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L’action non violente est efficace

Des centaines d’activistes non violents mais déterminés ont perturbé le congrès sur l’exploitation pétrolière en mer début avril à Pau. Enjeu : remettre la question climatique sur la table et sortir des énergies fossiles. L’action non violente est efficace, assure l’auteur, militant d’ANV COP 21. Une autre action est prévue à Paris jeudi 21 avril, contre un nouveau sommet du pétrole.

Jon Palais est un militant Bizi, ANV-COP21 (Action non violente COP 21) et Alternatiba.


Le sommet du pétrole offshore Mcedd [1], organisé dans le fief de Total, à Pau (Pyrénées-Atlantiques), a été bloqué et perturbé par des militants climat pendant trois journées d’affilée, du 5 au 7 avril 2016. Des vagues d’actions non-violentes et déterminées ont permis de créer des conditions d’anormalité autour de cette rencontre entre les plus grandes compagnies pétrolières comme Total, Shell, BP ou ExxonMobil et des exploitants offshore, montrant ainsi qu’après la COP21, certaines choses ne peuvent plus se dérouler comme avant, et ouvrant la voie à une nouvelle séquence de mobilisation pour le climat.

C’est le mouvement Action non-violente COP21, créé quelques mois avant la COP21 [2], qui a lancé l’appel à bloquer le sommet Mcedd. L’appel n’a été lancé que le 26 février 2016 [3] et pourtant, en seulement six semaines, cette campagne de mobilisation a rassemblé plus de 500 activistes climatiques, en pleine semaine, dans le Camp Sirène, un camp climat installé au Village Emmaüs Lescar-Pau pendant 7 jours d’affilée, et a permis de mener des actions directes non-violentes massives et déterminées pendant les trois journées du sommet.

Nous faisions tomber des barrières psychologiques 

Cette mobilisation climat s’inscrit dans la suite de la mobilisation de la COP21. Elle a non seulement permis de bloquer et de perturber ce sommet du pétrole offshore, mais elle ouvre également une nouvelle séquence de mobilisation « post-COP21 », qui voit les citoyens entrer en scène pour faire appliquer les engagements — pris par les États du monde entier dans l’accord de Paris — de contenir le réchauffement climatique en deçà de + 1,5 °C ou + 2 °C maximum.

Les actions pour perturber le Mcedd ont toutes été menées à visage découvert, de manière à la fois strictement non-violente et très déterminée. Certaines actions ont même été particulièrement offensives, notamment les actions de franchissement pour pénétrer dans le site du palais Beaumont, où se tenait le Mcedd, et qui était protégé en permanence par un dispositif policier et des clôtures de deux mètres de haut.

Franchissement des barrières et des lignes des forces de l’ordre au premier jour de l’action.

Nous avons réussi à plusieurs reprises le blocage des accès du palais Beaumont, mais aussi ceux d’un hôtel cinq étoiles où étaient hébergés les plus hauts responsables des compagnies participantes, ou encore celui d’un fourgon logistique de l’organisation du sommet. Des activistes ont également déjoué les trois niveaux de sécurité du palais Beaumont et sont parvenus à s’infiltrer à l’intérieur même du centre des congrès dès le premier jour, pour s’enchaîner sur la scène juste avant le discours d’ouverture.

Il y a eu en permanence de notre part une recherche du dialogue, tant avec les forces de l’ordre qu’avec les congressistes, qui a favorisé de nombreux échanges. Nous croyons en la force de persuasion. Si les actions non-violentes ont ébranlé le dispositif policier, elles ont aussi ébranlé certaines certitudes.

Pendant la chaîne humaine, qui a rassemblé 600 personnes dans le parc du palais Beaumont.

Les échanges avec les congressistes et les forces de l’ordre ont peu à peu permis de faire évoluer les regards qu’ils portaient sur nous, nous faisant sentir que notre message avait une certaine portée, et que nous faisions tomber des barrières psychologiques. Convaincus que c’est aussi dans les consciences qu’il faut faire bouger les lignes, il y a eu de la part des militants une volonté impressionnante de convaincre, et pas seulement de bloquer. L’un de nous s’est adressé à un policier avec assurance : « Bientôt, vous viendrez avec nous. Vous savez pourquoi ? Parce que ce seront vos propres familles en face de vous. »

Blocage d’un fourgon logistique de l’organisation du sommet.

L’attitude déterminée, dans l’interposition comme dans le dialogue, traduit le caractère impérieux de la cause climatique, et confère à l’action contre le changement climatique une légitimité de plus en plus forte, tant vis-à-vis de la presse que de la population. Au niveau politique également, les effets se sont fait sentir. Après une confrontation par tribunes interposées dans la presse de deux personnalités politiques locales (le député des Pyrénées-Atlantiques David Habib [4] et le maire de Billère, Jean-Yves Lalanne [5], tous deux membres du PS), c’est la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, qui a annoncé, dès le lendemain du blocage du sommet, à l’occasion de la deuxième conférence nationale de l’océan, un « moratoire immédiat sur la recherche d’hydrocarbures en Méditerranée » et déclaré qu’elle n’accorderait « plus aucun permis d’exploration, ni dans les eaux territoriales, ni sur le plateau continental ».

Au premier jour d’action, coups de matraque et jets de gaz lacrymogènes pour repousser les manifestants de l’esplanade du palais Beaumont.

Ce mode d’action à la fois 100 % non-violent et très déterminé tire sa spécificité de deux éléments : d’une part une conscience de la nature du changement climatique, et d’autre part une approche stratégique de l’action non-violente.

L’émotion était forte parmi les participants 

Notre détermination tient au fait que nous avons compris qu’un réchauffement climatique de 4 °C ou 5 °C, que nous sommes actuellement en train de provoquer, correspond à l’ordre de grandeur d’un changement d’ère géologique, qui rendrait impossible les conditions de vie civilisée sur Terre à brève échéance. L’exploitation de toutes les énergies fossiles disponibles sur la planète provoquerait quant à elle un réchauffement de 9 °C, selon Michael Greenstone, professeur à l’université de Chicago et ancien chef économiste de la Maison Blanche [6]. Cette conscience que le changement climatique est un enjeu central pour l’humanité nous fait alors envisager l’action de désobéissance civile et l’action de confrontation non-violente sous un autre jour, et les rend à nos yeux nécessaires et légitimes.

Face à ce constat alarmant de la situation climatique, nous échappons pourtant au défaitisme, au désespoir ou au déni car nous croyons que nous pouvons relever ce défi. Inspirés par des figures comme celles de Gandhi ou de Martin Luther King, ou de mouvements citoyens comme celui des Indignés espagnols du 15-M, nous croyons en la pertinence de la stratégie de l’action non-violente pour gagner le soutien de l’opinion publique, et pour permettre à la diversité de la population d’agir au sein d’un même mouvement citoyen grâce à la grande diversité des formes d’actions non-violentes.

Sur l’esplanade du palais Beaumont, une militante a lu à haute voix un extrait de « Stratégie de l’action non-violente », de Jean-Marie Muller (1972).

De nombreuses personnes qui sont venues participer aux actions de blocage n’avaient d’ailleurs jamais mené d’actions de désobéissance civile ou d’actions non-violentes auparavant. Informées du dispositif policier, des risques juridiques et des risques physiques liés à la répression, elles ont pourtant franchi le pas de la désobéissance civile avec une détermination qui n’a pas flanché après les coups de matraque et les jets de gaz lacrymogènes. C’est ainsi qu’on a vu les jours suivants des militants avec des béquilles ou un oeil bandé revenir franchir les barrières et les lignes des forces de l’ordre.

Mathieu, en déambulateur, face aux forces de l’ordre.

Vendredi 8 avril, au lendemain de la dernière journée d’action, le débriefing général a rassemblé 150 personnes. Les mains s’agitaient en signe d’approbation au fur et à mesure que les prises de parole se succédaient et que les militants formulaient ce qu’ils retenaient de cette semaine : l’organisation, la méthode, la non-violence, l’urgence climatique, la détermination, les alternatives et la résistance, l’apprentissage, la transmission, le partage, la solidarité, la confiance, l’esprit collectif… L’émotion était forte parmi les participants qui, venus de tous horizons, semblaient partager une même vision, mais aussi une pratique. Un type d’action non-violente se met en place, un état d’esprit collectif est en train de naître.

Une dynamique capable de perdurer au-delà du Sommet de Paris 

La détermination dont ont fait preuve les militants, et la motivation avec laquelle les participants sont ressortis de cette expérience laissent penser que nous avons peut-être réussi, lors des deux années de mobilisation organisée dans la perspective de la COP21, à construire une dynamique capable de perdurer au-delà du Sommet de Paris.

Plus que jamais, les actions citoyennes contre le changement climatique doivent se multiplier et se renforcer, et plusieurs rendez-vous nous donnent l’occasion d’y contribuer dans les jours et les semaines qui viennent : une action contre le sommet international du pétrole à Paris est prévue dès le 21 avril [7], la semaine mondiale d’action contre l’exploitation des énergies fossiles Breakfree se déroulera du 4 au 15 mai, et la seconde édition de Ende Gelände aura lieu du 13 au 16 mai en Allemagne. Soyons nombreuses et nombreux à y participer !


La version longue de cet article est disponible ici.

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