Jäger libéré après trois jours de garde à vue

Une action de désarmement a visé une cimenterie en décembre 2022 à Bouc-Bel-Air, près de Marseille. - Les Soulèvements de la Terre
Une action de désarmement a visé une cimenterie en décembre 2022 à Bouc-Bel-Air, près de Marseille. - Les Soulèvements de la Terre
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Soulèvements de la Terre Luttes LibertésLa garde à vue du photojournaliste a suscité de nombreuses protestations dans la profession, qui dénonce l’atteinte au secret des sources et une pression sur la liberté d’informer.
Le photojournaliste Yoan Jäger est sorti libre du commissariat d’Orléans (Loiret), vendredi 23 juin vers 13 h, après trois jours et demi de garde à vue. Il avait été interpellé mardi 20 juin à son domicile de Tours (Indre-et-Loire). « Les policiers de la sous-direction anti-terroriste [Sdat] ont débarqué chez lui, cagoulés, à 6 h du matin », a raconté à Reporterre son avocat, Me Colin Verguet. Les forces de l’ordre ont d’abord mené une perquisition et saisi du matériel électronique, avant de conduire le photojournaliste au commissariat pour « dégradations en bande organisée » et « association de malfaiteurs ».
Le photojournaliste, membre du collectif Divergente, est accusé d’avoir participé à des dégradations commises lors d’une action de militants écologistes contre l’usine Lafarge de Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône), près de Marseille, samedi 10 décembre 2022. Ce jour-là, environ 200 activistes vêtus de blouses blanches ont pénétré sur le site de La Malle et ont brûlé des engins de chantier, saboté l’incinérateur en sectionnant des câbles électriques au marteau ou à la hache, éventré des palettes de ciment, abîmé des vitrines de bureaux ou encore tagué des murs. Ils entendaient par là alerter sur le rôle massif du secteur du BTP dans les émissions mondiales de CO2 et désigner la responsabilité du premier cimentier mondial.
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Cette arrestation s’inscrit dans la vague d’interpellations réalisées mardi 20 juin. Ce jour-là, quatorze personnes ont été arrêtées, notamment à Notre-Dame-des-Landes, et placées en garde à vue dans le cadre de l’enquête sur cette action. Treize d’entre elles ont été enfermées à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), dans les locaux de la sous-direction antiterroriste. Huit gardes à vue ont été levées jeudi 22 juin au matin. Cette rafle fait suite à un premier coup de filet, qui s’était déroulé lundi 5 juin, au cours duquel une quinzaine de personnes avaient été interpellées par la Sdat et la section de recherche de Marseille, sur commission rogatoire des juges d’instruction d’Aix-en-Provence. Une répression massive dénoncée par le milieu écolo, en particulier par les Soulèvements de la Terre, dissous mercredi 21 juin par le gouvernement. Les Soulèvements de la Terre ne s’étaient pas présentés comme organisateurs de l’action mais l’avaient saluée.
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L’arrestation du photojournaliste a suscité une vague d’indignation dans la profession. Le collectif Divergente a réclamé sa « libération immédiate » et a condamné « cette arrestation et toutes actions judiciaires contre des photographes qui travaillent sur des questions d’actualité ». Les médias indépendants avec lesquels il collabore régulièrement ont posté des tweets de soutien. Parmi eux, Basta, pour qui Yoan Jäger avait notamment couvert les cantines de luttes qui ont ravitaillé les grévistes pendant le mouvement contre la réforme des retraites. Ou encore Reporterre, pour qui il avait réalisé trois reportages photos : sur une action contre une mégabassine en novembre 2021, sur une autre contre la construction d’un nouveau pont sur la Loire en décembre 2021, et au procès contre des militants antibassines en décembre 2022.
Sur Twitter, l’association Profession : pigiste a dénoncé « une nouvelle atteinte grave à la liberté de la presse ». Pour Agnès Briançon, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes (SNJ), le gouvernement et les forces de l’ordre poursuivent plusieurs objectifs en interpellant les journalistes et photojournalistes présents sur les actions « C’est pour dire aux journalistes la prochaine fois vous n’irez pas, donc vous ne ferez pas de pub pour ces militants et pour ces actions. Donc, ça diminue le rayonnement de l’action, explique-t-elle à Reporterre. C’est aussi pour avoir des informations et des sources, alors que le secret des sources est un secret essentiel au sein de la profession de journaliste. C’est également pour récupérer la production des journalistes. » Indignée par ces pratiques « trop régulières », la syndicaliste réclame une « prise de conscience » de la justice.
Yoan Jäger doit être convoqué début juillet devant un juge d’instruction à Aix-en-Provence. Ni lui ni aucun activiste arrêté dans le cadre de l’action contre Lafarge Bouc-Bel-Air n’a été mis en examen ou déferré. « Cela permet à la juge d’instruction d’exploiter tout ce qui a été saisi en nous empêchant d’avoir accès au dossier et de constituer une défense, analyse Me Verguet. Et, clairement, c’est ce qu’ils veulent éviter. »