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Dissolution des Soulèvements de la Terre : la décision mise en délibéré

Des soutiens des Soulèvements de la Terre devant le Conseil d'État, le 27 octobre 2023.

Lors d’une audience au Conseil d’État, le 27 octobre, le rapporteur public a donné des arguments en faveur d’une dissolution des Soulèvements de la Terre. La décision de l’institution ne sera connue que plus tard.

Paris, reportage

À la sortie de l’audience, les visages des militants sont graves. « Les conclusions du rapporteur public sont inquiétantes », certifie Me Sébastien Mabile, l’un des avocats des associations requérantes au côté des Soulèvements de la Terre. Le 27 octobre, de nombreux militants et soutiens du mouvement écologiste se sont rassemblés devant le Conseil d’État, qui débattait d’une dissolution ou non de la coalition, souhaitée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Si la décision des juges ne sera pas connue avant plusieurs semaines, l’audience n’a présagé rien de bon pour les Soulèvements de la Terre.

Deux jours plus tôt, le rapporteur public Laurent Domingo, un membre du conseil chargé d’éclairer les juges, avait publié ses arguments juridiques en faveur du maintien du décret de dissolution du 21 juin dernier.

Durant cette nouvelle audience, Laurent Domingo a détaillé sa décision, se rangeant du côté des arguments du ministère de l’Intérieur. Il a confirmé que les Soulèvements de la Terre sont un groupement de fait, « une entité avec un logo, des moyens de communication, conduit par un groupe de militants et qui dispose de ressources ». Des arguments qui, selon lui, permettent d’utiliser la loi Séparatisme pour dissoudre le mouvement.

Le rapporteur public a également estimé que la « provocation » à des atteintes aux biens était largement documentée via des vidéos relayées sur les réseaux sociaux des Soulèvements, ou des tutoriels appelant à démanteler les chantiers de retenues d’eau de substitution, appelées mégabassines.

Des soutiens des Soulèvements de la Terre devant le Conseil d’État, le 27 octobre 2023. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Pour Laurent Domingo, il y a un « caractère récurrent » dans ces appels : ils « s’inscrivent dans un programme de lutte affirmé contre les autorités et l’État ». Pour lui, les Soulèvements contiennent « des éléments radicalisés qui ont abandonné la voie traditionnelle du militantisme écologique au profit d’actions de destruction ».

Il a listé de nombreuses actions auxquelles ont appelé les Soulèvements : le blocage d’un site Lafarge à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), le grand charivari de Pertuis (Vaucluse), ou encore la mobilisation de Sainte-Soline (Deux-Sèvres). « Les Soulèvements de la Terre sont en dehors du champ de la désobéissance civile », a-t-il conclu.

Si le rapporteur public a souhaité écarter le contexte de ces actions, il a toutefois estimé que les militants avaient raison sur un point : « La question de la ressource en eau est un débat majeur. Mais quelle que soit la cause défendue, elle ne rend pas plus légitimes leurs actions, [car] aucune cause ne justifie de porter atteinte à l’ordre public. » Pour le rapporteur public, la mesure de dissolution ne devrait pas faire obstacle à ce que les militants « poursuivent d’autres actions licites » sur ces sujets de défense de l’environnement.

Devant le Conseil d’État, le 27 octobre 2023. © NnoMan Cadoret / Reporterre

« Il n’y a aucune provocation à la violence »

Les avocats des Soulèvements de la Terre et de l’ensemble de leurs soutiens ont ensuite pris la parole. Face aux accusations de « provocation » à des agissements violents envers les personnes et les biens, ils ont rappelé que les Soulèvements n’avaient jamais incité à une action contre des personnes physiques.

Quant aux « provocations » dénoncées par le rapporteur, Me Antoine Lyon-Caen a considéré qu’elles relevaient de « la liberté d’expression et de la liberté de pensée et d’exprimer des idées. Le rapporteur public demande de porter une appréciation sur la gravité des provocations, donc la gravité des mots. Il vous demande de faire la police des mots ». Il a rappelé que les Soulèvements utilisent le mot « désarmement » pour définir certaines actions et qu’il « s’agit de l’expression la plus pacifique qui soit. Dans ce mot, il n’y a aucune provocation à la violence ».

Pour l’avocat, les Soulèvements sont « un mouvement en avance sur notre époque. Un mouvement qui parle de la faillite des formes d’organisation politique dont nous sommes héritiers. Ce sont des gens impatients et vous aurez du mal à leur donner tort d’être impatients face à l’urgence climatique. C’est pourquoi j’attends de vous une annulation de ce décret de dissolution ».

La décision du Conseil d’État sera connue dans plusieurs semaines. © NnoMan Cadoret / Reporterre

Son confrère Me Paul Mathonnet a rappelé l’ampleur du soutien dont bénéficient les Soulèvements de la Terre : « Jamais une mesure de dissolution n’a entraîné autant d’émoi dans la société civile, car il y a un profond sentiment d’injustice de ceux qui se sentent proches du mouvement. » Il a également rappelé l’importance du rapport de force dans une société démocratique, en prenant l’exemple des décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron : « On est en présence d’un acte de désobéissance civile. »

Pour Joan, l’un des porte-parole des Soulèvements de la Terre, si la dissolution est actée, cela risquerait de porter gravement atteinte à tous les collectifs ou associations qui luttent pour leurs droits. « Demain, si certains vont dans le bureau d’un patron secouer un peu les dossiers, cela sera suffisant pour être considéré comme une provocation et donc entraîner une dissolution. »

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