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Quotidien

Les Hauts-Alpins mobilisés pour le sauvetage de la ligne ferroviaire Grenoble-Gap

Élus et habitants se mobilisent pour maintenir la ligne Grenoble-Gap, ligne emblématique des trains du quotidien, qui pourrait disparaître fin 2020. Si l’État semble vouloir la sauver, il tarde pourtant à débloquer le budget nécessaire aux travaux.

Il ondule sur le flanc de la montagne, et dessert neuf petites communes. Dans les Alpes du sud, le Grenoble-Gap offre un panorama considéré comme l’un des plus beaux de France, sur les balcons du Vercors et le Dévoluy.

Cette ligne est, surtout, essentielle pour les habitants, que ce soit pour les transports péri-urbains du sud de l’agglomération iséroise ou pour la connexion du département des Hautes-Alpes à cette métropole et au-delà à Paris.

Mais fin 2020, la ligne des Alpes risque de disparaître. « Sans travaux, Grenoble-Gap devra faire l’objet d’un arrêt des circulations en décembre 2020 », écrit à Reporterre SNCF Réseau. La voie est vétuste par manque de travaux de renouvellement depuis trente ans. Les ralentissements pour la sécurité des circulations sont nombreux. La ligne connaît pourtant une fréquentation importante, avec près de mille passagers quotidiens.

Rassemblement de soutien à Vif.

Le cas de Grenoble-Gap n’est pas isolé et symbolise un état de délitement du réseau considéré comme secondaire. Dans une grande enquête publiée en février 2018, Reporterre a livré un état des lieux détaillé sur plus de 5.000 km de voies en difficultés. Horaires peu adaptées, ralentissements, retards, annulations de trains… D’année en année, certaines lignes perdent en attractivité, à cause d’un manque d’entretien et de travaux de renouvellement des lignes. Ce manque d’attractivité et donc de rentabilité finit par servir de justification à une fermeture définitive.

Une fois encore, habitants et élus des Alpes du sud se sont rassemblés, le 9 novembre tout au long de la voie, pour défendre le service ferroviaire entre les préfectures de l’Isère et des Hautes-Alpes, ainsi que le train de nuit Paris- Briançon. « De Grenoble jusqu’à Briançon, il y avait du monde et des écharpes tricolores d’élus de différents bords politiques. C’est signe d’une cohérence en terme de territoires concernés », se félicite Lionel Perrin du Collectif de l’Étoile de Veynes. Les députés LREM des Hautes-Alpes, Pascale Boyer et Joël Giraud, ont eux aussi signé l’appel à manifester.

Élus et associations craignent un « blocus ferroviaire » du département

La dévitalisation de l’étoile de Veynes – qui rassemble les lignes de Valence-Briançon, Marseille-Briançon et Grenoble-Gap, avec comme croisement l’ancienne cité cheminote de Veynes (Hautes-Alpes) – semble imminente. Car lorsque la branche d’une étoile ferme, s’installe un cercle vicieux qui condamne l’ensemble. Le mouvement est à l’œuvre depuis les années 1970, alors que les priorités de financement d’infrastructures se sont portées sur les autoroutes et le TGV.

Élus et associations craignent un « blocus ferroviaire » du territoire des Hautes-Alpes. Car si l’on ajoute à la fermeture de la ligne Grenoble-Gap des travaux interrompant les trains entre Marseille et Aix-en-Provence de juillet à novembre 2021, fréquenter ce département en train en 2021 sera un parcours du combattant.

Les lignes se croisent dans l’ancienne cité cheminote de Veynes (Hautes-Alpes).

Quelles sont les chances que la ligne Grenoble- Gap soit préservée ? Un comité de pilotage interrégional, auquel sont conviés les acteurs institutionnels le 4 décembre, pourrait contribuer à lever le voile.

En attendant, le collectif de l’Étoile de Veynes – qui a interrogé plusieurs cheminots de SNCF Réseau – évoque un possible maintien de la ligne jusqu’en 2022, pour permettre un trajet de délestage du train de nuit Paris-Briançon. Celui-ci emprunte habituellement la voie entre Valence et Veynes. Or, aucun train n’y circulera du 15 mars au 12 décembre 2021, pour permettre la réalisation de travaux qui sauveront cette branche de l’étoile. L’espoir est toutefois ténu : un remplacement temporaire des trains par des bus pour la liaison Paris-Briançon semble plutôt envisagé.

Et même si des travaux sont entrepris, les voyageurs seront de toute façon dissuadés de recourir à un service ferroviaire déjà dégradé. « On essayera de réduire les interruptions de lignes au maximum. C’est vrai que c’est difficile de donner l’habitude aux usagers de reprendre le train après », admet Philippe Tabarot, le vice-président aux transports (LR) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca). « On joue avec le feu avec ce qu’on est en train de faire subir aux usagers », considère Stéphane Coppey, des associations Nos TER Paca et Objectif train de nuit.

Le gouvernement est favorable à un sauvetage… mais tarde à allouer un budget

Le gouvernement semble en tout cas pencher pour un sauvetage. « C’est une ligne vitale pour le territoire », a ainsi affirmé le secrétaire d’État aux transports, Jean-Baptiste Djebbari, à propos de Grenoble-Gap, devant une commission du Sénat début novembre. Il promet la participation de l’État à hauteur de 10 millions d’euros sur les 54 millions d’euros du devis de SNCF Réseau. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Paca, le département de l’Isère et la métropole grenobloise compléteraient la note.

Mais cette aide pourrait arriver trop tardivement. « Planifier des travaux, ça ne se fait pas en six mois, mais plutôt en deux ans. Or le diagnostic est connu depuis longtemps », s’agace Lionel Perrin. « Si le tour de table financier n’est pas finalisé et que la planification n’est pas faite avant la fin de l’année, on va vers l’enclenchement de dispositifs irréversibles chez SNCF Réseau », prévient le militant associatif.

La volonté des politiques de tous bords parviendra-t-elle à changer la donne ? « Je n’accepterai pas que cette ligne ferme. Il faut continuer à mettre la pression sur l’État car je n’ai pas encore le chèque. Mais je ne laisserai pas, quoi qu’il arrive, [...] fermer, même si l’État nous fait un sale tour », s’indigne Laurent Wauquiez, président (LR) de la région Auvergne-Rhône-Alpes sur France 3. « Ne fermer aucune ligne, ni aucune gare durant la durée de notre mandat », voilà ce à quoi s’engage, quant à elle, la région Paca, selon le vice-président du conseil régional Philippe Tabarot.

« Il y a un petit moment qu’on se sent baladé », dit à Reporterre, Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère, du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste. « Le gouvernement joue-t-il la montre ? »

Le gouvernement affiche pourtant, à l’échelle nationale, une volonté de « régénération des lignes de desserte fine des territoires », comme il est précisé dans une lettre de mission du 11 janvier d’Élisabeth Borne, alors ministre des Transports, au préfet François Philizot, chargé de l’édification d’un rapport sur le sujet. Dans cette missive, elle annonce déjà un « engagement prévisionnel de consacrer près de 1,5 milliards d’euros […] au travers des contrats de plan État - Régions (CPER ) ». Ces contrats encadrent notamment la planification des travaux pour les infrastructures ferroviaires.

Lettre de mission d’Élisabeth Borne, alors ministre des Transport, au préfet Philizot.

Mais, trop souvent, l’État ne respecte pas ses engagements financiers. Par exemple, jusqu’à la fin de l’année 2018, il n’avait toujours pas honoré sa contribution pour la ligne de la Côte Bleue, aux portes de Marseille, prévue dans le cadre du CPER 2015-2020. Ce qui a engendré un retard durant lequel la ligne a continué de se dégrader. Si elle est désormais sauvée, les travaux y seront alourdis avec une interruption des circulations de septembre 2020 à mars 2021.

Le gouvernement affiche pourtant, à l’échelle nationale, une volonté de « régénération des lignes de desserte fine des territoires ».

Quant à l’enveloppe avancée par Élisabeth Borne, elle pourrait être bien peu de chose au regard des 6,9 milliards d’euros nécessaires selon SNCF Réseau pour la « régénération de toutes les petites lignes », d’ici à 2028, comme l’a rappelé la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut).

« Quand une ligne est fermée, environ 40 % des voyageurs utilisent à nouveau leur voiture »

« On devait avoir le rapport Philizot au mois de mai, puis de juin, puis d’octobre, maintenant le secrétaire d’État dit qu’il l’a sur son bureau. On doit discuter la loi de finance 2020, alors c’est dommage de ne pas avoir les éléments du rapport qui serviraient le débat », dit le sénateur Gontard. Le rapport « ne sera complet et publié que lorsqu’il comprendra un plan d’actions. Pour l’heure, il n’apporte que des embryons de solutions », a justifié Jean-Baptiste Djebbari, le 10 octobre à l’occasion du colloque de la Fnaut à l’Assemblée nationale, selon La Lettre du Cheminot->https://www.lettreducheminot.fr/politique/petites-lignes-linterminable-rapport-philizot/].

« Le gouvernement est dans une position inconfortable. Le rapport Spinetta avait prévu de fermer la moitié des lignes. Les élus et les citoyens sont contre. Alors le gouvernement traîne, parce qu’il est mal à l’aise : le rapport Philizot risque de contredire le rapport Spinetta », analyse Jean Lenoir, vice-président de la Fnaut.

« Quand une ligne est fermée, environ 40 % [des voyageurs] utilisent à nouveau leur voiture, comme l’a montré une expertise récente du cabinet Trans-Missions », écrit la Fnaut. Un report de plusieurs liaisons sur la route, tel que l’envisage le rapport Spinetta de février 2018, serait donc nuisible, au vu des avantages environnementaux que présente le train face à la voiture.

Mardi 12 novembre, les députés ont adopté la loi d’orientation des mobilités (LOM), qui, en matière ferroviaire, ouvre la possibilité de transfert de la gestion de certaines parties du réseau aux régions. « Si c’est un transfert sans moyens financiers, cela ne fonctionnera pas », affirme Philippe Tabarot de la région Paca. Et pour beaucoup d’observateurs, la mesure s’apparente à un désengagement supplémentaire de l’État.

Contactés, ni le ministère de la Transition écologique et solidaire, ni la région Auvergne-Rhône-Alpes n’ont donné suite aux questions de Reporterre.

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