« Le plan de la France insoumise est animé par l’idée qu’il y a urgence écologique »

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Politique Elections 2017Quel est le programme écologique de Jean-Luc Mélenchon ? Comment le mettre en oeuvre ? Son bras droit sur l’environnement, Martine Billard, répond en détail. Avec une obsession : l’idée de l’urgence d’agir face à la gravité de la crise écologique.
Martine Billard est coordinatrice du programme Ecologie de La France insoumise, le mouvement de soutien à Jean-Luc Mélenchon.
Reporterre – Quel est l’esprit de votre programme écologique ?
Martine Billard - Nous partons du constat de l’urgence écologique due au réchauffement climatique, à la perte de la biodiversité, à la dégradation des sols, aux pollutions de toutes sortes. Et nous jugeons que l’écologie passe avant l’économie en raison de cette urgence absolue.
Par rapport à cela, il y a deux propositions très concrètes : la première est d’inscrire la Règle verte dans la Constitution. La Règle verte, c’est le principe qu’il ne faut pas prendre à la planète plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer, et qu’il ne faut pas produire plus de déchets que ce qu’elle peut absorber. Cela permettrait par exemple de s’opposer au projet de Notre-Dame des Landes, qui implique la disparition d’une zone humide.
Le moyen d’appliquer la Régle verte est ce qu’on a appelé « la planification écologique ». Aujourd’hui, compte tenu de l’urgence écologique, on ne peut pas se contenter d’incitations, on est obligé d’aller très vite. Pour aller très vite, il faut planifier. Ce n’est pas quelque chose qui tombe d’en haut, c’est une articulation à tous les niveaux des actions nécessaires. L’idée est de mener un grand débat démocratique dans tout le pays qui associe les corps constitués (associations, syndicats, corps professionnels) et les citoyens de manière à définir les objectifs du plan, qui serait ensuite adopté par le Parlement, puis appliqué à tous les échelons, en coordonnant les politiques.
Avec la Règle verte, presque tout ne deviendrait-il pas inconstitutionnel ? Par exemple, le magnétophone avec lequel je vous enregistre contient des minéraux non renouvelables.
La Règle verte concerne les matières renouvelables, les terres, l’air, l’eau…. Pour les autres, minerais et métaux, il faut des critères de parcimonie parce que tous les minerais ne sont malheureusement pas renouvelables. Ils ne sont pas concernés par la Règle verte et il faudra leur appliquer une politique de parcimonie qui passe par l’écoconception des produits. D’abord, il faut considérer les produits selon leur utilité écologique et sociale. Ensuite, les concevoir de façon à utiliser le moins possible de matières premières. Et tout au long de la chaîne, prévoir la récupération au maximum des matières premières.
Cela prendra un temps d’adaptation assez long. Par exemple pour ne plus importer du soja du Brésil, si on veut développer des légumineuses chez nous. Or tout deviendrait opposable constitutionnellement. Comment résoudre ce décalage temporel ?
Par une loi organique qui précise les étapes. Par exemple, la conversion d’une exploitation agricole en bio demande trois ans. Pour mettre cela en œuvre, il y aura des obligations pour tout le secteur public. Pour le collectivités territoriales, les subventions ne seront pas les mêmes selon les politiques menées. Et pour le secteur privé, il y aura des incitations fiscales.
C’est un chambardement énorme.
Ce sera un chambardement énorme. Tout le plan est animée par l’idée qu’il y a urgence écologique. C’est cela qui nous motive : l’urgence.
Sur quelle fiscalité jouerait-on ?
Sur les exonérations de cotisations. Beaucoup sont inutiles. Par exemple on ne voit pas pourquoi il y a des exonérations de cotisations sociales pour Mac’Donalds. Cela ne sert à rien ou encourage la malbouffe. Au contraire, pour organiser la transformation énergétique, il faut des filières de formation, et donc des aides pour les constituer.
Votre programme prévoit de nombreuses mesures pour la transition énergétique ou écologique. Quel est leur coût ?
100 milliards d’investissement supplémentaires en 5 ans.
Comment les financer ?
En réorganisant la dépense. Par exemple, aujourd’hui 43 milliards sont utilisés dans le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivé et l’emploi) qui sert pas à grand chose. Le Crédit impôt recherche est aussi gaspillé. Par ailleurs, nous voulons transformer la Banque publique d’investissement en une vraie banque, de façon à ce qu’elle puisse avoir accès aux crédits gratuits fournis par la Banque centrale européenne plutôt que de devoir emprunter sur les marchés. La BPI pourra donc investir.

Yannick Jadot propose un plan européen d’investissement de 1.000 milliards d’euros. Qu’en pensez-vous ?
On n’est ni pour ni contre. Mais si l’Allemagne continue à refuser, il ne se passera rien. On préfère garantir qu’on arrivera à faire ce qu’on veut faire sans attendre que les négociations des 27 Etats européens aboutissent.
La France pourrait-elle mener une politique très écologique comme celle que vous promulguez sans les autres Etats ?
Il faut une renégociation européenne, pour en terminer avec la politique d’austérité, en finir avec les obligations de privatisations dans les secteurs du rail, de l’eau, de l’énergie... Si la renégociation n’aboutit pas, on envisage la sortie de tous les traités. L’expérience de la Grèce montre que si on ne tape pas du poing sur la table et qu’on n’y met pas le rapport de force, il ne se passe rien.
Ce serait un bouleversement
Oui. Il y a 50 ans, on aurait pu être plus modéré, parce qu’on n’en était pas au niveau de désastre écologique actuel. Mais aujourd’hui, on voit année après année, quelquefois mois après mois, que toutes les hypothèses sur le climat ou sur la biodiversité sont revues régulièrement en pire. Le bouleversement qu’on propose n’est pas pire que ce qu’on serait obligé de faire en cas de guerre. On a une guerre à gagner, qui est celle de l’urgence écologique.

Durant les guerres, il y a une forte réduction des niveaux de vie. Faut-il admettre cette réduction du confort et du confort matériel ?
La population en France est plus convaincue sur l’urgence écologique que pas mal de politiques. Mais elle ne voit pas de solutions pour y répondre. Ceux qui ont des moyens ont des solutions individuelles. Et ceux qui n’ont pas de moyens n’ont pas de solutions. Si on démontre qu’il y a des solutions et que cela passe par une autre répartition des richesses, - qui est la clé -, cela devient acceptable. Les plus riches vont voir baisser leur niveau de vie. Ceux qui sont en bas de l’échelle vont voir leur vie améliorée. Par exemple, grâce à la rénovation thermique des bâtiments, les factures énergétiques seront moins lourdes. Si on passe à une agriculture bio de masse, les prix augmenteront un peu. Mais la bonne alimentation est meilleure pour la santé que la malbouffe actuelle. Dans l’ensemble, même si les produits sont un peu plus chers, les citoyens s’y retrouveront parce qu’on aura des produits réparables et recyclables.
Mais la Règle verte et la prise en compte de la question environnementale dans toutes nos consommations ne se traduiraient-elles pas, pour des biens comme le téléphone portable, par une augmentation du prix ?
Dans une politique globale avec des objectifs dans d’autres domaines, par exemple de baisser le prix de logement, on y gagnera. Ce qui a beaucoup augmenté durant les trente dernières années, c’est le logement, le transport, la santé. Si on réduit les prix dans ces domaines, on peut supporter une augmentation de quelques dépenses à côté.
Vous prévoyez une forte construction de logements. Comment respecter la Règle verte, c’est-à-dire de ne pas consommer davantage de terres agricoles ?
Il faut concevoir l’aménagement du territoire en fonction des transports. Parce que si on veut réduire les déplacements, il faut construire autour des axes de transports. C’est une première chose. Et on peut concentrer : il y a de très bonnes expériences d’habitats collectifs qui sont aussi agréables que les lotissements de maisons individuelles.
Il existe aussi des terres non agricoles utilisables pour construire, comme d’anciennes emprises SNCF ou des friches industrielles. Et puis, notre conception vise à casser la dynamique actuelle de concentration sur des mégapoles pour rééquilibrer le territoire. Il y a des tas d’endroits en France où l’on trouve des habitats vides parce qu’il n’y a plus d’activités.
Comment faire pour que, dans ces centaines de villages ou bourgs où on voit des maisons vides, il y ait des activités ?
D’abord par le rétablissement des services publics, qui maintiennent le centre ville. Ensuite, il faut une politique volontariste sur les grandes surfaces : refuser l’ouverture des grandes surfaces en périphérie et favoriser les commerces en centre ville. Quand on arrive à réinstaller des commerces, cela redonne envie à des gens de s’installer.
Mais trouveront-ils du travail dans ces bourgs ou villages ? Ne devront-ils pas aller travailler loin en voiture ?
Ce n’est pas quelque chose qui peut se faire en quelques années. Mais il faut enclencher la dynamique ! Aujourd’hui, on est dans une dynamique inverse désastreuse : la concentration sur les mégapoles. Cela fait monter le FN dans tous ces petits bourgs qui sont désespérés.
Quand on lit le programme L’avenir en commun, on constate qu’il y a beaucoup d’objectifs, mais on se demande concrètement comment cela va être fait, en dehors des grands outils généraux de la Règle verte et de la planification écologique ?
Tout est décliné plus en détail dans des livrets thématiques. On travaille beaucoup à partir de ce que produisent les chercheurs et les associations. On s’enrichit de tout ce qui existe comme recherches et comme expériences locales. Il s’agit de voir quels dispositifs d’incitations et d’aides on peut mettre en place pour que ces expériences puissent être reproduites ailleurs. S’il y a un gouvernement de la France insoumise, il demandera à ceux qui mènent ces expériences d’aller sur le terrain pour expliquer comment faire. Notre vision n’est pas jacobine, comme on nous en accuse souvent, mais au contraire foisonnante et partant du terrain.
Comment faire adhérer à votre projet les cadres, les directeurs de PME, les hauts fonctionnaires, qui ont un pouvoir important et ont depuis des décennies une vision du monde productiviste, croissanciste ?
Il faudra s’appuyer sur les entreprises déjà nombreuses qui sont engagées dans d’autres démarches, et cela entraînera les autres. Avec une garantie, c’est qu’on ne changera pas les normes tout le temps. Parce qu’on l’a vu sur le solaire, c’est un désastre. On reparle de planification pour que les entreprises puissent se projeter sur ce qu’elles ont à faire, ce qu’elles peuvent faire et comment elles vont le faire.
Comment discutez-vous de ce programme écologique avec l’équipe de Benoît Hamon ?
Avant de pouvoir discuter au fond, il faut des garanties. Le problème ne porte pas sur la ligne de Benoît Hamon, mais sur les parlementaires qui ne sont pas sur sa ligne. Admettons que Benoît Hamon soit élu. Les députés sortants se cramponneront à leurs circonscriptions, parce que ce sont les meilleures. Donc ils seront réélus. Et on ne voit pas comment on pourra alors mener une politique différente. Nous ne sommes pas prêts à jouer l’ambiguïté. Si on rejoue encore une fois l’ambiguïté, Le Pen parviendra au pouvoir. Donc il faut que Benoît Hamon clarifie les choses.
S’il y a deux candidats de gauche, ils se feront concurrence, cela n’est-il pas un autre aliment d’un succès de Le Pen ?
Beaucoup d’électeurs ne savent pas pour qui voter. On peut s’attendre à ce qu’il y ait plus de participation qu’en 2012. Il faut s’adresser à ces électeurs et les convaincre qu’il est possible de changer les choses.
C’est comme cela qu’on arrivera à contrôler l’arrivée de Le Pen, plutôt qu’en votant à chaque fois le moins pire. Parce qu’en votant de moins pire en moins pire, on termine en pire.
Donc, notre question est : Benoît Hamon pourrait-il décider de faire les gestes nécessaires pour une rupture franche ?

Quels gestes devrait-il faire ?
Prendre des engagements. Sur la Constituante. On ne veut pas d’un rafistolage de Constitution par des experts. On a vraiment besoin d’un changement de fond sur la Constitution du pays, il faut y associer les citoyens. Il y a par ailleurs un désaccord sur la question de l’Europe. Cela fait 30 ans qu’on dit tous qu’il faut refonder l’Europe, mais il ne se passe rien. À un moment donné, il faut prendre la question autrement. Troisième point, une garantie de Benoît Hamon est nécessaire sur le personnel politique : il n’est pas possible de repartir avec Myriam El Khomri, Manuell Valls ou Marisol Touraine, tous ceux qui ont mené cette politique néfaste.
Dans l’hypothèse où Jean Luc Mélenchon ne serait pas élu Président de la République, comment refonder un pôle d’écologie et de gauche ?
On sera dans une recomposition générale de toute l’écologie. Cela ne pourra pas se faire par des négociations entre structures. Il faudra trouver les formes pour que tous ceux qui veulent mettre l’écologie au centre de la politique puissent se retrouver dans une même force, ouverte à ceux qui veulent s’investir sans pour autant adhérer à un parti. L’expérience de la France insoumise montre qu’on peut construire un mouvement qui n’est pas un parti. Il rassemble beaucoup de monde, beaucoup de jeunes. C’est cela qui pourrait continuer après. A la sortie de la séquence, il ne faudra pas se replier sur les structures des uns et des autres. Il faut avoir une force pour l’écologie qui pèse dans la société vers l’écologie.
- Propos recueillis par Hervé Kempf