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Les Engraineurs, joyeux artisans de la marche parisienne contre Monsanto

Pour la quatrième année, quelques 400 marches sont prévues dans le monde entier contre Monsanto et son système – OGM, pesticides, multinationales prédatrices. A Paris, l’événement est organisé depuis 2013 par un collectif d’activistes, les Engraineurs, également mobilisés contre le Tafta et dans de nombreuses autres combats. Ce printemps, Nuit debout rejoint l’initiative.

Alors que l’Union européenne tergiverse et ajourne une fois de plus la ré-autorisation du glyphosate, substance active du pesticide-star Roundup, les consommateurs n’entendent pas se laisser empoisonner les bras croisés. Ce samedi 21 mai, pour la quatrième année consécutive,400 marches contre Monsanto sont organisées dans le monde, dont 41 en France.

Objectif, « dénoncer collectivement une agriculture intensive, usant de semences génétiquement modifiées et dépendantes de pesticides toxiques (Roundup), sous la coupe de multinationales s’appropriant le vivant (brevet sur les semences) et menaçant la souveraineté des peuples », d’après le communiqué pour la marche parisienne.

A Paris, le rendez-vous est fixé à 14 h 30 place de la République, où s tient Nuit debout. Le cortège partira à 15 h et longera le canal Saint-Martin jusqu’à la place Stalingrad. S’ensuivront des prises de parole et débats citoyens à partir de 16 h 30, puis un concert des Gueules de Wab et Mourad de la Rue Ketanou à partir de 17 h 30. Les manifestants pourront prolonger la soirée en flânant dans les allées de la Ferme à Paris organisée par la Confédération paysanne aux abords de la rotonde, place Stalingrad, les 20 et 21 mai.

Ce sont les Engraineurs, un collectif citoyen, épaulés par l’association Combat Monsanto et le collectif Stop Tafta, qui organisent l’événement depuis la première marche parisienne de 2013. « La marche mondiale contre Monsanto a été lancée par le mouvement Occupy Wall Street qui cherchait des organisateurs à Paris, se souvient Louise, 39 ans, graphiste indépendante et co-fondatrice des Engraineurs en 2013, attablée devant un thé dans un bar-restaurant du Xe arrondissement. J’ai laissé un message sur leur page Facebook disant que j’étais intéressée pour préparer l’événement. Deux autres filles ont répondu. Très vite, Benjamin, fondateur d’une association de lutte contre les OGM, nous a contactées et soutenues. » Après trois semaines de travail, le petit groupe réunit un cortège de plus de 2.000 personnes.

Les Engraineurs sont nés, avec une vingtaine de membres. En juillet 2013, ils se dotent d’une charte et se positionnent en faveur « de l’écologie et de la réappropriation des biens communs ». Avec un principe : « engrainer », c’est-à-dire prendre le temps de discuter avec les gens dans la rue pour partager le savoir.

Action sur le Tafta en mars 2014

Rapidement, les Engraineurs élargissent leur périmètre de lutte. « Le sujet Tafta a émergé dès septembre 2013, indique Louise. En novembre 2013, nous organisions une manifestation avec le soutien de Stop Tafta. » Depuis, le collectif a organisé plusieurs actions sur ce thème et a soutenu plusieurs mobilisations, comme la Grande Parade métèque qui valorise les bienfaits de l’immigration, les actions de l’association Droit au logement (Dal) et celles de Médecins sans frontières. Il s’est aussi impliqué dans la lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et contre le business des armes en soutien du réseau Votre guerre, nos morts. « Cela se fait au gré des circonstances, des rencontres et des désirs personnels », décrit Louise. Dans le respect de la sensibilité de chacun : si un Engraineur s’oppose à la participation à une action, il dispose d’un droit de veto.

« On voulait retrouver une lutte joyeuse »

A la grande marche pour le climat, en septembre 2014, à Paris

En trois ans, le collectif a peaufiné ses modes d’action. « On trouvait les manifs un peu chiantes, chacun derrière sa banderole, chacun derrière son parti. On voulait retrouver une lutte joyeuse », raconte Benjamin, 33 ans, co-fondateur du collectif. Il s’excuse pour son retard – l’impression des tracts pour la marche contre Monsanto a pris plus longtemps que prévu.

Déguisements, mises en scène, teasers vidéo... chacun est invité à exprimer sa créativité et à jouer sur l’ironie. Pas question pour autant de se laisser aller à l’autopromotion. « Nous n’avons jamais eu d’affiches, de banderoles avec notre logo », précise Louise. Dans le même esprit, les organisations amies qui rejoignent les cortèges sont priées de laisser les drapeaux dans les locaux : dans les manifs des Engraineurs, on vient en tant que citoyen.

L’organisation du collectif s’y prête. « Nous avons choisi de rester un collectif car la structure associative pose problème pour intégrer de nouvelles personnes, explique Benjamin. En plus, elle est très verticale, avec un président, un trésorier... Nous voulions conserver un état d’esprit de bricolage. » « On travaille sur un mode horizontal. L’idée est d’impliquer tout le monde, qu’il n’y ait pas de leader, que des moteurs », renchérit Louise.

Pour favoriser les rencontres et confronter les idées, le collectif a opté pour le squat plutôt que la location de bureaux : « Notre premier QG a été le Hangar 56, avenue Parmentier dans le XIe arrondissement, se souvient Benjamin. C’était un lieu important pour nous car très grand, très convivial. Puis nous sommes partis au Jardin d’Alice. » Aujourd’hui, les Engraineurs ont déposé leurs cartons dans un squat du Xe arrondissement, non loin de Gare de l’Est.

Quand les Engraineurs rencontrent Nuit debout

Sur la place de Nuit debout, confection de pancartes pour la Marche contre Monsanto

Le collectif, fluctuant en fonction de la disponibilité de ses membres, a connu un coup de mou après l’été. « Nous avions placé de grands espoirs dans les événements politiques en Grèce et nous avons été déçus », dit Louise. Quelques mois plus tard, l’émergence du mouvement de Nuit debout a suscité un regain d’intérêt pour la mobilisation chez la plupart des Engraineurs. « J’étais à la Bourse du travail le 23 février pour la réunion de Fakir et j’ai fait partie du comité de pilotage », raconte Louise. Benjamin s’est impliqué dès le 7 mars dans la logistique du mouvement et participe encore aux commissions Sérénité et Convergence des luttes.

Pour ce militant écologiste de longue date, journaliste indépendant et auteur, l’intérêt du mouvement réside « dans la création d’un espace d’expression libre et dans la reconquête de l’espace public, après la COP21 durant laquelle les manifestants ont été réprimés comme des terroristes. Pour reprendre l’expression du philosophe Jacques Rancière, on assiste à ’la transformation d’une jeunesse en deuil à une jeunesse en lutte.’  »

Même si tout n’est pas parfait, reconnaissent les Engraineurs. « Il reste une contradiction à résoudre entre l’horreur de la représentation et le désir d’horizontalité, et la mise en avant des plus égotiques que cela permet, estime Louise. Quant au refus de s’organiser, il s’apparente à un libéralisme total où chacun fait ce qu’il veut et n’a pas de comptes à rendre. Tout ceci dans une grande naïveté. »

Après avoir salué Louise et fait un saut par le squat pour récupérer du carton, Benjamin rejoint la place de la République où le collectif organise un atelier pancartes et slogans avec la commission Écologie de Nuit debout pour préparer la marche contre Monsanto. Il y retrouve Cédric, 35 ans, et « Lola » (pseudonyme), deux autres Engraineurs.

« J’ai commencé à suivre les actions du collectif au moment de la marche de 2014 », explique Cédric, qui avait auparavant travaillé plusieurs saisons pour une ONG de protection des tortues marines en Grèce - « ce qui m’a fait plonger dans les tréfonds du capitalisme » - et suivi une formation d’éducateur à l’environnement en Espagne. « Finalement, ce que font les Engraineurs, c’est de l’éducation populaire. J’étais également curieux de voir comment fonctionnait une organisation horizontale. » Lola, elle, participe au collectif depuis son origine. « Avant cela, je m’informais, je m’inquiétais, j’éprouvais un sentiment d’impuissance à voir que rien ne changeait. Je ne pouvais plus rester sans rien faire, raconte-t-elle. Aux Engraineurs, nous organisons des manifestations joyeuses, festives. Cela me rend plus engagée, moins angoissée. Je peux transmettre à mes enfants qu’il est possible d’agir. »

Nuit debout a accepté avec enthousiasme l’invitation à participer à la marche contre Monsanto. « J’avais déjà participé à l’événement mais je ne savais pas qu’il était organisé par les Engraineurs », explique Marion, participante très active à la commission, en peaufinant un grand dessin d’épi de maïs - « ou plutôt d’endive transgénique, comme m’a dit l’autre ». « Quand ils sont venus nous proposer de nous joindre au cortège, nous étions plusieurs à être intéressés, poursuit-elle. Par contre, nous les avons tout de suite prévenus que nous ne viendrions pas en tant que soutien aux Engraineurs, mais en tant que citoyens qui expriment leurs propres idées et ont leurs propres pancartes. » Maxime, également habitué de la commission, connaît la marche depuis un peu moins de deux ans. « C’est une lutte très importante qui touche plein de domaines : la santé, l’environnement... C’est bien que Nuit debout ne soit pas toujours à l’origine des actions mais soutienne ce genre d’initiative. C’est cela aussi, la convergence des luttes. »

Engraineurs et participants de Nuit debout, ensemble contre Monsanto

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